Note de lecture d’un article du dossier « Qui veut la peau de la recherche publique ? », Revue Mouvements n° 71, automne 2012.
Note de lecture.
Marc Guyon, « Recherche publique : les temps modernes : », Mouvements n° 71, automne 2012
Marc Guyon est chercheur au centre de recherches sur le travail et le développement du CNAM (équipe de C. Dejours). Il conduit une recherche en psychodynamique du travail auprès de chercheurs de trois centres, deux publics, l’un semi-public.
Ce travail d’étape vise à montrer comment la clinique du travail propose un éclairage qui rend compte de la transformation du travail des chercheurs en relation avec les transformations de l’organisation de la recherche.
Le point de départ de l’analyse repose sur une distinction, issue de la sociologie des sciences (Bruno Latour), entre science et recherche. La première est issue d’un processus de sédimentation des résultats de la recherche, une fois stabilisés et promus au rang de faits scientifiques accumulables au sein de l’économie de la connaissance. La seconde, est une pratique incertaine qui vise à construire les faits. « En pratique, le chercheur est confronté à deux types d’activités. Il doit être capable de chercher pour pouvoir élaborer de nouveaux faits. Il doit être capable de les faire reconnaître par la communauté scientifique pour pouvoir y trouver sa place en tant que chercheur. »
Les modes actuels d’évaluation de la recherche (essentiellement par la bibliométrie) valorisent le travail de la science plutôt que celui de la recherche. Ce qui est mesuré c’est donc la capacité à produire une publication et non « la compétence, le savoir-faire, l’expertise, l’originalité, voire l’esthétique … » qui caractérisent le travail du chercheur. L’évaluation du travail des chercheurs ne porte donc pas sur leur travail réel, ce qui est source de souffrance et de mal-être. D’autant que ce qui est évalué, la capacité à produire des papiers (parfois de façon industrielle) ne correspond pas aux valeurs du métier (ne correspond pas au « jugement de beauté »).
Il s’opère ainsi une division taylorienne du travail au sein des laboratoires de recherche entre « scientifiques » et « chercheurs ». L’activité principale des premiers consiste à monter, défendre, vendre et gérer des projets. Celle des seconds, travail obscur et incertain, devient de ce fait une pratique underground. « C’est toute une division du travail qui se met en place entre, d’un côté, ceux qui s’activent dans le business de la science, et, de l’autre, ceux qui sont relégués dans les bas-fonds de l’activité de recherche ». La créativité est ainsi captée au profit des administrateurs de la science.
Cette division du travail correspond aussi en grande partie à une division entre statutaires et précaires, ce qui explique probablement, en partie, la tendance des chercheurs à l’autocontrôle et leur faible résistance. D’autant que les chercheurs « ont une responsabilité dans les critères qu’ils sont amenés à s’appliquer (…) [qui] ont été pensé par des chercheurs ».
La recherche est une activité sociale qui exige de la coopération, or le mode d’évaluation transforme chaque collègue en un compétiteur. Ainsi « Le travail de la recherche, lorsqu’il est prescrit par un système qui organise une compétition artificielle, produit de la déloyauté, des coups bas, le non-respect des règles… ». La compétition ainsi instaurée prive les chercheurs de la ressource du collectif, c’est-à-dire du moyen de satisfaire les missions qui leur sont attribuées.
L’article se conclut par un appel au débat au sein des communautés de chercheurs afin de faire émerger des pratiques « prenant en compte le métier et assurant une prise en charge collective de l’organisation de la recherche ». La première priorité étant de restaurer les conditions d’exercice de la coopération.