Yves Baunay
Chantier travail
Étonnants travailleurs
Un événement surprenant s’est produit. Qu’en fait-on ?
Les 9 et 10 octobre à la Dynamo de Pantin, soixante-dix personnes ont fabriqué un événement qui aurait pu être banal consistant à donner à entendre des morceaux de leur propre « activité ».
Au départ, il y a une intuition de Christine Castejon, initiatrice de l’événement : faire vivre les concepts de l’ergologie à travers une vingtaine de récits de « quelques grammes d’activité » vécue et exposée par les intéressés.
Ensuite, un groupe d’une dizaine de « fabricants » réunis par Christine ont fait connaissance et collectif en imaginant la mise en scène et en débats de ces récits vivants de travail. Comment installer un climat de liberté, de confiance entre des gens qui ne se connaissent pas dans la vie et qui se rencontrent par hasard ?
Les 9 et 10, une vingtaine d’étonnants travailleurs ont osé puiser dans leur intimité, souvent la peur au ventre, après mûres réflexions et débats intenses avec eux-mêmes. Ils ont capté l’attention des autres travailleurs réunis, en s’étonnant eux-mêmes et en réagissant aux réactions suscitées par l’écoute intense de leurs récits.
Ils ont installé un climat de réflexion collective et de recherche de quelque chose d’indéfinissable, d’énigmatique : l’activité humaine. Ces travailleurs réunis pour l’occasion, témoignaient d’une grande diversité d’âge, de profession, de nationalité, de préoccupations, d’engagements citoyens…et se comprenaient. Un courant passait entre toutes et tous. Que transportait-il ? Je m’aperçois que je ne peux pas répondre à cette question. Et du coup, je suis dans l’incapacité de dire ce qui s’est passé, ce que nous avons vécu, vu et écouter ensemble, chacun-e différemment d’ailleurs.
J’ai vraiment pris conscience qu’un événement extraordinaire avait bien eu lieu, lorsque dans la dernière heure, une grande partie des participants, invités par Clarisse l’une des fabricantes et animatrices à dire comment ils voyaient la suite, comment on pourrait ensemble « transformer l’essai », ont volontiers exprimé leurs émotions, leur satisfaction, leur envie de poursuivre ensemble et ailleurs… De faire un vrai travail politique de transformation du monde, de construction d’un autre monde possible, humain.
Un syndicaliste par exemple a déclaré : « des choses nées au 19ème siècle se meurent aujourd’hui… Quelque chose est à réinventer avec tous ceux qui travaillent… On a commencé à préparer ce que sera demain… »
Les échanges, au moment de l’apéro final ont confirmé que chacun-e avait été bouleversé par ces récits d’activité qui avait impacté leur propre vie professionnelle, militante, personnelle, et qu’ils emportaient avec eux comme des trésors trouvés par hasard.
Dès le samedi après-midi, les courriels ont commencé à défiler sur la liste du groupe de fabrication, attelé maintenant à imaginer une suite et à l’organiser.
Une autre étape est ouverte : construire autre chose à partir de ce qui est advenu, en poursuivant nos intuitions initiales et en mettant dans le coup l’ensemble des participants, ceux empêchés mais qui se sont déjà inscrits pour la suite, et ceux qui se sont prêtés et donnés au jeu, et qui attendent une suite à construire en commun.
En attendant, chacun dans ses réseaux, poursuit l’initiative, à partir de ses propres engagements dans l’activité et de ce qu’il a vécu les 9 et 10 octobre .
L’intuition de départ était manifestement féconde. Mais l’activité réelle qu’elle a déclenché a largement débordé ce que les initiateurs pouvaient imaginer, anticiper. Et c’est ce débordement qu’ils ont maintenant sur les bras et dont ils se demandent bien ce qu’ils peuvent bien en faire.
Pour ma part, j’ai commencé à travailler mes notes abondantes. J’ai remarqué que la dimension politique du travail comme activité de transformation du milieu humain, social, physique, comme activité écologique débouchait immanquablement sur des controverses sur les façons de faire de la politique, du syndicalisme, une renormalisation très créative de ces activités, à partir du travail.
Tous ceux et celles qui sont intéressés par la construction de cette suite peuvent se faire connaître à Étonnants Travailleurs : etonnants.travailleurs@gmail.com et Yves Baunay ybaunay@free.fr
Yves Baunay