Travailleuses et travailleurs de banlieue
Editorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 7 avril 2020
Paul Devin, président de l’IR.FSU
Récemment encore, des habitants de banlieue ont été fustigés parce que, jugés incapables de respecter le confinement, ils étaient désignés responsables de risques encourus par tous. Comme si c’était par l’incivilité qu’on pouvait expliquer ce que produisait l’exiguïté de logements surpeuplés par des familles nombreuses.
Certains médias dénoncèrent avec insistance la menace que représentait l’égoïsme de ces comportements banlieusards, tout en restant bien silencieux sur les risques de dissémination du virus que pouvait porter le départ des citadins plus aisés vers leurs résidences secondaires.
C’est une habitude d’évoquer les banlieues pour les décrier en évoquant la violence des jeunes, l’économie parallèle des trafics ou la perte des valeurs républicaines. Peu de média, par contre, font état d’une autre réalité pourtant essentielle : celle de la part du travail des femmes et des hommes qui y vivent. Dans cette période de confinement, pour des salaires de misère et dans des contextes de précarité permanente, ces travailleuses et travailleurs ont assuré les tâches indispensables au maintien des activités essentielles à la vie de tous. Caissières, livreurs, agents de sécurité qui nous permettent de se ravitailler dans les conditions les plus sûres. Ambulanciers, aides-soignantes, infirmières qui nous soignent et soignent nos proches. Personnels d’entretien qui désinfectent nos espaces de travail si nous ne télétravaillons pas, intérimaires des aéroports qui ont permis nos rapatriements… La liste est longue, des conducteurs de bus et de métro aux enseignants en passant par le plombier venu réparer la fuite en urgence….
Sommes-nous conscients qu’ils sont pour beaucoup des habitants de la banlieue, ceux-là même que le discours commun considère comme assistés alors que cette crise révèle qu’ils nous assistent ?
Sommes-nous conscients qu’alors que nous les accusions d’incivilités, que nous ne percevions d’eux que les violences sans cesse rabâchées par les médias, qu’ils sont celles et ceux qui nous permettent de rester confinés et de nous protéger au mieux si nous devons aller sur notre lieu de travail ?
Ils n’ont pour eux que leur force de travail que le capitalisme organise pour en accaparer la plus-value sans même qu’on équipe leurs territoires d’autant de services publics qu’ailleurs. Dans cette terrible période à leur seule force de travail, se mêlera le prix de leurs vies. Les chiffres de la surmortalité en Seine-Saint-Denis en témoignent déjà.