Emploi et environnement : vers de nouvelles convergences des luttes sociales et environnementales.
La papeterie de la Chapelle Darblay à Grand-Couronne, ce fut d’abord l’histoire trop fréquente d’une fermeture d’usine. L’histoire du silence insupportable des machines qui s’arrêtent, du vide et du désespoir qui envahit les vies, des relations sociales qui se délitent … Ce furent ensuite trois années de luttes menées par des syndicalistes déterminés qui avaient la conviction que ces luttes pouvaient sauver l’usine.
Mais l’annonce de la reprise de l’activité industrielle de la papeterie n’est pas seulement l’heureuse issue de ces trois ans de luttes pour les emplois qu’elles ont réussi à sauver. Elle est le signe d’une transformation culturelle des luttes sociales où la sauvegarde de l’emploi et les enjeux environnementaux sont capables de converger.
Il faut dire que la fermeture de l’usine de la Chapelle-Darblay obéissait à une logique aberrante, purement financière, où la recherche toujours plus cupide de profits conduisait à faire cesser une activité pourtant rentable et essentielle d’un point de vue environnemental. L’usine produisait du papier journal 100% recyclé grâce à des fibres et des papiers de récupération. Sa fermeture conduisait à brûler, enfouir ou exporter les produits à recycler au mépris des principes vertueux d’économie circulaire sur lesquels elle assurait sa production.
Progressivement, se déconstruit la représentation duale qui voulait que les exigences de l’urgence environnementale ne puissent se traduire que par la perte d’emplois et qui fondait une vision d’incompatibilité fondamentale entre luttes sociales et luttes environnementales. Sans doute, sommes-nous chaque jour plus nombreux à comprendre que c’est l’inertie devant l’urgence environnementale qui constitue la plus forte des menaces sur l’emploi. Ce n’est donc pas seulement la perspective de nouveaux emplois créés par les besoins de la transition qui doit faire converger les luttes sociales et écologiques mais l’évidence que la crise des ressources et l’évolution climatique détruiront l’emploi si nous n’agissons pas de manière déterminée.
Il serait injuste de considérer que les luttes syndicales auraient méprisé toute perspective environnementale au seul profit de la sauvegarde de l’emploi. Dès le XIXe siècle des luttes se préoccupent, au-delà de la sécurité des ouvriers, de l’impact de l’activité minière ou industrielle sur les populations proches. Les revendications d’un droit social à la santé et à la sécurité témoignent d’une volonté de ne pas se soumettre à la seule question de l’emploi. Au terme des Trente glorieuses, l’émergence d’une vision décroissante de l’avenir viendra complexifier le débat, le syndicalisme s’étant historiquement construit dans des formes de production industrielle aujourd’hui menacées. Mais depuis la fin du XXe siècle, les syndicats affirment [1] la nécessité de prendre en compte la question du développement durable dans les perspectives d’une plus grande justice sociale. Sans doute d’aucuns jugeront ces prises de position bien timides, mais à la différence de prises de positions associatives qui peuvent facilement être plus radicales, l’évolution des mandats syndicaux nécessite l’évolution des positions de leurs adhérents. Et sur cette question tout le monde sait combien la prise de conscience est lente tant les représentations d’un impératif de croissance ont forgé les esprits.
Plus récemment, une évolution essentielle a permis un engagement collectif des syndicats et des associations. En 2016, un rapport [2], élaboré en commun, plaide pour une nécessaire reconversion sociale capable d’anticiper les restructurations qu’impose l’urgence climatique en termes d’emploi. Il offrait les perspectives d’un million d’emplois climat. Du côté syndical, la FSU, Solidaires et la Confédération paysanne en sont signataires.
En 2020, huit associations et syndicats, dont la FSU, la CGT, Solidaires et la Confédération paysanne, font alliance pour une rupture écologique et sociale : « Plus jamais ça ! ». Un tel collectif témoigne d’une conviction renforcée de la nécessité de dépasser la stérile opposition entre préservation de la planète et création d’emploi, entre « la fin du monde et la fin du mois » [3].
La Chapelle-Darblay est le signe d’une évolution majeure, celle d’une plus grande capacité du syndicalisme à lier le combat social et les luttes écologistes. Et si d’aucuns devaient encore avoir quelques doutes, les luttes pour la papeterie de Grand-Couronne ont à nouveau montré une évidence : la convergence des luttes sociales et écologistes s’inscrit dans la même nécessité de mettre fin aux agissements d’un capitalisme financier qui méprise autant l’avenir de la planète que le sort des travailleuses et travailleurs.
[1] Voir par exemple : CGT, Le développement durable, éléments de réflexion, Le Peuple, janvier-mars 1997, le discours de Bernard Thibault au 46è congrès de la CGT et les mandats des congrès de la FSU
[2] Plateforme emplois-climat, Un million d’emplois pour le climat, décembre 2016
[3] Plus Jamais Ça !, Pas d’emplois sur une planète morte
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 14 juin 2022
Paul Devin, président de l’IR.FSU