Published On: 15 février 2021Categories: Editoriaux de la lettre électronique

Laissez-nous accomplir notre travail en paix…

Dans un communiqué du 11 février dernier, les professeur·es du lycée de la Plaine de Neaulphe à Trappes demandent que cessent les instrumentalisations politiques et médiatiques dont ils sont l’objet pour qu’ils puissent « accomplir leur travail en paix ».
Voilà une demande qui pourrait passer pour anodine, guidée par la simple volonté de retrouver le calme. Détrompons-nous et considérons, au contraire, qu’elle exprime une impérative nécessité pour que perdurent les fondements démocratiques de notre école.

Accomplir…
En démocratie, enseigner c’est construire le jugement par la raison et les savoirs. C’est une élaboration lente qui requiert de l’élève un travail intellectuel exigeant et libre. La patience et la détermination des équipes enseignantes à le mettre en œuvre, au quotidien, témoigne que, contrairement à ce que certains affirment, l’école n’a pas renoncé. Mais elle a besoin de pouvoir disposer du temps nécessaire à ces finalités complexes pour les réaliser dans leur plénitude et à l’abri de la recherche d’adhésions immédiates, superficielles et irraisonnées.
Accomplir c’est mener à son terme, c’est réaliser pleinement. Sans doute cela obéit-il à une temporalité que les médias et les politiques ignorent trop souvent mais cela s’inscrit dans les finalités que la loi assigne à l’école, en lui demandant, outre la transmission des connaissances, de faire acquérir le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité.

… notre travail…
On peut toujours fustiger tel propos, mettre en scène tel incident, crier haro considérant qu’il y aurait tellement mieux à faire mais, pourtant, le bon sens ne pourra jamais prétendre dicter aux enseignants ce qui ne peut procéder que d’une expertise professionnelle nourrie de compétences didactiques et pédagogiques, fondée sur l’expérience et la coopération au sein des équipes. Tout doit contribuer à reconstruire au sein de notre société, la reconnaissance de ces compétences parce que ce qu’elles permettent est un élément essentiel à la cohésion sociale. Cela ne peut se confondre avec un slogan annonçant la confiance mais doit conduire à un profond changement de gouvernance institutionnelle et à une réelle considération morale et matérielle des enseignant·es.

… en paix.
La sérénité requise pour que l’enseignement puisse atteindre ses finalités ne peut pas admettre que des volontés politiques et religieuses, guidées par leurs intérêts particuliers, puissent venir troubler le travail des équipes enseignantes en renforçant les tensions et en enfermant les débats dans des dualités simplistes. Cela demande à ce que l’institution protège ses agents de toute forme d’intrusion, de toute forme de menace ou de pression. Là encore, il ne s’agit pas de prodiguer des discours où les enseignant·es seraient épisodiquement célébré·es, il ne s’agit pas de déclencher ici ou là des mesures exceptionnelles mais d’assurer les conditions effectives pour que les pratiques quotidiennes, au sein des écoles et des établissements scolaires, soient à l’abri des risques et ne puissent être objets de menace.

Ce que porte l’appel des enseignants de Trappes est aujourd’hui largement partagé par nombre d’enseignant·es. Il est temps qu’on laisse l’école accomplir son travail en paix.

Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 16 février 2021
Paul Devin, président de l’IR.FSU