L’avenir du service public se dessine dans un cercle vicieux : l’écart grandissant entre les besoins et les moyens détériore sa qualité, dégrade la relation des citoyennes et des citoyens avec les services, réduit leur capacité à répondre aux demandes, limite l’attractivité de ses emplois… Ces éléments interagissent pour produire une logique de dégradation progressive qui, elle-même, produira ses propres dégradations.
Le discours gouvernemental tente de justifier ses réformes par la promesse d’une modernisation dont il nous assure qu’elle serait capable de progrès que nous ne constatons pas. Au-delà de ses efforts rhétoriques, il contribue par ses choix à renforcer l’écart entre besoins et moyens, d’autant plus que les politiques mises en œuvre, tant dans leurs dimensions qualitative, quantitative ou adaptative ne se préoccupent guère des causes de cette détérioration pourtant largement perceptible aujourd’hui. Alors qu’il y aurait une urgence impérative à penser cette question des besoins et à cerner la nature de leur évolution, le discours dominant n’a cure que de les mépriser.
Ce qui se profile pour notre société ne peut aucunement nous rassurer par une perspective optimiste : le vieillissement de la population, les enjeux environnementaux, le développement de la précarité renforceront davantage ces besoins quand les annonces de nouvelles règles budgétaires européennes et le zèle annoncé pour les appliquer en France anticipent une nouvelle baisse des moyens.
Le cynisme des discours tente de nous faire croire qu’un renoncement est indispensable. L’idée d’un État redistributeur, capable de socialiser les risques et de garantir les besoins essentiels est vouée aux moqueries que l’on réserve aux utopies les plus naïves pour leur opposer une rationalité gestionnaire qui prétend exiger la rentabilité de services qui, par nature, ne peuvent l’atteindre. L’idéal d’un monde où chacun doit recevoir selon ses besoins est fustigé comme une vision méprisable habitée de paresse et d’assistanat.
« Il est temps de sortir du mirage de la gratuité universelle » nous assure le ministre de l’Économie[1] qui semble oublier que les services publics sont financés par leurs usagers.
Alors que celles et ceux qui ne peuvent assurer seuls leurs besoins les plus élémentaires doivent admettre la réduction progressive des services publics auxquels ils peinent désormais à accéder, d’autres qui n’ont de l’action publique que la vision d’y trouver source de profit, se saisissent de l’opportunité pour répondre aux nouvelles offres de marché qui en résultent. Radicale manière de sortir du « mirage de la gratuité ».
École, soins, transports, sécurité… partout la réponse aux besoins se conditionne de plus en plus fréquemment, pour cause de privatisation et de marchandisation, à la capacité, pour l’usager, de les financer.
Les agentes et les agents des services publics en payent toujours plus durement le prix. Face à celles et ceux qui, faute de trouver réponse à leurs légitimes demandes, manifesteront leur désespoir, ils deviennent l’objet des colères et parfois des injures et des coups. Le pouvoir s’en offusquera au nom d’une perte des valeurs pour invoquer les nécessités d’un retour aux exigences de l’ordre.
Mais resteront seuls, face à face, l’usagère ou l’usager ne pouvant satisfaire ses nécessités les plus essentielles et l’agente ou l’agent du service public dépossédé de la possibilité d’y pourvoir.
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[1] La Tribune, 17 mars 2024
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 30 mai 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU