Nouvelle réforme de l’Éducation prioritaire :
une vision très libérale de la question sociale
Les récentes annonces de la secrétaire d’État à l’Éducation prioritaire, sous couvert d’une expérimentation limitée et dont les issues ne seraient pas encore décidées, dessinent, en réalité, la perspective d’une réforme radicale qui renoncerait à une politique nationale d’éducation prioritaire pour lui préférer des contractualisations locales. Ce n’est plus une réforme à l’aune de celles qui ont successivement transformé la politique d’éducation prioritaire depuis quarante ans, c’est en réalité la fin du modèle actuel de l’éducation prioritaire.
L’analyse critique des principes de l’éducation prioritaire et de ses modalités de mise en œuvre fait état de difficultés et d’insuffisances mais le jugement d’un échec global, qui affleure dans bien des prises de position comme une motivation à devoir renoncer au modèle actuel, est fondé sur un apriorisme idéologique. Nul jugement objectif ne peut conclure que la persistance des inégalités puisse être attribuée aux politiques d’éducation prioritaire. Cela relèverait d’une malhonnêteté argumentaire qui feindrait d’ignorer l’ensemble des facteurs qui pèsent sur la réussite scolaire : la détérioration générale de la situation économique et sociale qui se mesure dans les quartiers concernés par le creusement des inégalités et se renforce par l’appauvrissement des services publics. Il faut y ajouter les changements de politique de sectorisation scolaire dont plusieurs études sociologiques ont montré les effets de ghettoïsation. Au vu de telles évolutions, nul ne sait ce qu’aurait été la situation des écoles et collèges de ces quartiers si l’éducation prioritaire n’avait pas existé.
Mais ce qui est en œuvre dans le projet en cours n’a rien d’une démarche basée sur une analyse objectivée de la réalité dans la perspective de son amélioration. Rien n’y concourra à la recherche d’une meilleure mixité sociale, aucun investissement n’y viendra contribuer à des conditions favorables à l’amélioration qualitative de l’enseignement par la formation et l’accompagnement ou à une attractivité permettant une meilleure stabilisation des personnels. Non, c’est une réforme idéologique qui se prépare, guidée par une vision très libérale de la question sociale : le retour en force des conceptions individualistes de l’égalité des chances qui se contentent de mettre en valeur quelques réussites scolaires aux dépens d’une véritable démocratisation de l’accès aux savoirs. Et voilà revenues les vielles antiennes qui ressassent les faveurs dont bénéficieraient toujours les mêmes quartiers alors que, contrairement aux idées reçues, les élèves de l’éducation prioritaire ne bénéficient pas d’une allocation de moyens supérieure à celle des élèves des quartiers favorisés[1]. Le défenseur des droits avait, au contraire, constaté, pour les élèves de la Seine-Saint-Denis, une rupture d’un principe d’égalité des usagers du service public[2] et plusieurs rapports ont montré qu’un lycéen de l’académie de Créteil était l’objet d’une allocation de moyens moindre qu’un lycéen de Paris[3]
Au-delà de la volonté idéologique de suppression de la labellisation nationale, qu’y a-t-il de nouveau dans les perspectives annoncées par la secrétaire d’État ?La contractualisation ? Il y a plus de vingt ans qu’elle existe. Or les contrats de réussite n’ont guère fait la preuve de leur capacité à engager des progrès essentiels en matière de réussite scolaire. On peut craindre que la nouvelle génération de contrats proposés ne serve ni une meilleure pertinence des diagnostics, ni une construction mieux concertée des projets et de leur évaluation mais vise d’autres perspectives régulièrement évoquées par ce ministère : celle du primat de la décision locale, celle de la rémunération au mérite et celle du pilotage aux résultats.
La fin de la labellisation nationale est argumentée par la nécessité d’adapter les moyens aux réalités locales. Mais on peut douter que l’attribution locale des moyens soit à même de mieux répondre aux enjeux prioritairement centrés sur la réussite des élèves. Par contre elle deviendra plus perméable aux instrumentalisations par des volontés politiques locales ou des pressions administratives.
La rémunération au mérite n’a jamais fait la preuve de sa capacité à améliorer le fonctionnement du système[4]. Là où elle est mise en œuvre, très souvent dans une absence totale de critérisation, elle sert essentiellement le renforcement du pouvoir hiérarchique.
Quant au pilotage par les résultats, sous couvert de leur illusoire mesure, il produit des pressions et des mises en concurrence qui inciteront à faire progresser l’indicateur sans que soient garantis des progrès réels dans la réussite des élèves et seront loin de faciliter les coopérations enseignantes nécessaires.
Enfin, le déterminant majeur de la réussite scolaire, celui de la qualité pédagogique et didactique des enseignements ne sera qu’un alibi de discours dans des contractualisations qui resteront des objets extérieurs au travail quotidien des enseignants et des équipes éducatives. Tout cela dans une perspective inscrite dans la volonté persistante de réduction des dépenses publiques.
Et si l’affirmation « donner plus à ceux qui ont moins » ne parvenait pas à ses fins égalitaires parce qu’elle n’était en réalité qu’un discours tentant de masquer le désintérêt de l’économie libérale pour la démocratisation de l’accès aux savoirs et à la culture commune ?
[1] Choukri BEN AYED, L’éducation prioritaire interrogée du point de vue de l’égalité juridique et de la politique d’égalité, Revue française d’administration publique, n°162, 2017-2
[2] Décision du Défenseur des droits n° 2015‑262, 9 novembre 2015
[3] Cour des comptes, Égalité des chances et répartition des moyens dans l’enseignement secondaire, avril 2012
[4] Paul DEVIN, Rémunérer les enseignants au mérite ? Analyse, opinion, critique [AOC], 6 décembre 2019
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 2 décembre 2020
Paul Devin, président de l’IR.FSU