L’extrême-droite, ennemie de toujours
La banalisation des discours d’extrême-droite ne cesse de faire croître l’idée qu’elle serait devenue une tendance politique au même titre que les autres. L’habileté rhétorique d’un discours en apparence pacifié, l’invocation de valeurs démocratiques et l’intérêt porté aux questions sociales cherchent à duper pour apparaître comme une alternative politique parmi d’autres.
Mais il suffit de scruter, au-delà de ces tentatives de respectabilité, pour qu’apparaisse immédiatement la nature singulière de l’idéologie de l’extrême-droite. En témoigne, la violence des messages sur les réseaux sociaux qui diffuse la haine raciste, antisémite ou homophobe, qui détourne la réalité des images pour nourrir la peur de l’étranger, qui désigne ses cibles pour les attaquer en meutes parfaitement coordonnées. Nous ne sommes plus face aux circonvolutions des discours d’une droite classique qui cherche à légitimer sa politique anti-migratoire en revendiquant la nécessité de durcir les conditions d’attribution de nationalité ou la volonté de fermer les frontières. Même si une candidate à la présidentielle ose s’approprier l’idée du grand remplacement, même si les responsables les plus radicaux tiennent des propos que seule l’extrême-droite était capable de tenir, nous aurions tort de ne pas percevoir la fracture essentielle qui persiste, celle d’une haine de la démocratie, celle de l’apologie de la violence, celle de l’expression explicite d’une racialisation de l’identité nationale et celle de nostalgies exprimées pour les régimes fascistes et nazis.
Nous ne prêtons guère attention aux multiples actes agis par les identitaires qui attaquent une permanence électorale ou un local associatif ou agressent des immigrés en pleine rue. La presse en fait écho timidement mais rares sont les enquêtes d’envergure capables de mesurer l’exact développement de ces mouvements, d’en comprendre les modalités de financement, de percevoir le degré d’organisations de leurs milices. Quelques journalistes ou chercheurs l’ont fait : Samuel Bouron [1], Éric Dupin [2], Yann Castanier [3], … mais l’évidence des liens de ces groupes identitaires avec les frontistes reste trop rarement évoquée.
Un consensus dangereux se dessine qui voudrait croire que tout cela n’est plus le frontisme d’aujourd’hui, qu’il se serait éloigné de l’extrême-droite. Les excès d’Éric Zemmour pour défendre la domination masculine laisseraient croire à un prétendu féminisme de Marine Le Pen alors que les votes frontistes européens ou nationaux s’opposent à toute mesure de lutte contre les violences sexuelles et sexistes ou pour l’égalité salariale. Le discours social de cette dernière veut laisser entendre sa volonté de défendre les travailleurs mais ni le programme du RN ni le mandat de ses députés ne sont traduit par la moindre détermination en faveur de leurs droits et de leurs salaires. Leurs allégations de justice sociale n’ont pas renoncé à s’exercer dans la préférence nationale. Leur discours contre la mondialisation se fonde sur une opposition entre les peuples et non sur la solidarité. Leur affirmation d’une volonté de réussite scolaire n’a pas abandonné une vision réactionnaire de la décadence de l’école, la volonté d’une orientation précoce des élèves et le contrôle autoritaire des personnels.
Si l’extrême-droite arrivait au pouvoir, nul doute que sa politique frapperait d’abord les plus pauvres, les plus faibles, les plus précaires. Nul doute qu’elle altérerait les libertés sans que progresse l’égalité réelle. C’est pourquoi nos organisations syndicales doivent continuer à mener avec détermination la lutte la plus unitaire possible contre l’extrême-droite et ses idées, éclairer leurs militantes et militants sur l’imposture de ses discours et ne jamais renoncer à appeler, lors des élections, à ce qu’aucune voix ne se porte sur l’extrême-droite.
Paul Devin, président de l’Institut de recherches de la FSU
[1] Samuel BOURON, Les Guerriers de la race. Enquête en immersion chez les Identitaires, Seuil, 2022
[2] Éric DUPIN, La France identitaire. Enquête sur la réaction qui vient, La Découverte, 2017
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 28 juin 2022
Paul Devin, président de l’IR.FSU