Les ennemis de la République ?
En exprimant la volonté d’astreindre les associations subventionnées et leurs dirigeants à un contrat d’engagement républicain, le projet de loi confortant le respect des principes de la République prétend répondre aux nécessités de la lutte contre un séparatisme qui constituerait le fondement du terrorisme. Mais qui pourrait raisonnablement croire que ce contrat d’engagement constituerait l’outil adapté à la lutte contre des organisations qui prendraient la forme associative pour propager leurs fanatismes et organiser leurs projets terroristes ?
L’État dispose déjà d’outils bien plus adaptés et bien plus efficaces pour lutter contre leurs activités délictueuses ou criminelles.
Alors qui sont donc ces « ennemis de la République » que Marlène Schiappa et Sarah El Haïry nous disent vouloir combattre par ce contrat d’engagement ?
Les engagements demandés aux associations concernent des principes que nul ne doit pouvoir, en démocratie, mettre en doute. Leur refus écarterait du subventionnement public toute association actant une discrimination fondée sur le genre, l’orientation sexuelle, la prétendue race ou la religion, toute association tenant des propos portant atteinte à la dignité humaine ou proclamant la haine.
Pour les associations qui professent ouvertement l’infériorité des femmes, le mépris des homosexuels ou pour celles qui affichent des propos racistes, on peut espérer que l’État portait déjà une attention suffisante dans l’instruction de leurs dossiers de subventions pour ne pas leur attribuer d’argent public. Et pour celles-là, l’arsenal juridique permet déjà de sanctionner.
Pour les autres, qui jugera du degré qui fait basculer du côté des ennemis de la république et légitime ou non l’attribution d’une subvention ?
La vision dualiste qui voudrait opposer en permanence universalité et identité feint d’ignorer que les valeurs communes de nos démocraties ne peuvent, par essence, obéir au jugement manichéen et dogmatique. Longtemps la défense des cultures et langues régionales a été perçue comme une menace « séparatiste » pour les valeurs républicaines. Et le principe d’égalité est loin d’être décliné de la même manière par tous les républicains. Une inégalité liée au genre sera analysée comme la preuve d’un principe idéologique quand ailleurs elle ne sera perçue que comme un fâcheux stéréotype culturel ! De même le principe de fraternité se traduira très diversement, par exemple quand il s’agit de solidarité avec les migrants. Qui pourrait décréter dans cette diversité d’interprétation des valeurs ceux qui sont amis ou ennemis de la république ?
À entendre Jean-Michel Blanquer qui assure que des universitaires enseignent une « radicalité intellectuelle » capable de conditionner les terroristes, ajoutant pour donner vigueur au propos tenu sur l’ennemi que le « poisson pourrit par la tête », on imagine comment ces principes moraux se confondront vite avec les inclinaisons idéologiques personnelles du ministre.
Dans la réalité quotidienne des quartiers populaires, les associations font œuvre d’éducation, de solidarité, de culture, de santé. Elles actent la fraternité républicaine auprès de populations dont le sentiment d’abandon est le terreau des séparatismes. C’est là que la république devrait choisir d’agir. L’égalité est l’arme la plus efficace et la plus légitime contre les dogmatismes religieux et les fanatismes idéologiques.
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 2 février 2021
Paul Devin, président de l’IR.FSU