Étonnants travailleurs ! – Première
Gérard Grosse
Institut de recherches de la FSU
Vendredi 9 octobre et samedi 10 octobre 2015, première rencontre des « Étonnants travailleurs ! » à Pantin (93).
Le projet, porté par une équipe restreinte se proposait de « mettre en scène le travail, et plus largement l’activité humaine, dans leur complexité ». L’initiative porte en sous-titre « voyage au cœur de l’activité ».
Il s’agissait de réfléchir ensemble (une soixantaine de participants) à partir du bref récit de « moments » de l’activité de personnes singulières, acte, remarque, pensée, geste, choix effectué, qui mis bout-à-bout devaient construire ce « voyage » évoqué plus haut.
Ce qui frappe tout d’abord c’est la diversité des acteurs et des situations. Maria [1], apprentie menuisière, s’interroge sur les façons de repérer les défauts sur la peinture d’une poignée de meuble ; Elisa, universitaire brésilienne, retrace les questionnements intérieurs du professeur qui cherche à « faire dire » des réponses attendues à ses étudiants ; Marcel, technicien, pousse des compagnons ouvriers qualifiés, à prendre conscience de leurs manières de faire afin d’en faire profiter le collectif ; Ralf, musicien et chef d’orchestre, repère les « pics de concentration » indispensables des musiciens professionnels ; Sandrine, cadre de santé, interroge le bien fondé de certaines prescriptions et explique comment elle les transgresse en se montrant « laxiste » avec le personnel sous son autorité ; Hubert, chef d’entreprise, est interpellé par un de ses ouvriers « t’es pas vraiment un patron » parce qu’il a fait le choix de les laisser libre de s’organiser dans leur travail ; Charlène, sur le fil du rasoir, édite un livre sur les fusillés de la seconde guerre mondiale accompagnée de leurs fantômes ; Albert, accompagnateur de montagne, improvise un festival avec des ethnies minoritaires au Sénégal ; Marie-Agnès, secrétaire de CHSCT, sent peser sur elle une responsabilité en tension avec les positions de son syndicat ; lors d’une prise de parole dans l’exercice de son mandat syndical, Georges a senti son corps piloter son esprit ; en relation avec des publics en grande difficulté, Paméla adapte à sa manière les tarifs du théâtre pour lequel elle travaille ; mathématicien, Bernard décrit les impasses de la recherche et la façon dont il tâche de s’en sortir ; Gérald recueille des « miettes d’observations » de la vie quotidienne avant de les mettre en phrases ; c’est par la persuasion qu’Igor agit sur les comportements des spectateurs du festival où il est bénévole ; Sarah, psychanalyste, mobilise la chanson, qu’elle pratique par ailleurs, pour renouer des contacts rompus entre mère et enfant ; grâce à l’écrit, Julien, représentant du personnel et membre du CHSCT co-construit avec les salariés qu’il écoute une présentation des situations réelles de travail ; chargée de l’accueil dans une association, Victoire questionne l’image qu’elle renvoie quand une femme qu’elle reçoit à nouveau, remarque qu’elle s’est fait couper les cheveux ; Bénédicte, « accompagnatrice d’écrit », suit une démarche tortueuse pour (re)monter les textes ; ce colis passe-t-il ou pas ? s’interroge Luc dans le centre de tri automatisé.
Confiance, curiosité et respect ont caractérisé la réception et la discussion de ces « moments » d’activité. Confiance de la part de ceux qui ont accepté de livrer une part parfois intime d’eux-mêmes. Curiosité d’apercevoir, venus « de l’intérieur », des domaines d’activité nouveaux. Respect dans l’écoute de la parole, parfois hésitante, toujours réfléchie de ceux qui ont ainsi tenté de livrer des bribes de leur activité.
Un bilan de ces deux jours reste à faire. Les expériences variées se (co)re(s)pondaient parfois, souvent même, permettant d’affiner la connaissance sur le travail réel et de tirer (subjectivement) quelques « fils rouges ».
Le travail met en jeu, de façon indissociable le corps et l’esprit. Il recèle une part invisible que l’introspection ou la confrontation peuvent faire émerger. Les gestes professionnels portent, plus ou moins explicitement, des dilemmes qui, souvent renvoient à des positionnements en valeurs. Dans leur activité, les travailleurs interprètent les normes, voire les transgressent. Être syndicaliste, représentant du personnel, c’est un travail.
Travailler c’est gérer l’incertitude des situations, se glisser dans les interstices du prescrit, questionner la transmission des savoirs et des savoir faire.
Et après ?
Un bilan à chaud a conduit à constater l’intérêt, voire le plaisir, des présents d’avoir participé à cette « aventure éditoriale orale » qui a permis qu’au lieu de porter la parole des autres, chacun puisse « dire sa propre parole ». Et le souhait que la formule se poursuive, s’élargisse et/ou s’approfondisse. Pour cela des bilans tels que celui-ci doivent être confrontés, et cette première initiative doit être généralisée et/ou approfondie.
En ce qui concerne plus particulièrement le « travail syndical », les contours d’autres manières de faire se dessinent : écouter les salariés, co-construire l’analyse des situations, accompagner les professionnels dans la (re)prise en mains du travail.
[1] Les prénoms ont été changés