Les engagements remarquables ou le travail de toutes et tous…
Un communiqué intersyndical dénonçait, le 22 avril, la demande d’un DASEN de dresser des listes discrètes qui permettrait de « garder mémoire nominative des engagements remarquables et remarqués » pendant la crise du COVID19. Et comme il ne s’agit pas que de récompenser, la demande se complétait d’une invitation à garder aussi mémoire de « l’inverse ».
On peut déjà, dans un premier temps, s’interroger sur les critères du « remarquable ». La quête de celui qui tenterait de les formuler explicitement serait vaine. Elle montrerait immédiatement l’arbitraire de choix qui, de ce point de vue, n’auraient rien à voir avec une démarche évaluative. Devant cette impossibilité à rationnaliser, le plus simple sera sans doute alors de confondre le remarquable avec le visible. D’ailleurs la consigne nous y invite quand elle évoque non seulement le remarquable mais aussi le remarqué.
Être remarqué … par exemple mettre en scène ses leçons à distance sur les réseaux sociaux, être retweeté par son supérieur hiérarchique avec une formule de reconnaissance, le remercier à son tour de ce soutien …
Mais ce qui va le plus fortement résister à l’objectivité du remarquable, c’est la réalité des vies singulières de chaque acteur. L’enseignant ou l’enseignante de 60 ans, présentant quelques fragilités de santé, est-il moins remarquable dans son engagement à assurer la qualité d’un enseignement à distance que celui qui assure, plus visiblement, l’accueil des enfants de soignants ?
Prétendre à l’objectivité de l’identification de ce mérite, c’est tout simplement vouloir nier la réalité sociale. Car c’est la réalité sociale qui a conduit la jeune enseignante à demander une autorisation spéciale d’absence pour garder ses enfants. Peut-être parce que son conjoint devait continuer à se rendre sur son lieu de travail. Peut-être parce qu’elle était parent isolée.
Cela ne nous dit rien de son engagement… Mais sans doute sa vie est-elle trop ordinaire pour être remarquable. Et celui ou celle, qui envahi par l’angoisse, ne peut se résoudre à prendre un transport en commun bondé, seul moyen dont il dispose pour se rendre dans son école, son collège ou son lycée, est-il moins méritant que celui qui a l’usage d’une voiture particulière ?
Au-delà de la singularité des situations qui ne permettra jamais de rationaliser le remarquable et donc en confiera la reconnaissance au pouvoir discrétionnaire, un autre fait semble avoir échappé à celui qui conçoit une telle demande.
Face à la crise du COVID19, est-il sûr que ce sont quelques engagements remarquables qui ont permis au service public d’assumer ses missions au mieux qu’il en était possible. Ne serait-ce pas plutôt la formidable convergence des engagements ordinaires dont ont témoigné les fonctionnaires ?
Qui pourrait croire dans une telle crise que la célébration de quelques agissements remarquables puisse rendre compte de la nature réelle de l’engagement, celle d’une multitude d’actions ordinaires, agies avec la volonté de servir l’intérêt général ?
Qui pourrait croire que, face au COVID, l’essentiel pourrait se résumer à louange de l’exceptionnel alors même que nous redécouvrons la place essentielle de toutes celles et tous ceux qui, dans l’humilité de leurs tâches quotidiennes, des aides-soignantes aux caissières, des livreurs aux éboueurs, continuent à permettre la poursuite de nos vies quotidiennes ?
Non, ce dont il faut garder mémoire, c’est que le travail de chaque fonctionnaire contribue à constituer un bien commun essentiel pour que notre société soit plus égalitaire et plus fraternelle.
Ce travail de toutes et tous, ce travail de chacune et de chacun, reconnus comme égaux et différents, ne réclame ni la louange, ni la distinction et les concurrences qu’elles font naître. Il a juste besoin qu’on en signifie la valeur et l’importance par la reconnaissance des compétences professionnelles, le respect des personnes et la réduction des inégalités de revenus.
Editorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 5 mai 2020
Paul Devin, président de l’IR.FSU