La crise pandémique changera-t-elle les choix politiques pour le service public?
Le 12 mars 2020, le Président de la République, s’adressant aux français, déclarait que la santé n’était pas un coût mais un bien. Il annonçait la nécessité de décisions de rupture parce « qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ».
Voilà des années que syndicats et associations militantes ou professionnelles ne cessent d’alerter sur les conséquences sociales du désinvestissement de l’État dans les services publics.
La situation de l’hôpital public ne faisait aucun doute tant les alarmes avaient été multiples et intenses. Elles avaient été exprimées sous toutes les formes qu’on peut imaginer qu’il s’agisse d’analyses approfondies de la situation ou de témoignages de soignant·es allant jusqu’au cri de désespoir. Nul ne pouvait ignorer la réalité des conséquences des décisions prises mais la doxa libérale continuait d’asséner la vérité absolue de ses principes de rationalisation budgétaire et méprisait ceux qui protestaient, au point que le directeur des hôpitaux parisiens les considère publiquement comme des scrogneugneux .
Ces scrogneugneux sont devenus des héros parce qu’il en est ainsi avec les fonctionnaires : dans les épisodes dramatiques que nous vivons, des attentats à la pandémie, leur utilité, leur dévouement, leur efficacité devient subitement objet de louanges et de reconnaissance. L’action publique devient un bien commun irremplaçable que chacun célèbre, … avant de revenir, quelques mois après, aux habituelles considérations sur les avantages indus des fonctionnaires et les économies qu’il faudrait faire en rendant la fonction publique plus flexible et en la manageant de façon plus rentable. Et revient le temps des dénigrements. Ils sont loin d’être nouveaux, certes. Courteline stigmatisait déjà les activités des « ronds-de-cuir » et les accusait « d’enrayer la marche d’affaires qui iraient toutes seules sans cela ».
Transformer la perception du service public, pour ne plus y voir un coût mais un bien, demande une considérable mutation de la culture politique des citoyennes et des citoyens. Celle tout d’abord de rompre avec l’idée que l’avenir d’un pays repose sur la réduction de sa dette et donc sur le choix d’une politique austéritaire qui réduit le financement de l’action publique.
Contrairement à ce que ne cesse de répéter la doxa ultralibérale, l’austérité est loin d’être une vision unanime de l’économie. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, considère au contraire indispensable d’augmenter les dépenses publiques notamment en matière d’environnement et d’éducation . Il n’est pas le seul : Esther Duflo, prix Nobel d’économie 2019, affirme que la résolution de la crise pandémique ne pourra se faire que par une forte intervention de l’État . Et 350 économistes ont signé un manifeste qui prônait le maintien et l’amélioration des protections sociales comme l’accroissement de l’effort budgétaire en matière de soin, d’éducation, de recherche et d’investissements pour la transition écologique.
Alors, sommes-nous prêts à un financement consenti de l’action publique, dans le cadre d’une réforme fiscale égalitaire, d’une redistribution des richesses et d’une annulation partielle de la dette, parce que nous sommes convaincus qu’il est l’investissement nécessaire d’un bien commun ?
Sommes-nous prêts à considérer le travail des fonctionnaires non plus comme une charge qui nous coûterait exagérément mais comme la garantie d’une plus grande égalité dans l’accès de toutes et tous à l’essentiel : le soin, l’éducation, la sécurité, la protection de l’environnement ?
Sommes-nous prêts à penser l’amélioration qualitative du service public non plus pas la flexibilisation de ses emplois, la mise en marché de ses services et la rationalisation de ses budgets mais par l’investissement dans la création de postes et l’équipement matériel là où le besoin le nécessite et dans l’amélioration qualitative de l’action par la formation professionnelle des fonctionnaires ?
Sommes-nous prêts à nous investir dans une élaboration démocratique des finalités des services publics qui associe les citoyen·nes, les fonctionnaires et les élu·es ?
Sommes-nous prêts à exiger que la rupture annoncée par le président de la République ne se contente pas d’être une formule rhétorique de la communication gouvernementale mais devienne effective par l’annonce de mesures concrètes et suffisantes pour qu’elles permettent la sauvegarde et le développement d’un bien commun essentiel à la liberté, à l’égalité et à la fraternité ?
Editorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 21 avril 2020
Paul Devin, président de l’IR.FSU