Au programme de l’extrême-droite : la délation des enseignantes et des enseignants.
Les agissements actuels du réseau « Parents Vigilants » offrent un démonstratif exemple des stratégies de pression idéologique par délation que l’extrême droite cherche à exercer sur l’école.
Une professeure de philosophie, qui enseigne en classe préparatoire au lycée Watteau de Valenciennes, travaille avec ses élèves sur le thème « Exils et frontières ». Ils lisent des textes de Hobbes et Montesquieu sur « l’État-nation », s’intéressent à l’exil d’Ovide sur les rivages de la Mer Noire, étudient des pièces de théâtre contemporaines portant sur les questions migratoires, rencontrent des bénévoles qui viennent en aide aux migrant·es, travaillent des méthodes d’enquêtes ethnographiques … Mais, la professeure est aussi une militante qui a fondé une association destinée à offrir un moment de répit hospitalier aux migrant·es. Pas plus n’en faut pour que le réseau « Parents vigilants » hurle à l’endoctrinement idéologique des élèves en faveur de « l’immigrationisme ».
Il faut dire que « Parents vigilants » et sa campagne « #ProtégeonsNosEnfants » sont des émanations de Reconquête, le mouvement politique d’Éric Zemmour. La stratégie est bien connue, celle d’une outrance qui prétend dénoncer des pratiques pédagogiques de propagande. Les « parents vigilants » n’hésitent pas à accuser l’école de diffuser des albums de littérature enfantine « pornographiques » et à dénoncer des enseignantes ou enseignants « corrupteurs de la jeunesse ». La stratégie n’est pas nouvelle : on se souvient comment Farida Belghoul avait organisé une campagne contre l’ « ABCD de l’égalité », notamment en accusant une enseignante d’inciter ses élèves à des attouchements sexuels, accusation diffamante condamnée depuis par la justice [1].
Mais cette stratégie ne se contente pas de dénoncer le « grand endoctrinement au service du grand remplacement [2] », elle entraîne des déchaînements haineux sur les réseaux sociaux : appel au renvoi de l’enseignante ou au blocage de ses cours… et très vite l’injure et la menace de viol et de mort [3]. Dans un tel contexte, le rectorat a préféré annuler la sortie pour des raisons de sécurité. Restera à reconstruire les conditions de sécurité qui permettront au projet de se dérouler comme prévu.
Dénoncer les enseignant·es !
Le communiqué de presse de Reconquête [4], à propos du projet de Valenciennes, incite au développement des dénonciations de professeur·es. Et déjà une autre cible a été l’objet d’attaques similaires en Vendée. Mais il n’y a pas là un trait d’originalité du mouvement de Zemmour : toute l’extrême-droite a depuis longtemps appelé à la dénonciation des professeurs.
En Flandres, Tom Van Grieken a fait campagne [5] sur TikTok pour dénoncer « les enseignants et professeurs de gauche qui tentent à chaque occasion d’incorporer leurs foutaises multiculturelles dans leurs cours ». Il se propose de créer un site sur le web pour le faire.
En Allemagne, un député AfD du Bade-Wurtemberg a mis en ligne [6] un formulaire pour que puissent être signalé les enseignants « qui répandent leur idéologie verte et de gauche ».
Au Brésil, Ana Caroline Campagnolo, députée alliée de Bolsonaro, incite [7] à dénoncer « les professeurs endoctrineurs ».
Le Rassemblement national, tout en faisant œuvre d’un discours apparemment plus policé sur la question, n’a pas renoncé à une volonté de contrôle destiné à éradiquer ce que Marine Le Pen désigne comme une « idéologie pédagogiste mortifère [8] ». Le Front national était déjà adepte d’une stratégie d’une dénonciation publique sur les réseaux sociaux capable de déchaîner les calomnies. À Narbonne un de ses responsables avait été l’objet d’une condamnation pénale pour dénonciation calomnieuse d’un enseignant [9]. A Saint-Denis, c’est suite à une publication dans un media d’extrême-droite qui les accuse de vouloir faire de l’école une « entreprise de rééducation idéologique », que six enseignantes sont mutées autoritairement [10]. A Grenoble, c’est une accusation mensongère qui livre une universitaire aux menaces de mort proférées par des sympathisants de Zemmour ou Le Pen [11].
Dans sa campagne présidentielle 2022, Marine Le Pen annonçait le renforcement du pouvoir de contrôle des corps d’inspection qui auront « obligation de signalement des cas problématiques sous peine de sanctions à l’encontre des encadrants [12] ». Une fois au pouvoir, l’extrême-droite n’aura donc aucune hésitation à instrumentaliser la hiérarchie administrative pour chercher à la contraindre à participer à cette stratégie dénonciatrice.
Une volonté clairement exprimée de renforcer l’autorité du ministère sur les programmes comme sur les méthodes pour imposer son idéologie, une incitation à la délation par les parents des enseignantes et enseignants qui ne deviendraient pas les instruments de cette idéologie, on imagine sans peine ce que serait la violence de l’école de l’extrême droite.
[1] La République du Centre, 30 janvier 2017
[2] Tweet d’Éric Zemmour, 28 novembre 2022
[3] France Info, 8 décembre 2022
[4] 1er décembre 2022
[5] Le Monde, 2 septembre 2021
[6] Les Échos, 12 octobre 2018
[7] Révolution permanente, 30 octobre 2018
[8] Marine LE PEN, Discours de clôture, conférence du collectif Racine, 12 octobre 2013
[9] L’Indépendant, 17 septembre 2015
[10] L’Humanité, 9 mai 2022
[11] Davis PERROTIN, Des septuagénaires jugés pour avoir menacé de mort une enseignante « islamo-gauchiste », Médiapart, 2 décembre 2022
[12] Marine LE PEN, Projet pour la France, L’École, 2022, p.14
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 13 décembre 2022
Paul Devin, président de l’IR.FSU