La réalité sociale du suicide
C’est désormais un chiffre officiel : il y a eu 58 suicides dans l’Éducation nationale en 2018-2019 et les chiffres manquent pour cerner cette réalité dans l’ensemble de la Fonction publique.
La logique du silence tente d’enfermer les actes suicidaires dans les enjeux de l’intime que pourraient seulement éclairer les investigations de la psychologie de l’individu et qui ne pourraient donc pas être considérés dans leurs dimensions sociales. Un tel raisonnement relègue toute tentative d’explication tournée vers le fonctionnement institutionnel des services publics au rang d’une instrumentalisation indigne. Il en résulte un irresponsable déni qui contribue encore davantage à aggraver le sentiment de malaise et de mépris ressenti par les agents.
Pourtant voilà plus d’un siècle que Durkheim a montré que le suicide était un fait social, inscrit dans la perte de sens des activités humaines. « Si l’on se tue aujourd’hui plus qu’autrefois, ce n’est pas qu’il nous faille faire, pour nous maintenir, de plus douloureux efforts ni que nos besoins légitimes soient moins satisfaits ; mais c’est que nous ne savons plus où s’arrêtent les besoins légitimes et que nous n’apercevons plus le sens de nos efforts. ».
Les agents de la fonction publique, qui ne perçoivent plus le sens de leurs missions, qui ne voient plus de liens évidents entre les consignes données et l’intérêt général, qui voient mépriser leurs compétences professionnelles, qui souffrent au quotidien d’un management autoritariste bien éloigné de ses justifications rationnelles, témoignent d’un épuisement. Cela ne semble pourtant pas suffire à infléchir ni même à questionner les fondements de la gouvernance. L’obligation légale de l’État employeur à protéger ses agents et prévenir les risques psycho-sociaux qui les menacent reste une préoccupation bien trop ponctuelle pour qu’elle puisse engager les ruptures nécessaires.
Pourtant, la récurrence de l’expression d’une souffrance professionnelle ne permet plus aucun doute sur la gravité de la situation. Elle ne sera améliorée qu’aux conditions de considérer que le travail de chaque agent de la fonction publique ne peut se résumer à une équation budgétaire ou à une contrainte injonctive. Tant que l’amélioration des conditions de travail ne sera pas perçue comme un devoir de l’État employeur où se conjuguent les perspectives de la protection des agents et de la qualité du service public, nous pouvons craindre la persistance des dramatiques chiffres récemment révélés.
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 12 novembre 2019
Paul Devin, président de l’IR.FSU