Non. au SNU!
La volonté de généraliser le Service national universel est portée par de telles certitudes que la secrétaire d’État chargée de la jeunesse, Sarah El Haïry affirme devant l’Assemblée nationale que s’y opposer reviendrait à être contre l’émancipation des jeunes. Notre projet républicain serait-il prêt à admettre que deux semaines de discipline militaire et de rituels collectifs soient désormais capables de forger les qualités fondamentales qui permettent au citoyen de s’émanciper ? Seule une rhétorique retorse ou une croyance magique peut tenter de nous en convaincre, promettant en outre qu’un tel dispositif serait capable de permettre l’expérience de la mixité sociale, de construire une culture de l’engagement et de forger les exigences de l’intérêt général.
Les études faites sur le sujet sont loin de décrire un tel retrait de la jeunesse de l’action collective et militante qu’il faudrait en organiser la remobilisation. Sans doute, ces engagements n’ont-ils pas toutes les prédilections du gouvernement mais il est un des vecteurs même de la démocratie que de soutenir le principe de l’engagement en dehors de tout choix partisan. Ce sera d’évidence loin d’être le cas d’une opération d’enrôlement qu’on voudrait désormais imposer à toutes et tous.
Jusqu’à maintenant seuls des volontaires étaient concernés, ce qui permettait d’afficher une satisfaction globale dont témoignaient les visages heureux des clips vidéo de promotion. Mais déjà pointaient quelques témoignages discordants faisant état d’incidents, de tensions, … Qu’en sera-t-il quand l’obligation viendra contraindre des jeunes à des comportements auxquels ils refuseront de se soumettre et que la culture militaire des encadrants voudra légitimer qu’on les y contraigne. Car, dans notre démocratie, il est parfaitement acceptable qu’on puisse avoir le sens de l’intérêt général, de l’engagement collectif et la volonté de la cohésion sociale sans pour autant penser nécessaire qu’elles s’expriment dans le salut du drapeau national ou le garde-à-vous. Vouloir le remettre en cause serait franchir une nouvelle étape de réduction des libertés que nous ne pourrions admettre.
La folie de cette volonté de mainmise sur la jeunesse est d’autant plus incompréhensible qu’elle porte la négation d’une mission fondamentale de l’école : construire le citoyen. Le mépris est tel qu’on semble prêt à réduire le temps d’enseignement pour organiser le SNU et à lui attribuer un financement dont l’école aurait tant besoin.
A l’école, au collège, au lycée mais aussi dans les associations et les mouvements d’éducation populaire, pas de salut du drapeau, d’uniforme et de garde-à-vous aux enseignants ou aux animateurs. Pas de jeux pervers avec l’émotion collective du groupe, pas de formules incantatoires qu’on répète, …. Mais le lent travail de l’éducation qui fait le pari que la transmission d’une culture commune, la construction d’une capacité de jugement critique et de choix raisonné, l’expérience collective constituent l’essentiel de la formation de la citoyenne et du citoyen en démocratie.
D’autant que l’école et l’éducation populaire répondent à cette ambition avec tous celles et tous ceux qui vivent dans notre pays et non pas avec les seuls qui disposent de la nationalité française. Car l’ambition d’une démocratie ne peut prendre le risque de réduire la cohésion sociale au prétexte d’une cohésion nationale. Inquiétant paradoxe pour un gouvernement obsédé par le risque de séparatisme que d’organiser l’expérience de la mixité sociale en excluant une part notable de la population.
Quant aux perspectives de l’engagement, craint-on à ce point les choix des jeunes qu’il faille sélectionner pour eux les formes d’engagement qui conviennent et encadrer leur choix ? La liste[1], certes indicative, des dispositifs d’engagement citoyen est parfaitement claire à ce propos. Nous n’y trouvons évidemment pas les formes les plus contestataires de l’engagement militant mais essentiellement les engagements dans les réserves militaires, de police, de gendarmerie et de sapeurs-pompiers ainsi que dans le service civique et dans le service militaire volontaire. C’est que l’objectif majeur de cette expérience de l’engagement n’est pas tant la solidarité que le renforcement de la cohésion nationale et la prise de conscience des enjeux de défense et de sécurité.
Les nostalgies de la conscription, l’image d’un séjour sympathique, le fantasme d’une jeunesse démobilisée qu’il faudrait ressaisir et le discours volontariste sur l’engagement et la mixité viennent masquer une perspective qui se dessine de plus en plus clairement : celle d’une volonté d’asservissement de la jeunesse aux perspectives politiques voulues par le gouvernement.
[1] Cartographie indicative des dispositifs d’engagement citoyen. Rapport d’information de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le Service national universel, février 2018, p. 24
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 3 mars 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU