Published On: 12 septembre 2023Categories: Editoriaux de la lettre électronique

Les nouvelles technologies de l’intelligence artificielle modifient radicalement la nature des risques liberticides du contrôle de l’espace public.
La loi du 19 mai 2023 relative aux futurs Jeux Olympiques légalise le recours à des technologies d’analyse des images de vidéosurveillance. L’organisation des JO et les complexes impératifs de sécurité qu’elle entraîne offrent l’occasion d’autoriser un usage qui jusque-là n’avait concerné que des expériences très localisées.

Aujourd’hui, grâce au traitement des images de surveillance par l’intelligence artificielle, il est techniquement possible de constituer automatiquement des bases de données sur des agissements que la reconnaissance faciale permet d’attribuer à des individus identifiés. Pour dire les choses plus crûment : les pires dystopies ont désormais les moyens techniques de leur mise en œuvre.
A chaque fois les mêmes stratégies discursives tentent de nous rassurer sur un usage contrôlé et vertueux : prévenir efficacement des risques d’atteintes graves à la sécurité des personnes. Le ministre de l’Intérieur assure qu’il ne s’agit que de la modernisation de méthodes déjà en œuvre pour les rendre plus efficaces, tout en excluant tout autre usage par des garanties réglementaires.

Ces nouvelles technologies de télésurveillance augmentée ne sont pas une simple évolution matérielle. Elles lui permettent de jouer un tout autre rôle: celui du contrôle des comportements des individus. La CNIL a admis cette mutation de finalité : en janvier 2023, elle donnait un avis sur les « caméras augmentées » qui permettent le traitement automatisé des images où elle admettait qu’elles constituaient « un tournant » dans le rôle de ces technologies[1].
Car il ne s’agit plus de moderniser des méthodes centrées sur la lutte contre la délinquance  dont bien des rapports disent qu’elles ont un effet « limité et bien souvent inexistant[2] ». Même la Cour des Comptes[3] et les chercheurs de la Gendarmerie Nationale[4] ont exprimé de sérieux doutes. Seules les enquêtes du ministère de l’Intérieur attestent d’un « progrès significatif[5] » mais, au-delà de son affirmation, n’en font guère la preuve. Si en matière de lutte contre la délinquance, la télésurveillance s’avère donc un coûteux fiasco, d’autres perspectives en motivent le développement. Elles constitueront ce « tournant » annoncé par la CNIL.

Imaginons un logiciel capable de croiser toutes les données dont peut disposer une municipalité: interprétation automatisée des caméras de surveillance, interventions des policiers municipaux, rapports des assistantes sociales, rapports des bailleurs de l’organisme municipal d’habitat social, rendez-vous en centre municipal de santé. Malgré son apparence paranoïaque, cette hypothèse est loin d’être délirante. La commune de Libourne en Gironde expérimente déjà le logiciel SmartPredict qui est capable de ces croisements de données[6] !
Imaginons que ces données soient transmises, au motif d’une nécessité de sécurité, aux services du ministère de l’Intérieur et que le pouvoir politique décide d’en faire un instrument de lutte contre l’action militante et syndicale. Les drones de la police qui survolent aujourd’hui les manifestations, la surveillance de locaux militants par caméras[7], le traçage de militants par GPS[8] ne sera plus que le souvenir d’un insignifiant bricolage en comparaison de ce qui nous attend !

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[1] Délibération 2022-118 du 8 décembre 2022
[2] Tanguy LE GOFF, Le faux et coûteux miracle de la vidéosurveillance, Après-demain, vol. 16,n°4, 2010, pp.28-30.
Noé LE BLANC, Le bel avenir de la vidéosurveillance de voie publique, Mouvements, vol. 62, n°2, 2010, pp.32-39.
[3] Cour des Comptes, Organisation et gestion des forces de sécurité publique, juillet 2011
[4] CREOGN, Évaluation de la contribution de la vidéoprotection de voie publique à l’élucidation des enquêtes judiciaires, septembre 2021
[5] IGPN, IGA, IGN, Rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection, juillet 2009
[6] Le Monde, 20 octobre 2021
[7] Reporterre, 26 janvier 2023 – Libération, 24 mars 2022
[8] Libération, 27 janvier 2023

Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 12 septembre  2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU