Published On: 15 juin 2021Categories: Colloques, séminaires, congrès

L’Institut de la FSU au congrès de Metz

Intervention de Paul Devin, président de l’IR.FSU au congrès de Metz

Chères et chers camarades,
Nous avons quelques raisons de nous inquiéter de l’avenir du syndicalisme et donc de l’avenir de nos organisations syndicales. La plus visible sans doute résulte des évolutions de la syndicalisation. Un seul chiffre suffira, qui transcende les inquiétudes particulières de chacune de nos organisations : aux temps du Front populaire, comme au lendemain de la Libération, le taux de syndicalisation dépassait les 45% . Il était encore de plus de 20% dans les années 70… il est aujourd’hui inférieur à 10%.
D’aucuns veulent l’expliquer par une réalité psychosociologique qui caractériserait les générations nouvelles par un égoïsme et un individualisme tel que ces jeunes générations mépriseraient toute action collective pour ne s’intéresser qu’à l’épanouissement de leur destin individuel. Nourris par un rejet des idéologies marxistes et une fascination pour la consommation capitaliste, elles mépriseraient l’action collective et ses finalités d’intérêt général.
Point n’est besoin d’un travail sociologique très élaboré pour percevoir que de telles représentations sont parfaitement incapables de traduire la complexité des relations des jeunes à l’engagement. D’autant que certaines formes d’engagement sont agies par les jeunes générations de façon durable et dans la perspective de la construction d’alternatives d’avenir. Et là encore méfions-nous des analyses rapides qui voudraient faire croire à un fondement post-matérialiste de ces engagements qui rejetterait toute perspective sociale.
Ce qui paraît davantage réel, c’est que les évolutions du travail, notamment du fait de la précarisation de l’emploi et de ses conséquences sur une moindre inscription dans les collectifs de travail, engendrent un empêchement à l’action syndicale. Bien des travaux, notamment ceux de Sophie Béroud ou de Fanny Chartier, ont remis en cause « l’idée reçue d’un désamour de la jeune génération envers les organisations syndicales » pour montrer au contraire que « les jeunes croient encore à l’action collective au travail mais sont pour partie « empêchés » d’y prendre part ».
Pour autant, nous ne pouvons évidemment pas écarter des facteurs internes à nos organisations.
Le plus fréquemment entendu est celui qui accuserait un fonctionnement trop institutionnalisé pour entendre la demande réelle des travailleurs précaires et pour accueillir de jeunes militants. Mais là encore les études montrent que les choses sont plus complexes et bien souvent le lien entre l’institutionnalisation et l’attractivité du syndicalisme est davantage guidé par une vision a priori de préférence pour l’action syndicale spontanée que par une véritable analyse capable de constater un lien de causalité avec la diminution de l’attractivité syndicale. D’ailleurs si des formes non institutionnalisées ont récemment vu le jour et été capables d’attirer des non syndiqués, elles sont loin d’avoir fait la preuve de leur capacité à construire des revendications claires et unifiées et de leur aptitude à stabiliser un engagement au-delà d’un enthousiasme réel mais peu durable voir parfois fugace.
En organisant le colloque de juin 2021 sur le syndicalisme face aux défis du XXIe siècle, l’Institut de recherches de la FSU ne s’est pas tant penché sur l’analyse causale de nos difficultés que sur la formulation de quelques points qui sont apparus au travers des recherches de nos chantiers comme des objets incontournables de réflexion, d’analyse et d’échanges pour faire face aux enjeux actuels et futurs du syndicalisme.

Nous en avons retenu quatre.

Le premier se fonde sur le constat de devoir mieux prendre en compte les nouvelles formes d’emploi. Pour le champ de syndicalisation qui nous concerne, celui de la fonction publique, c’est essentiellement la question des contractuels. Si la volonté de prendre pleinement en compte leur situation et leurs revendications est désormais acquise au sein de notre fédération et de ses syndicats, nous devons convenir que nous avons mis du temps à le faire. Non par mépris ou par désintérêt mais parce que la perspective d’une titularisation générale amorcée dans le sillon de la loi de 1983 laissait penser que le combat essentiel était celui-là. Sans doute pensions-nous que la question des conditions de travail des contractuels était soluble dans les plans de titularisation. N’oublions pas que jusqu’aux années 2000, dans la fonction publique d’État, le nombre de contractuels ne cessait de diminuer et que le renversement de tendance, engagé au début du XXIe siècle, n’a pas été immédiatement perceptible dans son importance quantitative. Toujours est-il que les équilibres ne sont pas toujours évidents à trouver entre l’affirmation persistante de notre attachement au statut et la défense des intérêts des contractuels tant sur le plan de leurs rémunérations que de leurs conditions de travail, et tout cela sans renoncer évidemment à revendiquer leur titularisation.
Voilà un objet de travail indispensable pour les années à venir. Un des chantiers de l’Institut s’y attache tout particulièrement depuis peu.

Le second point de réflexion concerne la prise en compte des enjeux environnementaux dans l’action syndicale. Il ne s’agit pas seulement de porter les urgences d’une prise de conscience mais d’en penser les articulations avec le travail et l’emploi et cela dans les exigences de l’égalité et de la justice sociale. C’est bien pourquoi, le chantier de recherches créé il y a deux ans au sein de l’Institut a délibérément voulu affirmer son objet de travail dans les relations entre écologie et justice sociale.
Là encore, les cultures syndicales n’étaient pas spontanément prêtes à s’approprier les questions environnementales. Sans doute parce que parfois les revendications écologiques semblaient menacer l’emploi industriel ou énergétique. Ce dilemme est en train d’être dépassé par la certitude de plus en plus souvent partagée d’une transition écologique créatrice d’emplois. Et la crise sanitaire COVID a rendu plus visible encore les limites d’un système capitaliste et productiviste qui détruit les équilibres sociaux en détruisant les équilibres environnementaux. C’est ce que notre fédération a dit au sein de « Plus jamais ça » en affirmant : « Pas d’emplois sur une planète morte » pour défendre la conviction que sauver le climat n’est en rien contradictoire avec le fait de créer des emplois et de défendre des droits.

Le troisième point concerne les relations entre antiracisme, féminisme et question sociale. D’aucuns défendent, au nom de l’universalisme que ces revendications spécifiques puissent produire des enfermements identitaires et l’abandon de la perspective d’une transformation sociale fondée sur la lutte des classes. Le piètre débat public sur le wokisme est loin de venir simplifier la donne. Le risque est réel qu’un malentendu, nourri par des volontés réactionnaires ou discriminatoires nous clive dans une polarisation binaire entre l’universel et l’identitaire. Or nous pouvons au contraire faire le choix d’une cohérence entre les luttes sectorielles et la lutte sociale. Elle aurait pour vertu première d’exiger que nous pensions l’universalisme des droits dans son effectivité pour toutes et tous et non par son simple énoncé. Et pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le sujet, nous ne devons pas hésiter à affirmer avec la même vigueur notre attachement à l’universalisme et le constat, pour reprendre l’expression de notre camarade Alain Policar, que cet universalisme a été dévoyé. Il l’a été par les obsessions du pouvoir masculin, par les violences du colonialisme et les dominations économiques du capitalisme. Là encore, l’exigence de la réflexion, du débat, de la recherche est nécessaire pour que nous ouvrions les yeux sur la réalité des discriminations sans pour autant que nous soyons dupes de perspectives identitaires ou de motivations compassionnelles incapables de les penser dans les perspectives de la transformation sociale.

Le quatrième et dernier point concerne la question des relations entre syndicalisme et politique. Bien sûr, nous restons profondément attachés à l’indépendance syndicale vis-à-vis des partis politiques. Mais ne confondons pas cela avec une volonté de dépolitiser le syndicalisme. Si le congrès d’Amiens a affirmé les nécessités de l’indépendance, il n’en a pas moins donné au syndicalisme les ambitions, pour reprendre son expression, d’une « seconde besogne » celle qui, au-delà de la première centrée sur les luttes pour les salaires et les conditions de travail, donne au syndicalisme l’ambition d’une transformation politique vers une société où les inégalités de classe sociale seraient abolies par la suppression de ces classes sociales. Gardons-nous, parce que nous serions dans l’inquiétude des baisses d’adhésions, de nous réfugier dans un syndicalisme qui se voudrait seulement utilitaire. Nous ne renouerons avec les générations les plus jeunes qu’à condition de leur donner à voir les perspectives d’une société nouvelle qui aura renoncé aux dominations capitalistes.

Ces quatre questions, l’Institut de recherches de la FSU a voulu les mettre au travail dans le colloque de juin 2021 et dans cette publication qui vous est offerte à l’occasion de ce congrès.

Je remercie Benoît Teste et les camarades organisatrices et organisateurs du congrès de nous avoir offert l’opportunité, par cette intervention, de vous rappeler que ce travail, l’Institut a l’ambition de le mettre au service de l’action militante syndicale et cela autant du fait ses objectifs statutaires que par la volonté des camarades qui font vivre notre Institut aujourd’hui. Nos recherches ne peuvent avoir de sens qu’à la condition qu’elles servent la réflexion, le débat et l’action de notre fédération et de ses syndicats nationaux. C’est pourquoi nous devons renforcer nos liens.
Notre coopération avec le Centre de formation de la FSU doit se développer davantage encore parce que la formation syndicale constitue l’espace évident d’exercice de ces liens. Mais au-delà, il faut que davantage de militants actifs rejoignent nos chantiers. Et tout particulièrement des femmes parce que nous devons constater que la domination masculine s’exerce encore par le déséquilibre d’effectifs dans nos murs et qu’il ne suffit pas de le constater et de le dénoncer pour parvenir à l’égalité réelle.
Mes chères et chers camarades, nous vous invitons à ce renforcement de nos liens parce que vous avez besoin de nous parce qu’il n’y a pas d’action syndicale qui puisse de dispenser de la réflexion et du débat…. Mais aussi parce que nous avons besoin de vous, parce que nos travaux perdraient leur finalité s’ils ne se confrontaient pas à la réalité de vos préoccupations et au quotidien de vos luttes.
Et dans cette période où les propos réactionnaires n’hésitent pas à déformer l’histoire au mépris des plus élémentaires vérités, où les accusations de wokisme brandissent les menaces de périls fantasmés par la haine et la volonté éperdue de maintenir les pouvoirs au mépris de l’égalité, où le discours médiatique préfère la punchline et la simplification binaire au débat intellectuel et à l’analyse rigoureuse … l’impératif de débats, de réflexions, de recherches prend une dimension de nécessité encore plus absolue.
Dans le fameux discours des deux méthodes où Jean Jaurès et Jules Guesde débattirent à Lille en 1900 au sujet de leurs divergences, Jaurès pour en appeler à l’unité rappelait que toutes les révolutions n’avaient pu s’accomplir que parce que la société nouvelle, avant de s’épanouir, avait pénétré par toutes les fissures, par toutes ses plus petites racines, dans le sol de la société ancienne. Voilà notre ambition, pénétrer la société ancienne par toutes ses fissures pour que germent les espérances de l’égalité.
Voilà pourquoi, nous avons souhaité vous redire, chères et chers camarades, à l’occasion de ce 10ème congrès de notre fédération, la volonté de l’Institut de recherches de la FSU de contribuer, dans le pluralisme, la rigueur et la volonté d’intelligibilité qui caractérisent statutairement ses buts, de contribuer aux débats démocratiques nécessaires à la construction de notre projet de transformation sociale pour une société libre, égalitaire, fraternelle.

Réponse de Benoît Teste, secrétaire général de la FSU

Cher Paul, chères et chers camarades de l’Institut,

Je tiens d’abord à vous remercier chaleureusement pour cette intervention qui prouve une fois de plus que l’Institut allie lucidité et enthousiasme militant, nous avons bien besoin des deux pour construire l’avenir de notre syndicalisme.

Ce faisant, votre travail de déconstruction d’un certain nombre d’idées reçues nous est particulièrement utile. Le dernier ouvrage que vous avez présenté et qui a été remis aux congressistes est en particulier un outil précieux pour montrer que notre volonté affichée de refonder le syndicalisme, si elle doit bien entendu mesurer toutes les difficultés auxquelles nous avons à faire face, ne saurait prendre la forme principale de lamentations sur le mode du « c’était mieux avant » qui conduit vite vers un « tout est foutu » pour le moins paralysant.

Non, l’action collective n’a pas disparu du champ des possibles. Et oui, les militantes et les militants que nous sommes ont besoin de se l’entendre dire à nouveau, d’en prendre toute la mesure pour aller de l’avant. C’est ce que fait très bien cet ouvrage qui sera, j’en suis sûr, utile à l’activité de toutes et tous.

La manière de présenter les enjeux « en positif », en montrant bien la nécessité mais aussi l’intérêt d’« ouvrir » le syndicalisme sur le monde d’aujourd’hui, est particulièrement riche de perspectives. Je partage donc complètement les 4 objets de réflexion pour l’institut tels qu’ils ont été présentés.
Oui, nous devons aller vers l’ensemble du monde du travail, à commencer par les plus précaires des personnels, les contractuel·les dans notre champ de syndicalisation, et au-delà nous devons participer aux réflexions en cours dans le syndicalisme pour parvenir à toucher et à intégrer à l’activité collective l’ensemble du salariat.
Oui, nous devons investir les questions écologiques non comme un supplément d’âme mais comme une partie complètement intégrée à toute l’action syndicale.
Oui, les questions de l’égalité, de l’antiracisme, du féminisme, sont à articuler pour qu’elles soient davantage qu’aujourd’hui, de véritables questions syndicales. Je suis convaincu que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes est LA question revendicative majeure à continuer à travailler, elle doit faire l’objet de réflexions approfondies pour permettre aux militant·es de mieux s’approprier les enjeux féministes. Les questions « identitaires » ont agité les débats de la pire des manières, sous la pression de la droite et de l’extrême droite qui ont voulu fracturer la société, il y a donc urgence à reprendre la main sur ces questions, à ne laisser aucun espace au racisme, à développer notre projet humaniste.
D’où un quatrième oui à la question du rapport au politique : indépendance ne signifie pas indifférence, nous le savons bien, et donc les formes du rapport au politique sont sans cesse à réinterroger, il en va de notre capacité à influer sur le cours des choses…

Je réponds donc évidemment aussi par l’affirmative aux questions et suggestions qui ont été faites, à la fois sur la nécessité que l’institut travaille encore davantage en lien avec toutes les composantes de la FSU, qu’il puisse irriguer l’activité militante à tous les niveaux de la FSU et qu’en retour il puisse s’appuyer sur une contribution de toute la FSU à la qualité de ses travaux. De ce point de vue, il faut impérativement renforcer encore l’investissement de toutes et tous dans l’Institut, en particulier travailler la parité parmi les camarades engagé·es dans l’institut, comme tu l’as souligné.

Merci donc de votre engagement, la réflexion au service de l’action et inversement, continuons à bâtir toutes et tous ensemble le syndicalisme du XXIe siècle !

Vers le états généraux du syndicalisme
Jean-Michel Drevon, secrétaire général de l’IR.FSU

Quel terrible défi que de tenir un congrès d’une telle importance dans un contexte sanitaire et social qui rend les débats difficiles.
Alors que l’éclatement, voire la fragmentation semble devenu la règle, parfois avec une violence inquiétante. Alors que la jeunesse ne se reconnait plus dans ce vieux monde, on pouvait craindre un congrès tétanisé et morose.
Tel ne fut pas le cas !
Les quatre grandes questions développées dans le livre de l’institut, distribué aux congressistes, ont été au cœur des débats du congrès.
Les modifications profondes du « travail », la prise en charge au sein de la lutte syndicale des discriminations vécues par les femmes et les racisé.es, l’indispensable alliance des dimensions écologiques et sociales et enfin toutes les questions liées à la crise du syndicalisme et à sa capacité de répondre aux défis du XXIème siècle, aucun évitement quelles que soient les difficultés.
L’appel lancé par le congrès « regroupons-nous, syndiquons-nous, mobilisons-nous, imposons dans le débat les alternatives écologistes, humanistes et de progrès social, imposons la justice sociale et environnementale, refusons la régression fasciste, les replis identitaires, la xénophobie. » (voir ci-dessous), tout comme le texte « action » adopté à plus de 90% montre clairement la détermination de la FSU à y participer activement.
Les interventions de Murielle Guilbert pour Solidaires et Philippe Martinez pour la CGT ont été un moment fort et dynamisant du congrès. Cela a sans aucun doute contribué à cet appel de la FSU qui propose « … au mouvement syndical de transformation sociale d’aller vers des états généraux du syndicalisme qui permettraient de dessiner les contours d’un syndicalisme refondé, plus fort et plus efficace. »
Comme l’a démontré l’intervention de notre président au congrès l’institut est prêt à s’investir dans cette feuille de route qui répond en partie aux questions soulevées par le colloque de Juin 21 dont les actes viennent d’être publiés.

La publication de l’IR.FSU qui fait suite au colloque …. en vente ici

Des militants réagissent …

Rachel SCHNEIDER, SNUipp-FSU

De 45% de syndiqués à la Libération, nous en sommes donc à moins de 10%… Pourtant, comme l’a rappelé l’IR.FSU au congrès de Metz, de nombreux jeunes ont un engagement fort. A Calais, les militant·es qui soutiennent les exilé·es, en subissant elles et eux-mêmes des représailles policières qui les épuisent, ont 20 ans.
Mais pour se syndiquer, il faut sans doute avoir éprouvé qu’avec ses collègues, on constitue une force collective. Le 27 janvier dernier sur les salaires n’a pas été le rebond que nous espérions. Cela nous montre qu’il est nécessaire, après un temps fort du niveau du 13 janvier, d’aller dans les écoles, établissements et services pour, grâce aux échanges, partager notre perception claire qu’un rapport de forces avait bougé. Que quelque chose était (enfin) possible… à condition de transformer l’essai. Densifier nos liens d’échanges réguliers, directs, avec nos collègues doit être notre priorité.
Et pour donner envie aux collègues de se syndiquer, la FSU peut aussi mieux se faire connaître comme un levier majeur de renforcement de leur professionnalité. Développons stages métiers, « universités » où dialoguent collègues, chercheur·euses, mouvements pédagogiques ou associations professionnelles…
Le congrès de la FSU vient de voter dans son thème 1 « La FSU, par ses syndicats et les stages qu’ils proposent se donne pour ambition d’investir et de poursuivre une réflexion sur les métiers, en lien avec la recherche et en cohérence avec le projet qu’elle porte pour l’école et la société. » Nous n’avons plus qu’à…

Frédérique ROLET, SNES-FSU
Le constat lucide dressé par l’institut de recherches de la FSU sur les difficultés du syndicalisme ne débouche pas sur la déploration ou le défaitisme mais bien au contraire nous incite à réfléchir, travailler pour le faire évoluer et lui donner un nouvel élan. C’est une feuille de route ambitieuse et difficile qui est proposée mais ô combien nécessaire.
Loin des discours rapides sur l’individualisme qui aurait gagné les jeunes générations, la supposée fin de la croyance en des modèles alternatifs d’organisation de la société, il nous est proposé de prendre à bras le corps des questions essentielles pour l’avenir du syndicalisme.
Intégrer dans nos analyses et revendications les nouvelles formes du salariat, donner sens au travail au-delà de l’emploi, penser ensemble les inégalités pour mieux les combattre, lier la question centrale de la transition écologique à son volet social, tracer des perspectives renouvelées d’une société plus juste, œuvrer à l’unification du syndicalisme de transformation sociale, telles sont les problématiques posées par l’intervention de l’Institut au Congrès de la FSU.
Face à la minoration systématique des droits collectifs opérée par le gouvernement dans le public comme le privé, face aux bouleversements que connaissent nos sociétés, elles doivent nous conduire à faire évoluer ensemble notre syndicalisme, dans ses modes de fonctionnement et de structuration sur la place des femmes notamment, dans l’élaboration des revendications et la conduite des actions au plus près des personnels.

Bruno LEVEDER, SNASUB-FSU
Les quatre idées-forces retenues par l’Institut de Recherches de la FSU pour alimenter la réflexion à propos des défis du XXIe siècle du syndicalisme doivent sans nul doute être appréhendés de manière dialectique pour en mesurer toutes les cohérences, quand bien même ils ne représentent pas spontanément un tout homogène. En effet, ils sont le reflet des enchevêtrements des crises léguées par l’histoire du siècle passé et dont les conséquences sont encore actives dans notre présent, la principale étant la globalisation d’un capitalisme néolibéral qui percute tous les modèles et pactes sociaux à chaque manifestation de son offensive. Pour autant, tout n’étant pas dans tout, sur chaque question, il faut en dégager les liens dialectiques utiles.
Dans le format de cette courte contribution, soulignons par exemple le lien dialectique, matériel même, qui existe entre le premier et le quatrième. Comment penser une orientation efficace pour, dans une même dynamique d’action syndicale, soit à même de répondre aux intérêts immédiats des personnels contractuels, d’améliorer leurs diverses situations et de défendre réellement dans le même temps notre revendication d’une perspective de titularisation massive, sans porter de manière combinée la nécessité de réinscrire dans le débat politique une conception du statut général des fonctionnaires qui soit en rupture avec les logiques à l’œuvre et qui mitent ses fondations depuis deux décennies ? Poser la question, c’est y répondre, a minima en termes de nécessité d’intervention de notre réflexion syndicale sur le champ politique. Si le statut a toujours été une construction politique, car la fonction publique est un sujet tel pour tout pouvoir, le mouvement syndical l’a nourri de ses réflexions et revendications tant en 1946 qu’en 1983. Deux moments historiques où la question de la transformation sociale était portée politiquement !

Véronique PONVERT, SNES-FSU
Parmi les responsabilités du syndicalisme, une des perspectives pour relancer sa dynamique serait peut-être à trouver du côté de la jeunesse. Loin de verser dans l’individualisme que certain·es lui prêtent, la jeunesse participe à l’action collective et se mobilise sur les questions environnementales : par les grèves lycéennes/universitaires des vendredis, la participation aux ZAD… La présence de la jeunesse dans les mobilisations féministes, le mouvement Metoo, pour l’égalité et contre les VSS ne fait pas débat. En outre, elle est au cœur de « nouvelles » questions, celles d’identité de genre, qu’il nous faut aussi appréhender.
Il ne s’agit pas de faire de la jeunesse une catégorie à part, mais bien plutôt de voir qu’elle rassemble des problématiques que porte le syndicalisme de transformation sociale : il faut donc qu’il travaille à ouvrir davantage ses revendications aux questions sociétales, comme on le fait dans PJC, et à mieux les visibiliser. Il doit apporter des réponses aux inquiétudes majeures de la jeunesse sur les questions écologiques. Sans abandonner la lutte des classes ni les questions sociales : les jeunes ont plébiscité, par exemple, la question du revenu universel, cela doit interroger le syndicalisme qui place le travail et l’emploi au cœur de ses revendications ; certain·es rejettent aussi le terme de « pouvoir d’achat », parce qu’il fait référence à la société de consommation et au productivisme, contradictoires avec la question environnementale : il faut l’entendre aussi.
Il y a beaucoup d’espoir à regarder du côté de la jeunesse : iels sont indigné·es par les inégalités et les injustices, révolté·es par les discriminations et les racismes, iels s’élèvent contre les atteintes aux libertés… Le syndicalisme peut leur offrir un cadre collectif pour exprimer des revendications que nous partageons, pour construire l’avenir : l’unification du syndicalisme de transformation sociale peut répondre à cet enjeu majeur.

Polo LEMONNIER, SNEP-FSU
L’Institut est un formidable outil au service de notre fédération et de ses syndicats nationaux. Il nourrit nos réflexions, nous permet de nous poser et prendre le recul nécessaire aux travers de ses productions dans un contexte où les militant.es sont pris dans la frénésie de l’activité syndicale liées aux urgences qui s’enchaînent. Ces travaux permettent d’engager des chantiers dans lesquels les regards croisés sont nécessaires pour envisager notre activité dans l’avenir. L’Ecole est le creuset de la nation puisqu’elle s’adresse à l’ensemble des élèves, notamment celles et ceux qui n’ont qu’elle pour apprendre. Nous portons ensemble l’exigence de son amélioration tant qualitative que quantitative puisque nous revendiquons de porter la scolarité obligatoire à 18 ans. Nous considérons que l’éducation est le moyen de former pour demain des citoyennes et citoyens lucides et éclairé.es en capacité de porter avec nous l’exigence d’une société de justice sociale, de solidarité et respectueuse de la planète, en rupture avec celle que nous vivons actuellement. Il serait bon d’ouvrir un nouveau chantier qui nous permette d’avancer concrètement sur notre projet d’Ecole et ce que nous entendons derrière la culture commune pour pouvoir donner du corps à nos revendications et ainsi mieux les faires partager avec nos collègues afin de les mobiliser. Il y a urgence !

Sigrid GERARDIN, SNUEP-FSU
On ne peut pas parler de l’avenir du syndicalisme sans évoquer la jeunesse et notamment la jeunesse populaire que le gouvernement ne cesse de maltraiter dans la formation professionnelle. Avec l’objectif de déqualifier l’emploi, il réduit les formations qui conduisent aux métiers d’ouvriers et d’employés à l’enseignement des seuls gestes techniques. Il les instrumentalise pour distribuer de l’argent public aux entreprises sans contrainte en les réduisant dangereusement en simple parcours d’accompagnement vers des emplois précaires.
Ces politiques doivent être dénoncées plus clairement par le syndicalisme car elles participent d’un projet de société à l’opposé de celui porté par la FSU. En se détournant de l’objectif émancipateur des formations et en empêchant les possibilités de poursuites d’études des élèves, ces politiques imposent aux jeunes des parcours professionnels chaotiques et précaires. Ces choix entravent aussi leur engagement dans l’action syndicale parce qu’ils cherchent à affaiblir le rapport de force engagé par les salarié·es. Cette vision réductrice de la formation professionnelle lui fait perdre sa dimension émancipatrice essentielle pour comprendre les enjeux d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, les enjeux écologiques, les enjeux de l’engagement politique des citoyens. Il faut porter haut et fort l’urgence sociale que représente l’accès à des formations professionnelles solides, longues et équilibrées entre les savoirs et savoirs faire. Pour les jeunes scolarisés et pour les plus fragiles, c’est une condition incontournable pour une entrée durable dans l’emploi et pour leur permettre de prendre toute leur place dans la société.

Clémentine MATTEI, SNETAP-FSU

Le SNETAP-FSU comme nombre d’organisations syndicales voit également, doucement mais de façon régulière, ses effectifs d’adhérent·es s’éroder. Pour autant, sous réserve de nous en saisir à bras le corps, certains mandats d’études du 10ème congrès national de la FSU sont susceptibles de participer de façon précieuse à un enrayement de ces baisses.
En effet, la jeunesse, si elle ne rejoint pas toujours nos rangs, demeure sensible aux défis environnementaux et sociaux. Ainsi, le mandat d’étude portant sur une sécurité sociale d’alimentation, porteuse d’avenir pour répondre à la fois aux enjeux environnementaux et alimentaires, en permettant un accès de toutes et tous à une alimentation de qualité servie par une agriculture paysanne relocalisée et soucieuse de l’environnement, est une perspective enthousiasmante pour la société tout entière et plus particulièrement pour la jeunesse.
D’autre part, les attentes vis à vis de notre syndicalisme de lutte et de transformation sociale demeurent importantes. En cela, nous portons une responsabilité particulière. Mais nous ne pourrons embellir notre avenir qu’en organisant de façon encore plus coordonnée les luttes et notre mandat en vue d’un nouvel outil syndical avec les organisations syndicales qui nous sont proches, est de ce point de vue un levier puissant. Par ailleurs, notre capacité à nous associer à des collectifs environnementaux et à certaines ONG quand cela le nécessite, à l’image du travail de fond réalisé avec le Collectif Plus Jamais Ça, doit permettre un rassemblement plus large encore, lui aussi porteur d’avenir dans la période trouble, à plus d’un titre, que nous traversons.

Laurent ZAPPI, SNUipp-FSU
Notre camp social fait actuellement face à plusieurs urgences : environnementale, sociale et politique. Sur tous ces terrains, la catastrophe est proche. Si nous voulons pouvoir organiser efficacement la résistance, repasser à l’offensive, il n’est plus possible d’en rester à la division actuelle du syndicalisme, qui l’éparpille et l’affaiblit.
L’aspiration à l’unité est forte chez les salarié·es et il est légitime de chercher à y répondre pour développer la mobilisation. Les organisations qui se réclament du syndicalisme de transformation sociale ont une responsabilité particulière.
Au moment de la lutte contre la réforme des retraites en 2019, elles ont été à l’initiative avec une certaine efficacité. Dans les mobilisations propres à la Fonction publique, elles sont toujours à l’initiative. L’existence séparée en (au moins) trois syndicats, CGT, FSU, Solidaires, si elle a des causes historiques, prête à remise en cause aujourd’hui, tant face aux enjeux urgents qu’aux pratiques de terrain. Les postures de ces trois syndicats sont unitaires. Alors, il est temps d’avancer ensemble !
La FSU se doit de proposer à la CGT et à Solidaires de construire ensemble un cadre pérenne d’unité. Face à la déferlante anti syndicale macroniste, aux dangers d’extrême droite, afin de jouer un rôle dynamique pour tout le mouvement social, il est nécessaire de reprendre l’initiative pour engager largement le débat à tous les niveaux et produire du commun en termes de réflexions, d’analyses et d’actions. De façon volontariste, il faut favoriser tout pas en avant dans cette unité : prise de positions communes, réunions communes de militant·es, formations communes, listes communes où c’est possible, États généraux, structure commune dans la Fonction publique…

Alain POLICAR, SNESUP-FSU
Dans quelle mesure le syndicalisme est-il concerné par les questions socio-politiques majeures, telles qu’elles sont évoquées par l’Institut de recherches de la FSU, dans le troisième point de son intervention au congrès de Metz ? On peut certes considérer que l’exercice du métier est, en définitive, peu concerné par l’égalité entre les sexes ou par l’antiracisme. Ce serait une erreur majeure.
D’abord pour des raisons conjoncturelles : l’offensive réactionnaire contre les libertés académiques (Manifeste des Cent, « colloque » de la Sorbonne des 7 et 8 janvier derniers) a rarement aussi puissamment porté atteinte aux valeurs émancipatrices que défend, par nature, l’école de la République. Le maccarthysme intellectuel, propagé par un nombre considérable de médias, fragilise l’indépendance de l’enseignant, aussi bien dans sa dimension pédagogique que dans son activité de recherche.
Cette situation met en lumière des tendances structurelles : dans la société comme dans l’université, les femmes demeurent une minorité (au sens politique du terme), les discriminations et la stigmatisation des immigrés et de leurs descendants demeurent, si bien que le modèle d’intégration à la française et sa justification, la méritocratie républicaine, traversent une crise durable. On ne saurait l’affronter en sacralisant la nation au détriment de nos principes fondamentaux, en transformant la laïcité en valeur identitaire ou en refusant de porter un regard lucide sur notre passé colonial.
Et, en effet, l’universalisme a été dévoyé : pour qu’il puisse redevenir un horizon émancipateur, il convient de réparer les torts. Cela suppose sans doute une rupture avec l’idée que la France, par essence, incarne l’universel. L’Histoire a pourtant dramatiquement montré que nous avions bien souvent confondu celui-ci, au nom de notre « mission civilisatrice », avec l’uniforme.
On peut néanmoins voir un motif d’espoir dans la montée en puissance de nouvelles thématiques portées par de jeunes chercheurs, souvent des femmes, issus des « minorités visibles ». Grâce à ceux-ci, nous prenons conscience qu’il existe en France, au-delà des comportements et des opinions, un racisme systémique. Le décrire et le combattre doit être considéré comme l’objectif conjoint de la recherche scientifique et du mouvement syndical.

Émilie MOREAU, SNUipp-FSU
La précarisation du salariat qui s’est développée au fil des années dans le secteur privé s’est répercutée dans la Fonction publique où les contractuel·les représentent aujourd’hui 20% des agent·es public·ques.
La précarité c’est en premier lieu celle de la crainte du non renouvellement du contrat qui soumet les agent·es à une pression hiérarchique plus forte. Cela peut amoindrir le respect des droits des agent·es mais aussi, alors que la part des femmes est un peu plus importantes parmi les contractuel·les, accroître le risque de développement de situations de harcèlement ou de violences sexistes et sexuelles au travail. La précarité c’est aussi celle des salaires pour la grande majorité des contractuel·les.
La titularisation reste la revendication centrale de notre syndicalisme, tout comme la création d’un corps pour les AESH, pour améliorer la situation de travail des personnels et garantir un bon fonctionnement du service public. A côté de cela, il est nécessaire de développer encore plus notre syndicalisme auprès des personnels. Nous devons être volontaristes, organiser des rencontres, des stages, produire des publications… Il faut pouvoir les inclure plus fortement dans nos syndicats pour renforcer une représentation au plus près du terrain et surtout pour développer avec elles et eux un corpus revendicatif clair en termes de salaires, de droits, de conditions de travail et de titularisation.

Matthieu LEIRITZ, SNES-FSU
Il en va de la recherche en sciences sociales menée dans une démarche syndicale comme d’un valeureux navire. Elle cherche à arriver à bon port en évitant les écueils. Ceux d’une recherche qui serait déconnectée des réalités concrètes de la lutte syndicale, mais aussi ceux de débats uniquement guidés voire bornés par les mandats revendicatifs de l’organisation syndicale.
C’est peu dire que les actes du colloque initié par l’Institut de la Recherche de la FSU en juin 2021, consacré à la vaste question du syndicalisme au défi du XXIème siècle, publiés aux éditions Syllepse, relèvent de cette double exigence.
Ils viennent à point dans une période caractérisée comme rarement par l’inquiétude et l’interrogation sur l’avenir des forces de progrès social dans une période électorale saturée de débats sur les soi-disant fractures ethniques, religieuses ou culturelles qui seraient source de déclin pour notre pays. Le syndicalisme certes n’est pas exempt de responsabilités, par son émiettement et ses difficultés à créer les conditions de l’unité d’action syndicale, dans la mainmise de la droite radicale sur les thématiques de campagne. Mais ces actes le montrent bien : qu’il s’agisse des questions de mode de développement, de transition écologique dans la justice sociale, de lutte pour l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, d’évolution des métiers, de formation, de prospective, le syndicalisme français, surtout lorsqu’il refuse les clivages stériles et subalternes, continue d’être source d’analyses, de propositions de fond, tout en menant les mobilisations nécessaires pour avancer sur les revendications.

Valérie SIPAHILAMANI, SNES-FSU
Dans mon milieu professionnel quotidien (une cité scolaire parisienne), les freins à l’engagement syndical me semblent de deux ordres : l’accroissement de la charge et de la pression au travail ont augmenté de telle façon que prendre le temps de se poser pour un travail syndical est devenu difficile. Les collègues délèguent aux élus au Conseil d’administration, ce qui est à la fois une preuve de confiance et la dérive vers une sorte de statut d’expert dont nous ne voulons pas. Ils attendent par ailleurs de nous sur les questions qu’elles-ils nous posent une réactivité que nous ne pouvons pas toujours avoir. Nous tentons de faire vivre un collectif syndical, mais l’essoufflement n’est jamais loin. Si nos messages, informations et interventions passent bien, la section reste fragile, reposant sur peu de bras.
De ce petit bout de la lorgnette, un double mouvement me semble nécessaire : aller sans relâche vers les collègues pour démystifier l’action syndicale, montrer qu’elle est à la portée de tout un chacun chacun-e, en un mot : enrôler ; dans le même temps, comme l’a très bien travaillé le colloque de l’Institut, mettre nos revendications en phase avec celles et ceux que nous voulons mobiliser, sans démagogie, sans nous renier, mais sans non plus surplomber.
Et pour finir, une conviction, la joie militante est un moteur puissant, nous l’avons bien vu au Congrès, n’oublions pas de la cultiver.

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