Ce texte qui a beaucoup circulé en novembre 2003 et qui a été largement distribué sous la forme d’une brochure de l’Institut de recherches de la FSU constituait une analyse des visées stratégiques en plus en plus explicites de la part du Ministère de l’Éducation nationale et de quelques lobbies (dont l’Institut de l’Entreprise) pour transformer en profondeur l’enseignement de l’économie. Au-delà de son caractère conjoncturel, le texte nous a paru garder une certaine actualité au regard de la liquidation en cours de l’enseignement des SES en lycée dont on peut deviner à travers ce texte à la fois la logique et les instigateurs.
L’entreprise au centre de l’école par Christian Laval
L’Education nationale et l’Institut de l’Entreprise, un organisme de réflexion et de pression du patronat français, organisent les 23 et 24 octobre 2003, au lycée Louis le Grand de Paris, une « université » sur le thème : « les entreprises dans la mondialisation », au cours de laquelle les dirigeants des grandes entreprises exposeront aux professeurs de Sciences Economiques et Sociales le « rôle moteur des entreprises » dans le processus de mondialisation et les effets bénéfiques de cette dernière. La problématique est explicite : il s’agit de présenter de façon « positive » l’action des multinationales françaises. Reprenant mot pour mot la présentation d’une étude de l’Institut de l’Entreprise, cette étrange « université » sans universitaires a une conception pour le moins douteuse de l’examen scientifique des réalités : « l’objectif de l’Université n’est pas de rouvrir un débat général maintes fois tenu ni d’opposer une vision angélique de la mondialisation à une vision diabolisée de celle-ci mais, à partir d’une vingtaine de cas concrets que les entreprises elles-mêmes considèrent comme des réussites, d’inviter les participants issus de l’enseignement et de l ‘entreprise à s’interroger sur les conditions qui permettent à la mondialisation de devenir un jeu à somme positive pour toutes les parties prenantes ». Le but a le mérite d’être clair et la confusion entre promotion et enseignement évidente. Comme l’a souligné l’APSES (Association des professeurs de sciences économiques et sociales) « avec cette « université » est franchie une nouvelle étape puisque pour intervenir sur le thème de la mondialisation (outre la participation de François Chérèque, secrétaire Général de la CFDT et Claude Martin président de WWF International) il est fait appel uniquement à des chefs d’entreprise. L’Education Nationale fait ici la promotion des entreprises sous couvert d’un colloque à destination des professeurs de S.E.S. »
Cette « université » sans universitaires s’inscrit dans le cadre d’un contrat de partenariat de longue durée entre l’Education nationale et l’Institut de l’Entreprise . L’installation d’un lien très officiel sur le site du ministère (Educnet) en direction de l’Institut de l’entreprise et de son « manuel de terminales en ligne » , les stages longs de formation organisés par l’Institut de l’Entreprise -dans le cadre d’un contrat de partenariat avec le Ministère- dont certaines grandes entreprises ont désormais le monopole, et surtout cette toute dernière initiative d’ « université » dans laquelle les dirigeants des grandes multinationales françaises vont apprendre aux enseignants ce qu’est « la mondialisation heureuse » constituent autant de mesures dont on doit saisir la logique et les implications. On a d’autant plus de raison de s’inquiéter que le MEDEF a chargé Michel Pébereau, président du groupe BNP-Paribas et responsable de cette « université » pour le compte de l’Institut de l’Entreprise, « la conduite d’une réflexion sur les rapports entre monde professionnel et monde de l’éducation » . Cette mission de réflexion est destinée à « mettre en place une meilleure approche, voire une meilleure doctrine » de l’organisation patronale sur la teneur des rapports que doivent entretenir le monde de l’entreprise et celui de l’éducation. L’objectif est de mettre sur pied un « dispositif d’interface » et de permettre au MEDEF de mieux dire « ce qu’il attend de la formation initiale »,selon les propos d’ Ernest-Antoine Seillière.
Ces atteintes à l’espace laïc et pluraliste de l’école et ces mises en question de l’autonomie du système d’enseignement qui frisent la caricature laisseraient croire à des dérapages idéologiques de quelques militants isolés de la cause patronale. Mais la double bénédiction ministérielle donnée à cette prise en main (ouverture de « l’université » par Luc Ferry et clôture par Xavier Darcos) laisse penser que l’on a affaire à une politique qui a sa cohérence et dont on n’a encore vu que les prémices.
Les entreprises ont-elles le monopole du discours légitime sur l’économie ?
Pourquoi les Sciences économiques et sociales, que certains il y a peu considéraient encore comme une « discipline indisciplinée », sont-elles désormais l’une des cibles privilégiées de cette stratégie ? Quelles sont les conditions qui ont rendu possible une telle dérive et une telle confusion entre formation permanente et entreprise de propagande dans l’Education nationale ?
Les sciences économiques et sociales sont depuis longtemps l’objet de mises en cause. C’est même depuis leur naissance qu’elles ont constitué un « scandale » pour les secteurs les plus archaïques et les plus réactionnaires du monde politique et social. Dès 1969, c’est-à-dire dès leur premier pas, le président Pompidou se promettait de contrôler les manuels de cette discipline qu’il jugeait subversifs . Comment tolérer un enseignement pluridisciplinaire qui mettait en perspective historique le système économique des pays occidentaux, qui permettait de comparer les niveaux de développement et d’analyser les logiques d’échange et de domination entre régions, qui montrait que les logiques économiques étaient inséparables des logiques sociales, qu’elles étaient liées à des choix politiques et même à des conduites anthropologiquement déterminées ? En bref, comment supporter un authentique enseignement d’économie et de sociologie qui, dans le plus pur esprit scientifique et républicain, se refusait à verser dans la religion des « lois éternelles de l’économie » et à tomber dans l’utilitarisme le plus sommaire ?
De l’Expansion à Capital, les alertes n’ont pas manqué…..
Melchior n’est à cet égard que la face positive de ces attaques contre les SES…
La philosophie qui est au principe de ces attaques contre les SES voudrait qu’il n’y ait qu’un seul discours légitime sur l’économie : celui des entreprises elles-mêmes sur elles-mêmes. Ce qui impliquerait en prolongeant le raisonnement que seuls les hommes de religion pourraient parler de l’expérience de la foi et les hommes politiques de la vie des institutions…Cela relève évidemment d’un profond contresens sur ce qu’est la science, qui implique distance et objectivité et non confusion et proximité. Cette sorte de narcissisme de l’analyse de soi sur soi conduit directement à la négation même de l’école comme institution, laquelle a entre autres tâches celle, essentielle, de faire accéder les élèves et les étudiants à la réflexion scientifique et à l’esprit critique sur des objets de culture que l’on connaît grâce au recul nécessaire que l’on prend sur eux. On voit donc l’absurdité du terme même d’« Université » employé à l’occasion de ces journées organisées par de l’Inspection de SES et de L’institut de l’Entreprise : en fétichisant le « terrain », en niant la valeur de la discussion contradictoire, en évacuant toute grille intellectuelle explicite de lecture des réalités observées, elles constituent une négation en acte de l’institution scolaire dont l’autonomie est la condition d’une visée scientifique du monde physique et social tout comme cette dernière en est la justification suprême.
L’enseignement de l’économie constitue un enjeu particulièrement important pour tous ceux qui pensent que la victoire du libéralisme passe par une bataille idéologique et une conquête des esprits le plus tôt possible à l’école. Les sciences économiques et sociales, dont la création est contemporaine d’unepériode « fordiste »et « keynésienne » du capitalisme, encadré par un Etat social et éducateur apparemment solide, constitue pour l’Institut de l’Entreprise un anachronisme dangereux à supprimer. Il faut que cet enseignement entre en conformité avec la nouvelle période néo-libérale dans laquelle « l’entreprise » est l’agent exclusif du changement social.
Un aspect de l’offensive libérale sur l’école
La stratégie de L’institut de l’Entreprise visant à ce que l’enseignement de l’économie offre une présentation « positive » des entreprises est inséparable d’une pression beaucoup plus globale des milieux patronaux et des sphères politiques d’inspiration libérale sur les systèmes d’enseignement. On ne reviendra pas ici sur les analyses développées dans des écrits collectifs ou individuels maintenant nombreux et convergents qui montrent la variété, la cohérence mais aussi les contradictions des logiques libérales à l’oeuvre dans les univers scolaires à l’échelle mondiale .
Ceux qui ont épousé la vision néolibérale et patronale du monde, semblent en effet de moins en moins supporter l’autonomie scientifique conquise – progressivement et toujours incomplètement- par les systèmes d’enseignement et ce dans un domaine qui les concerne très directement, à savoir l’activité économique. Pour ces partisans de l’utilité et du rendement, l’école a pour fonction principale voire exclusive de répondre aux besoins de l’économie, et plus précisément encore de « servir les entreprises », selon un propos du lobby des grandes entreprises européennes, l’European Round Table. Les servir non point seulement par la professionnalisation généralisée des cursus, non point uniquement par les stages, les co-financements et autres partenariats technologiques et professionnels qui se sont multipliés depuis plus de vingt ans dans le cadre du « rapprochement de l’école et de l’entreprise », mais, les servir par une diffusion la plus large, la plus précoce, la plus intense des « valeurs de l’entreprise » au cœur même de l’enseignement.
Nous sommes sans doute maintenant entrés dans une nouvelle phase des rapports entreprise-école si l’on en croit du moins les déclarations du patronat français, des institutions économiques internationales et de la Commission européenne. Ce « mariage de l’école et de l’entreprise », objet d’une politique constante depuis deux décennies, dépasse désormais et de très loin les objectifs d’adaptation des formations professionnelles aux « compétences » attendues des salariés par les entreprises. Le « mariage » aujourd’hui se veut total et doit concerner toutes les dimensions de l’éducation. Le patronat et ses « partenaires » dans l’institution partagent de plus en plus une idée qui est à la base au management moderne selon laquelle les compétences doivent s’entendre au sens large d’une « adhésion à la culture de l’entreprise », d’une « intériorisation des valeurs de l’entreprise », d’une « stimulation de l’esprit d’entreprise ». En un mot, l’école doit contribuer à convertir les futurs travailleurs et consommateurs à l’Entreprise, à sa légitimité, à sa naturalité, à son rôle universellement et unilatéralement positif . « L’adhésion à l’entreprise » est en quelque sorte devenue une méta-compétence qui doit être au cœur de la nouvelle éducation.
D’où l’importance d’une diffusion dans l’enseignement général d’une « image positive des entreprises ».Les SES ne sauraient déroger à cette mission de »service commandé ». Tout au contraire, une discipline si « indisciplinée », incarnant aux yeux de ses adversaires une conception trop pluraliste, trop pluridisciplinaire et trop peu utilitariste des sciences sociales doit sans doute être mise au pas de façon urgente et radicale. Faut-il souligner qu’une telle conception de l’enseignement dont le but serait la diffusion d’une « image positive » de l’entreprise –mais ce serait vrai de quelque institution existante que ce soit- est aux antipodes de l’éducation laïque dont la référence au moins depuis les Lumières est l’objectivité scientifique ? A cet égard, l’actuel ministre de l’Education nationale qui se pique de références républicaines se devrait de lire ou de relire les Mémoires sur l’instruction publique de Condorcet.
L’Entreprise, fondement du pacte social
Si l’on veut comprendre plus complètement la nature de cette offensive sur l’école dans le contexte français, il faut avoir en mémoire la volonté patronale mille fois réaffirmée de « reconquête idéologique ». Cette stratégie a fait suite à ce que les patrons appellent couramment leur « traumatisme des 35 heures ». C’est cette stratégie qui commande la mutation de l’organisation du patronat et de son discours, symbolisée par le changement de dénomination du CNPF en MEDEF. Le MEDEF se présente depuis non comme un porteur d’intérêts spécifiques, comme au temps révolu de CNPF, mais comme un « mouvement « (et même un « mouvement social ») porteur d’un projet de société, d’une conception globale du sens de la vie collective et même d’une morale à l’usage de tous les membres de la société. La « refondation sociale » du MEDEF, conçue par des théoriciens qui se réclament de Michel Foucault et d’Antonio Gramsci, doit s’entendre au sens large comme « refondation de la société » sur la base des valeurs de l’Entreprise.
Ernest-Antoine Sellière veut incarner cette « conquête des esprits » et cette pression politique sur les gouvernements. Dans l’un de ses discours intitulé « En avant l’Entreprise, en avant la France ! », il définissait ainsi l’objectif de son organisation : « Tout doit être fait pour que l’esprit d’entreprise redevienne une grande valeur de la société française. Nous avons décidé d’intervenir fortement dans le débat public. (…) Nous sommes une partie essentielle de la société civile et nous voulons faire en sorte que s’établisse ce partenariat entre ceux qui nous gouvernent et ceux qui produisent les biens et les services de notre pays. Nous allons nous faire entendre. (…) Le temps du mutisme, de la passivité est fini. Le temps du travail, le temps de la recherche de l’argumentaire, le temps de l’entrée dans la cité pour porter nos valeurs et nos propositions est venu ! » .
Ce type de propos indique bien que pour le patronat français il importe que les évolutions du capitalisme et en particulier la mondialisation soient perçues comme fondamentalement « positives ». Toute critique du cours libéral des choses risquerait en effet de nuire à sa pérennité et à son développement. Il importe également de montrer que tous les maux de la société pourraient être résolus par une place plus grande encore accordée à l’Entreprise. La construction de cette « image positive » est vitale car elle doit servir de levier pour imposer des politiques toujours plus favorables aux entreprises mais toujours plus coûteuses socialement pour la majorité des Français. Ernest-Antoine Sellière présentait récemment dans un article du Monde intitulé « Le nouveau positivisme » l’Entreprise comme la source la plus légitime des normes et même des fondements de la nation : « Au-delà des idéologies, des débats dépassés et des oppositions stériles, nous avons constaté que, dans tous les domaines, les idées se reconstruisent, que partout se fait sentir un souffle, un nouveau positivisme. Et, partout, l’entreprise est au cœur des analyses. Qu’il s’agisse de la relation entre la science et le progrès, des mutations identitaires de notre société ou du nouvel ordre international, l’entreprise est toujours concernée, porteuse de progrès et de modernité. » Et ces transformations multiples dont le foyer est l’entreprise, « dessinent en réalité une nouvelle organisation sociale, une nouvelle organisation économique, une nouvelle organisation géopolitique du monde » .
Dans cette nouvelle organisation, affirme toujours Ernest-Antoine Sellière, l’usage intensif de la science par les entreprises devient une dimension décisive. D’où l’alliance proposée entre les milieux scientifiques et l’Entreprise contre le « catastrophisme » ou la « naïveté ». Selon ce « nouveau positivisme » , l’Entreprise est devenue l’une des sources des valeurs aujourd’hui, sur le même plan que l’école, si ce n’est au–dessus de l’école. Il vaut la peine de citer encore cet article pour mesurer l’ambition de ce projet de conquête des esprits : « L’entreprise et l’école portent une responsabilité dans l’animation du dialogue indispensable entre science et société. Elles partagent le premier rôle dans la définition des fondements de la nation. (…)Armée, Eglise, Etat, école : les institutions qui forgent l’histoire de la France sont aujourd’hui affaiblies et remplissent moins bien leur rôle d’intégration des différentes strates d’immigration. Le travail dans l’entreprise est le moteur principal de l’ascenseur social français. C’est pourquoi il est urgent d’en réhabiliter la valeur, avec ses exigences et les espoirs de réussite qu’il porte. Entrepreneurs, responsables politiques, responsables religieux …tous partagent la même conviction : l’entreprise , avec ses contraintes et ses possibilités , est au cœur des aspirations. Cette évolution très nette des mentalités renforce notre volonté d’un dialogue de plus en plus serein et constructif entre ceux qui produisent et ceux qui gouvernent. »
Transmettre une « image positive « de l’entreprise dans le monde de l’école, comme le veulent l’Institut de l’Entreprise et ses partenaires de l’Education nationale, n’est donc pas une action isolée, une dérive individuelle un accident de parcours. C’est le fruit d’une stratégie qui a sa logique même si l’on peut penser par ailleurs que cette façon de concevoir l’Entreprise comme une nouvelle Eglise imposant son hégémonie sur les esprits a quelque chose d’un peu déraisonnable, d’assez totalitaire et de très archaïque…
Une tendance générale à l’échelle européenne et mondiale
Cet effort d’inculcation idéologique est loin d’être seulement français, il est partie prenante de la mutation libérale des sociétés et des systèmes d’enseignement à laquelle on assiste depuis deux décennies. Mais les choses se sont incontestablement accélérées dans les cinq ou six dernières années. Dans ce contexte politique, l’enseignement de l’économie, pourtant plus que jamais nécessaire pour la formation des citoyens actifs, est également de plus en plus détourné vers des objectifs à la fois utilitaristes et idéologiques : au lieu d’apprendre l’économie, il s’agit de diffuser les « valeurs entrepreneuriales » et d’« inoculer l’esprit d’entreprise » afin de créer des « attitudes positives » envers l’entreprise et de « dynamiser le tissu économique ».
L’OCDE a inauguré cette orientation qui doit s’imposer aux systèmes éducatifs : « la première chose à faire pour diffuser la culture entrepreneuriale consiste à développer l’esprit d’entreprise » . Ce qui signifie non pas seulement développer des « compétences d’entrepreneur », mais faire en sorte que la société dans son ensemble acquière les attitudes favorables à l’« entrepreneurship ». L’éducation est censée ainsi apporter une contribution majeure à l’édification d’ »une société entrepreneuriale ». L’esprit d’entreprise est aujourd’hui plus que jamais, une nécessité parce qu’il est un atout essentiel « pour relever les défis de la mondialisation et du changement technologique » explique l’OCDE .
L’Union européenne n’est pas en reste et les textes européens participent eux aussi à cette litanie vite lassante dans laquelle on retrouve toujours les mêmes mots, les mêmes expressions . Dans son Livre vert intitulé L’esprit d’entreprise en Europe (janvier 2003), la Commission, au lieu de promouvoir une culture économique objective et rigoureuse, défend une conception mutilée de l‘enseignement économique qui se réduit à la « sensibilisation à l’environnement » et à la conversion aux « attitudes favorables aux entreprises » . On peut y lire par exemple que : « Le Conseil a reconnu que l’esprit d’entreprise mérite d’être promu dans la mesure où les compétences et les attitudes nécessaires à l’entreprise sont des atouts pour la société qui dépassent le cadre strict des applications entrepreneuriales(…). L’attitude positive envers l’esprit d’entreprise est particulièrement importante parmi ceux dont dépendent les entrepreneurs actuels et futurs : écoles, universités, investisseurs, collectivités locales, régions, organisations sectorielles, conseillers et médias. Cette attitude positive peut être encouragée par des exemples de modèles à suivre et de réussites. »
« L’esprit d’entreprise » qui est érigé en objectif principal est défini ainsi : « L’esprit d’entreprise est avant tout une question de mentalité. Il désigne la détermination et l’aptitude de l’individu, isolé ou au sein d’une organisation, à identifier une opportunité et à la saisir pour produire une nouvelle valeur ou le succès économique. La créativité ou l’innovation sont nécessaires pour entrer ou être compétitif sur un marché existant, changer ou même créer un nouveau marché. Pour transformer une idée commerciale en succès, il faut mêler créativité, innovation et saine gestion et adapter l’entreprise pour optimiser son développement dans toutes les phases de son cycle de vie. » On est loin d’une vraie culture ou d’un savoir authentique. Le travail d’édification des mentalités et des attitudes qui est proposé aux systèmes scolaires renvoie plutôt à des missions idéologiques sur lesquelles on doit s’interroger. Que la réussite commerciale et financière devienne un objectif éducatif principal des systèmes scolaires dès le niveau élémentaire mériterait au moins un vrai débat social.
Et le Livre vert européen de continuer ainsi : « Les jeunes doivent être exposés à l’esprit d’entreprise et être soutenus, de même que leurs formateurs, dans le développement des compétences entrepreneuriales. Des campagnes pourraient présenter des modèles à suivre et des exemples de réussites d’entrepreneurs pour illustrer les bénéfices que ces derniers apportent à la société. Il convient de s’adresser surtout à ceux qui peuvent jouer un rôle clé dans le soutien des entrepreneurs en puissance : écoles, universités, investisseurs, collectivités locales, régions, organisations sectorielles, conseillers et médias. »Le Livre vert recense tous les moyens utilisables pour faire contribuer l’éducation à cette tâche prioritaire : « enseignement de l’esprit d’entreprise à l’école, témoignages d’entrepreneurs dans les écoles, stages auprès d’entrepreneurs expérimentés, extension de la formation entrepreneuriale à l’université, davantage de filières en commerce et gestion (de type MBA), adéquation entre la formation à l’esprit d’entreprise et les programmes de recherche publics .
Cette « inoculation « de l’esprit d’entreprise passe par de multiples actions que la Commission européenne sélectionne comme autant de « bonnes pratiques » à imiter : informer les jeunes sur les métiers de chef d’entreprise, multiplier les stages de professeurs en entreprises, organiser visites et conférences données par les organisations patronales (Belgique), distribuer des bandes dessinées (Luxembourg), constituer un peu partout des « mini-entreprises » dans les établissements scolaires . En France, cette orientation s’applique également, par exemple dans le cadre des semaines « école–entreprise » organisées conjointement par le MEDEF et le ministère de l’Education nationale et dont la présentation ne laisse aucun doute sur les finalités : « La Semaine 2003 mettra en oeuvre toutes les actions de partenariat et de réciprocité possible : des échanges entre responsables d’entreprise et responsables d’établissements scolaires, des visites d’élèves dans les entreprises pour les sensibiliser à la réalité des entreprises et aux différents métiers exercés, mais aussi des visites, voire des stages de plusieurs jours pour les enseignants qui souhaitent améliorer leurs connaissances de l’entreprise. Des journées entières à l’école pour des chefs d’entreprise également, tout spécialement incités à retourner le temps d’un ou deux cours dans l’école de leur jeunesse, pour expliquer, dialoguer, établir des passerelles, faire souffler l’esprit d’entreprendre. »
Quant à la Commission, elle propose une liste complète des « idées positives » à transmettre aux élèves : « Les entrepreneurs sont les forces motrices de l’économie de marché et leurs réalisations procurent à la société richesse, emplois et choix diversifié pour le consommateur. En réponse aux attentes accrues du public en ce qui concerne l’impact de l’activité entrepreneuriale sur la société et l’environnement, de nombreuses grandes entreprises ont adopté des stratégies formelles de responsabilité sociale. Il s’agit notamment de l’intégration volontaire des préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et de leur interaction avec les parties prenantes, reconnaissant que le comportement responsable de l’entreprise peut contribuer à sa réussite. Un tel comportement peut inclure, par exemple, l’engagement de produire d’une manière respectueuse de l’environnement (« éco-efficacité ») ou de respecter les préoccupations du consommateur et d’adopter une attitude conviviale à son égard. Les PME font preuve d’un « esprit d’entreprise responsable » de manière plus informelle même si elles sont au centre de nombreuses activités profitant à la société. L’esprit d’entreprise peut également jouer un rôle actif au niveau de la prestation efficace de services dans le domaine social, de la santé et de l’éducation. Les entreprises de l’économie sociale associent les parties prenantes à la gestion et à la prestation de ces services, en privilégiant l’innovation et l’orientation vers le client. Une telle approche permet de compléter les ressources publiques et d’étendre la gamme des services offerts aux consommateurs. »
Les divers organismes patronaux européens soutiennent évidemment une telle apologie unilatérale qui laisse bien peu de place à l’observation objective et à l’esprit critique. L’UEAPME, (l’association européenne des PME et de l’Artisanat ), par la voix de son président M. Müller, soutient que « la création d’une nouvelle image et d’une nouvelle culture devrait débuter beaucoup plus tôt à l’école. Il est essentiel d’encourager l’esprit d’entreprise déjà à l’école primaire ».Et il ajoute : « Jusqu’ à présent, les systèmes d’éducation en Europe n’ont pas été très créatifs à ce sujet. Le contact avec l’esprit d’entreprise intervient trop tard dans le processus éducatif et l’image des entrepreneurs transmises par les manuels scolaires est rarement positive » . L’association des PME plaide pour une approche de la Commission plus contraignante et plus ciblée vis-à-vis des Etats Membres pour accélérer la mise en œuvre d’une politique beaucoup plu favorable aux entreprises.
« La France qui travaille et vend son travail »
Cette ligne générale qui s’est affirmée à la fin des années 1990 dans les pays européens a pris ces derniers mois un caractère national un peu particulier. Comme on sait, le patronat et le gouvernement français ont lancé une grande offensive contre la « France paresseuse » et la « culture de l’oisiveté » symbolisée par la RTT .Il s’agit de remettre la « France d’en bas » au travail. Ernest-Antoine Sellière, dans son discours de combat « En avant l’Entreprise, En avant la France ! »déjà cité déclarait ainsi : « Les 35 heures sont un poison à diffusion lente qui pénètre dans la sociologie française de telle manière qu’en réalité on privilégie le temps personnel du loisir sur le temps d’entreprise et le temps du travail. Or il n’y a pas de réussite possible les bras croisés. Les 35 heures sont un frein, nous devons faire en sorte que les dispositions qui nous empêchent d’entreprendre comme les autres soient modifiées. » Michel Pébereau, l’un des grands initiateurs de l’Université de l’Institut de l’Entreprise, s’est particulièrement illustré par ces propos aussi cyniques qu’approximatifs dirigés contre la dans un article récent du Monde . Il y expliquait que ce sont les entreprises françaises qui ont conquis le « succès macroéconomique « de la France dans les années 90, et « qu’elles l’ont conquis dans la microéconomie , c’est-à-dire dans le monde réel ». Seuls les Français exerçant une « profession marchande » sont responsables des succès et de la prospérité, selon lespropos du PDG de la BNP et pas les autres, qui, si l’on comprend bien, constituent un boulet. Etrange conception de l’économie et conception bien réductrice de la production et de la richesse qui ne voit que sa partie marchande. Quant au travail, Michel Pébereau qui se pique d’enseigner « l’économie réelle » aux enseignants de Sciences économiques et sociales, il fait comme si seule sa quantité était cause de richesse en oubliant ses dimensions essentielles dans les économies les plus développées que sont sa qualité et sa productivité. Et enfilant les clichés et les lieux communs il fait comme si le chômage n’était dû qu’à « une surréglementation » et à des coûts trop élevés. A partir d’une analyse aussi biaisée idéologiquement, les remèdes sont simples : ce sont ceux de l’ultra-libéralisme sur lequel il faudrait s’aligner :réduction de l’Etat, réduction des dépenses sociales et des salariés et surtout augmentation du temps de travail par allongement du travail dans la semaine et dans l’année et par l’entrée des jeunes plus tôt dans la vie active et la sortie des travailleurs âgés plus tardive. En résumé, la vision du monde de celui qui est maintenant l’un des responsables de la formation des professeurs de sciences économiques et sociales est simple et tient en deux mots : Travail et Marché. La mondialisation « positive » impose donc que les Français travaillent plus et acceptent de vivre dans une société de plus en plus marchande. Il s’agit selon les mots de Michel Pébereau de renforcer « La France qui travaille et vend son travail ».
Pourquoi le ministre Luc Ferry soutient-il cette opération au point de lui donner une portée symbolique considérable en ouvrant lui-même solennellement les deux journées de l’Institut de l’Entreprise ?
On aurait pu en effet penser, avec peut-être un peu de candeur, que Luc Ferry, qui ne cesse de clamer son refus de la »marchandisation » et de la »privatisation de l’école » et son attachement aux valeurs républicaines, se serait logiquement opposé à cette ingérence directe et massive des entreprises privées dans les contenus d’enseignement et dans la formation des enseignants. En réalité, nous avons là un témoignage supplémentaire du double langage dont ce ministre est coutumier, et dont on s’est aperçu à l’occasion de la décentralisation ou de la réforme de l’université. Mais surtout, on doit désormais s’interroger sur la coïncidence de l’attaque gouvernementale contre les acquis sociaux, dans la plus pure logique du Workfare à l’anglo-saxonne, et la restauration de la « valeur du travail » que Ferry a placé au cœur de son projet de réforme de l’école, ainsi qu’il le rappelle opportunément dans un article du Monde intilulé : « Réhabiliter le travail :à l’école aussi » . Car par un sens de l’opportunité politique certain et par une confusion intéressée, laquelle alertera certainement tous les philosophes et les citoyens intéressés par la chose publique, Luc Ferry réduit les valeurs de la République à la discipline laborieuse de l’entreprise, à la contrainte qui s’impose dans le contrat de subordination du salariat, quand on avait, depuis Kant et Condorcet, toujours entendu et attendu dans l’idée républicaine de l’école, les exigences de l’émancipation intellectuelle.
Luc Ferry, tordant de façon spécieuse l’idée républicaine de l’école pour mieux l’embarquer dans la galère néo-libérale, fait semblant de ne pas voir le sens réel de l’orientation du patronat et du gouvernement français en faveur de la « valeur travail » : il ne s’agit pas de la discipline intellectuelle nécessaire à l’acquisition des savoirs les plus fondamentaux , les plus ardus ou les plus nobles dont les entreprises n’ont que faire, il s’agit très exactement de ce que Michel Pébereau – plus honnête intellectuellement sur ce point- appelle la « valeur marchande » du travail. D’où il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette pseudo-restauration de la « valeur travail », appelée par le patronat français, le gouvernement Raffarin et quelques philosophes ministériels, n’aura pas pour effet le renforcement de l’autonomie d’une école républicaine –bien improbable dans une société que l’on veut de plus en plus « marchande »-mais bien sa soumission croissante à la logique des marchés et à l’emprise des entreprises. Avec le néo-libéralisme, la régression n’est pas seulement sociale et politique, elle est également philosophique. C’est bien toute la construction de l’Etat social et éducateur, jusque dans ses fondements idéologiques, qui part en lambeaux et les élites dominantes des affaires, du pouvoir et de la pensée autorisée se donnent la main pour démolir l’édifice ancien.
On voit également par là que l’Institut de l’Entreprise quand il a entrepris avec l’aide de l’Inspection de Sciences économiques et sociales et la bénédiction du Ministère de l’Education nationale d’offrir une « image positive » des entreprises dans la mondialisation et de convertir en priorité les « formateurs » à la « bonne nouvelle » n’a fait qu’appliquer une orientation qui installe un véritable magistère patronal sur l’école. Le principe de cette politique étant la confusion systématique entre un enseignement vraiment scientifique et une conception purement promotionnelle et idéologique d’intérêts privés, l’événement que constitue cette « université », aux antipodes de la politique républicaine affichée, témoigne une fois de plus de la violence du « mensonge déconcertant » dans laquelle ce gouvernement nous enferme . Faut-il donc croire Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, lorsque ce dernier a insisté , lors du point presse d’octobre de l’organisation patronale, sur son « partage de vue » existant sur la question des relations école-entreprise avec Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, qui a rencontré récemment l’organisation patronale ? Beaucoup d’indices montrent que l’alliance du MEDEF et du Ministère de l’Education nationale doit être prise très au sérieux par les tenants de la laïcité et du pluralisme dans le monde scolaire.
ENCADRÉ n°1
L’institut de l’Entreprise
Qu’est que l’IDE ?
On présente volontiers dans les documents du Ministère et de l’Inspection les membres et les responsables comme des représentants du « monde réel », les émanations spontanées du « terrain ». Des gens sans idéologie, sans stratégie. En réalité, les principaux responsables de cette opération sont des partisans d’une conception très particulière de la société et de l’école, une conception ultra-libérale pour laquelle ils militent depuis longtemps.
L’Institut de l’Entreprise (IDEP) est une association (loi de 1901) créée en 1975 par une trentaine de grands groupes. Elle regroupe aujourd’hui 120 grandes sociétés présentes dans l’ensemble des secteurs économiques et réalisant plus de 20 % du PIB marchand. Elle est présidée par Michel Bon, PDG de France Télécom. Elle se veut un « organe de réflexion indépendant de tout mandat syndical ou politique qui soit capable de les aider à définir leur propre stratégie en prenant le temps et les moyens nécessaires à la présentation d’analyses approfondies axées sur les progrès du management et les thèmes de société propres à l’environnement des entreprises » selon la présentation qu’en donne Jean-Pierre Boisivon, le délégué général. L’ambiguïté de cette mission est réelle :officiellement lieu de réflexion stratégique pour les entreprises, elle se veut concrètement une think tank engagée dans le combat idéologique, capable d’influencer le monde politique médiatique et enseignant. L’une de ses meilleures illustrations est d’ailleurs l’action de « formation »menée en direction des enseignants de SES, considérés au mieux comme des keynésiens attardés et au pire comme des marxistes dangereux.
« Melchior » est le nom du site éducatif qui défend le rôle positif des entreprises. Son principal promoteur Jean-Pierre Boisivon, ancien directeur de l’Essec et ancien directeur des études de la prospective au ministère de l’éducation nationale, expliquait dans Le Monde que « Les entreprises n’ont pas vraiment réalisé ce qui s’est passé dans le système éducatif depuis le milieu des années 80 ». (…)« Aujourd’hui, les deux tiers d’une classe d’âge arrivent au niveau du bac : le lycée joue le même rôle de structuration de la société que l ’école primaire au début du siècle. Il est donc légitime qu’elles se préoccupent de ce qui est enseigné en économie. »
Le fil conducteur de cette démarche est de privilégier l’approche micro-économique et le rôle de l’entreprise comme agent de croissanceet dispensateurd’emploi. « Dans les quatre ou cinq manuels les plus utilisés, l’approche est avant tout macro-économique ; elle privilégie le rôle des politiques publiques et s’appuie sur une conception keynésienne plus théorique que descriptive. ». Ce sont ces orientations qui font la part trop belle à l’Etat, aux institutions et au cadrage de la législation qu’entend précisément combattre L’institut de l’Entreprise, clairement engagé –surtout à travers sa filiale de l’Observatoire des dépenses publiques- pour une politique libérale de réduction drastique du rôle de l’Etat, de la dépense et de l’emploi publics . On comprend que l’argument des « entreprises dans la mondialisation » ait une valeur stratégique : c’est ce qui permet de demander à la fois la baisse des charges, l’augmentation de la durée du travail et la dérégulation.
Les responsables de L’institut de l’Entreprise sont tout sauf des gens idéologiquement neutres. Ce sont au contraire des militants très engagés de la cause ultra-libérale.
Michel Pébereau, PDG de la BNP et vice-président de L’institut de l’Entreprise a coordonné les travaux d’élaboration du site Melchior . Il est l’auteur d’une étude intitulé le capitalisme français du XXIème siècle d’avril 1995 dont les objectifs politiques et militants sont explicites à partir du résumé qu’en donne le site de l’IDE : « Partant du constat admis par tous que l’internationalisation des échanges est un phénomène incontournable, annonçant le triomphe du capitalisme au XXIème siècle, les auteurs de cette étude ont porté leur réflexion sur les moyens d’améliorer et de consolider le capitalisme hexagonal jugé encore trop résiduel. Quatre priorités ont été retenues : rendre le système juridique compétitif, orienter l’épargne vers l’entreprise, valoriser les actionnaires et établir une nouvelle relation entre l’entreprise et ses salariés. »
Jean-Pierre Boisivon, qui pilote l’ensemble de cette OPA sur les sciences économiques et sociales a une conception pour le moins particulière de l’éducation : le délégué général de l’Institut de l’Entreprise, lors des « entretiens de Friedland » organisés par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris en février 2002, n’hésitait pas à dire que la révolution technologique , « réserve d’efficacité et de productivité » du système d’enseignement, allait bouleverser le métier d’enseignant non pas en mettant « l’enfant au centre du système » mais l’élève-client « au centre du marché éducatif ». On ne saurait être plus explicite sur la conception que ce collaborateur maintenant officiel du Ministère de l’éducation nationale se fait de l’école . ..
ENCADRÉ N°2
COMMUNIQUE snes
Quand le ministère de l’éducation nationale donne le monopole
de la formation des professeurs de SES à l’IDE (Medef)
L’éducation nationale a-t-elle donné le monopole de la formation des professeurs de SES à l’IDE (Institut de l’Entreprise) proche du Medef ?
Monopole de l’information sur le site du ministère puisque le site de l’IDE est le seul annoncé bien que le service public ait celui du CNDP (Scéren).
Monopole des stages longs puisque les seuls stages longs de formation continue (4 mois) auxquels les enseignants de SES peuvent prétendre après sélection par l’Inspection ont lieu au sein d’une entreprise qui en définit unilatéralement le contenu. Pour ces stages en entreprise, le Ministère de l’Education nationale se découvre des ressources pour payer le remplacement des enseignants partis en stage alors que dans le même temps les académies ont vu fondre leurs moyens de formation continue.
Monopole de la seule « université » de l’année : les 23 et 24 octobre auront lieu deux jours de « formation », validés par le plan national de formation, payés par l’éducation nationale au profit de l’IDE, et inaugurés par Luc Ferry. Le programme portant seulement sur le rôle des grandes entreprises dans la mondialisation, des ateliers doivent être animés par les responsables des grandes entreprises françaises, un seul syndicaliste étant invité, François Chérèque. Non seulement les chercheurs et universitaires spécialisés en sont exclus mais est écartée toute force critique de la mondialisation libérale. En organisant cette « université » le ministère fait le jeu d’un groupe de pression idéologique : alors que dans le même temps, le président Chirac va mettre en place un Observatoire de la mondialisation ouvert à tous les acteurs, ONG et syndicats compris.
Avec ce triple monopole, ce n’est plus d’une tentative de pénétrer le monde de l’école dont il s’agit, comme à travers les Masters de l’économie, jeu visant à faire boursicoter les élèves pour gagner un prix.
Il s’agit là d’une volonté affichée d’encadrer et de contrôler une profession qui s’est toujours définie, dans sa pratique, par la recherche de la multiplicité des points de vue, des approches, et des sources.
Pour respecter les principes de laïcité et de pluralisme, le SNES demande que le ministère finance une « université » équivalente avec les acteurs critiques de la mondialisation.
Paris le 30 septembre 2003
ENCADRÉ N°3
Association des Professeurs de
Sciences Economiques et Sociales
COMMUNIQUE DE PRESSE – 3octobre 2003
L’Education nationale et l’Institut de l’Entreprise organisent les 23 et 24 octobre 2003, au lycée Louis le Grand de Paris, « les entretiens de Louis Le Grand », une rencontre entre les professeurs de Sciences Economiques et Sociales et les dirigeants des grandes entreprises sur le thème « les entreprises dans la mondialisation », à l’effet de montrer le « rôle moteur de entreprises » dans le processus de mondialisation et de « s’interroger sur les conditions qui permettent à la mondialisation de devenir un jeu à somme positive pour toutes les parties prenantes ».
Cette « université d’automne » s’inscrit dans le cadre d’un contrat de partenariat entre l’Education nationale et l’Institut de l’Entreprise qui s’est traduit, depuis 2 ans, par l’organisation de stages en entreprise proposés aux enseignants de Sciences Economiques et Sociales et la création d’un site internet proposant des cours de terminale (site Melchior auquel renvoie le site ministériel Educnet).
Malgré ses demandes réitérées, et une lettre ouverte adressée au Ministre de l’Education en février 2003, co-signée par le SE-UNSA, SGEN-CFDT, SNES-FSU, SUD-Education, l’Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales (APSES) n’a pu obtenir que soient rendus publics les termes de ce partenariat exclusif ni les critères de sélection des enseignants conviés à ces stages, coûteux pour l’Education Nationale au moment où les crédits de la formation continue, organisée par le ministère, sont réduits à la portion congrue et les universités d’été supprimées.
Tout en réaffirmant la nécessité d’une formation continue assurée par le Ministère et non par des organismes privés, l’APSES considère que si cette politique de partenariat se maintient, elle ne peut être réservée à un seul organisme en situation de monopole mais doit s’étendre à d’autres institutions ou organisations et l’appel à candidature doit se faire par appel d’offres.
En outre, les seuls intervenants de cette « université », (hormis François Chérèque, secrétaire général de la CFDT et Claude Martin, Président de VVF International) sont des responsables de grandes entreprises.
L’APSES réaffirme que la fonction d’un enseignement n’est pas de présenter une vision idéalisée de la réalité économique et sociale mais d’en montrer tous les aspects, par des approches pluralistes validées scientifiquement. Et si, au delà de ces approches scientifiques et théoriques, il s’agit d’étudier le phénomène de la mondialisation avec l’intervention des acteurs de la mondialisation, c’est à l’ensemble des acteurs de la mondialisation qu’il faut faire appel et non aux seuls chefs d’entreprises.
L’objectif de ces « entretiens » organisés sous l’égide du Ministre de l’Education Nationale, et dont le programme prévoit en ouverture la présence du Ministre Luc Ferry aux côtés des P.D.G. des grands groupes ainsi que celle de Xavier Darcos en clôture, est–il de contribuer à la promotion des entreprises ?
Cette démarche doit-elle être comprise comme une remise en question de l’enseignement de Sciences Economiques et Sociales ?
L’enseignement de SES et plus largement l’éducation doivent-ils être confiés à des acteurs privés risquant de confondre enseignement de l’économie et défense des intérêts des entreprises, intérêt général et intérêts privés ?.
Imaginerait-on de confier l’enseignement de la médecine aux laboratoires pharmaceutiques ou à la Caisse d’Assurance Maladie ?
L’APSES s’interroge sur cette démarche, visant à contribuer à la formation des professeurs de Sciences Economiques et Sociales, qui est à l’opposé des principes même de l’enseignement de S.E.S.
L’APSES a sollicité ses différents partenaires (syndicats, associations de parents…) pour organiser conjointement avec elle une conférence de presse le mercredi 22 octobre.
Pour le bureau national,
Edwige CORCIA (secrétaire générale)