Force est de constater que la volonté d’éduquer à la paix n’est plus présente dans les politiques éducatives françaises actuelles.
Le socle commun de 2006 ambitionne le développement du sentiment d’appartenance nationale mais semble renoncer à faire de nos élèves des citoyennes et citoyens du monde convaincus d’une aspiration à la paix fondée sur le respect des droits humains et la démocratie.
C’est une autre perspective qui est aujourd’hui privilégiée : les incitations ministérielles cherchent à construire une « culture de la défense », en développant le Service National Universel (SNU), les classes de défense et sécurité globales (CDSG)[1], le dispositif « Cadets de la défense[2] ». Car « l’esprit de défense » est désormais un objet d’enseignement obligatoire[3]. Sa finalité est claire : « il ne peut y avoir de défense et de sécurité efficaces sans l’adhésion de la Nation. Cette adhésion fonde la légitimité́ des efforts qui leur sont consacrés et garantit la résilience commune[4] » … ce qui revient à dire que l’éducation à la défense doit faire accepter que la guerre puisse être une nécessité dont il faut concéder l’effort et préparer la résilience. Et cela parce que la réalité contemporaine, notamment celle des attentats et du terrorisme, imposerait le retour d’une conception de la « guerre juste » où le jugement d’infamie porté sur l’ennemi devient la justification morale de la guerre et l’acceptation de son inscription fatale dans l’histoire humaine.
Pourtant, à la suite des guerres mondiales du XXe siècle, s’était construit l’impératif d’une éducation à la paix pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre[5] ». La volonté internationale, au lendemain de 1945, voulut que cet impératif se construise, au-delà du refus de la violence et des conflits armés, en affirmant les droits fondamentaux des femmes et des hommes et la nécessité absolue de justice et d’égalité. Affirmer que la paix suppose la justice sociale puisque comme le disait Jaurès devant l’Assemblée en 1895, la société gouvernée par les dominations politiques, sociales, économiques porte « en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage[6] ».
Dans les décennies qui suivront la seconde guerre mondiale, les accords internationaux affirmèrent à la fois que l’éducation était « l’un des principaux moyens d’établir une culture de la paix[7] » et que cette culture de la paix avait pour finalité de « construire des sociétés pacifiques et justes[8] ».
Que l’émotion pour les victimes des guerres puisse contribuer à une prise de conscience ne peut suffire à ce qu’elle se substitue à une éducation émancipatrice fondée sur l’affirmation des droits juridiques, économiques, sociaux et culturels. Combattre pour la paix ne peut se dissocier de la lutte contre les dominations : la construction d’une culture de paix procède de notre projet de transformation sociale[9]. C’est pourquoi, dès son congrès fondateur, à Macon en 1994, la FSU affirmait sa volonté de contribuer au développement de l’éducation à la paix et rappelait que, face à la domination libérale du monde, la solidarité syndicale était un « moyen de favoriser […] la paix et le désarmement[10] ».
A celles et ceux qui auraient un doute sur la nécessité de redynamiser cet engagement syndical, comment la lecture des messages de haine qui parsèment les réseaux sociaux, l’affirmation médiatique d’un bon sens simpliste qui décrète ses vérités sans qu’aucun débat ne soit possible, la lente mais sûre remontée des idées racistes et antisémites et l’impunité dans laquelle elles sont désormais exprimées…. pourraient-ils ne pas suffire à nous convaincre de l’impérative nécessité d’éduquer à la paix ?
[1] Protocole Éducation nationale/Armées du 16 décembre 2021
[2] Code du Service national, art. L116-1
[3] Code de l’Education, art. L312-12
[4] Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2013 p. 23
[5] Préambule de la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945
[6] Jean JAURÉS, Intervention à la Chambre des députés, 7 mars 1895
[7] Déclaration et Programme d’action sur une culture de la paix, Assemblée générale des Nations Unies, 6 octobre 1999
[8] UNESCO, Recommandation de 1974
[9] FSU, congrès de Marseille, 2007, introduction du thème 3.
[10] FSU, congrès de Macon, 1994, Plate-forme fédérale, 4.3 et 4.4
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 7 novembre 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU