Published On: 24 février 2024Categories: Interviews

Quatre questions à Alain Barlatier
à propos de
Docs sur l’Éduc, la parole à celles et ceux qui font l’école,
un podcast réalisé à Marseille 

Alain Barlatier, ancien enseignant, documentariste, militant FSU

Propos recueillis par Paul DEVIN

Peux-tu nous présenter ton podcast « Docs sur l’Éduc » ?
Qui peut-on déjà écouter et qui pourra-t-on écouter dans les semaines à venir ?  

Il y a un an environ, j’ai entrepris de réaliser un travail audio et vidéo sous forme d’entretiens d’enseignant.es et de chercheur.es exerçant en éducation prioritaire ou travaillant sur le sujet.
Il s’agissait au départ d’un regard croisé d’une enseignante-chercheuse en sociologie de l’éducation Ariane Richard-Bossez et d’un syndicaliste professeur de mathématiques au collège Vieux-Port à Marseille, Laurent Tramoni. Quarante deux ans après la mise en pratique du dispositif d’Éducation prioritaire (sous le ministère d’Alain Savary), il me semblait opportun de contribuer à tirer un bilan.
J’ai été rapidement convaincu qu’il fallait élargir le champ de la recherche et recueillir la parole multiple d’enseignant.es et plus largement celle de tous les acteurs de l’Éducation Nationale.
N’ayant jamais travaillé en ZEP ou en REP j’y ai fait de belles découvertes, de belles innovations pédagogique. J’ai fait la connaissance de collègues très investi.es dans leur travail, très motivé.es pour faire vivre cet idéal d’égalité et de laïcité qu’est toujours l’école publique.
De fil en aiguille, j’ai élargi le champ de l’investigation en prenant contact avec des professeur.es d’école et des enseignant.es de lycée (anciennement ZEP), des chefs d’établissement, IPR, des CPE et PsyEN, des agents techniques… Comme les autorisations de tournage tardaient à venir (le problème est aujourd’hui résolu), je me suis lancé dans la réalisation d’un podcast pour diffuser cette parole indispensable et finalement méconnue.
Parler du métier, de la pratique professionnelle dans les quartiers populaires, de l’histoire et des perspectives de l’éducation prioritaire me semble une bonne approche  pour comprendre et penser l’avenir de l’ensemble du système éducatif. Elle fait aussi partie de notre bagage syndical.
Je l’ai nommé    « Docs sur l’Éduc, la parole à celles et ceux qui font l’école ».
Le Café pédagogique m’a rapidement proposé une collaboration, et maintenant chaque vendredi je publie sur ce site un billet et un entretien (rubrique « La classe »). Il y a à ce jour une vingtaine d’entretiens en ligne sur la plate-forme Spotify, et autant sont en chantier rassemblant tous les métiers de l’éducation et de la recherche associée (sociologie, sciences de l’éducation).

Tu fais le choix d’ancrer ces interviews dans les quartiers populaires de Marseille et de sa région.
En quoi, le fait de parler du point de vue de l’éducation prioritaire t’est apparu comme essentiel ? 

Pourquoi Marseille et pourquoi l’éducation prioritaire ?
Marseille est un condensé des problèmes politiques et sociaux que connaît notre pays. De ce point de vue, la tentation d’en faire un laboratoire précurseur de politiques nationales est bien présente. Elle est d’ailleurs contenue dans le programme présidentiel « Marseille en grand, l’école du futur ».(1)
En tant qu’observateur et acteur de la vie politique et sociale locale, j’ai entrepris, en parallèle à mon engagement syndical, depuis plusieurs années un travail de documentation et une écriture filmique sur ce qu’est et ce que pourrait devenir la deuxième ville de France.
Cette réflexion sur le volet éducatif en fait partie. 

Marseille, ville du grand écart social
En 2020 plus de 6.200 ménages marseillais ont payé l’ISF (la moyenne de leur patrimoine est de 1,67 million d’euros), alors qu’un quart de la population phocéenne vit sous le seuil de pauvreté, qui dépasse dans certains quartiers du nord de la ville le taux de 65%.
Dans le classement des quartiers les plus riches de France (hors Paris), figurent trois quartiers marseillais (dans les 7ème et 8ème arrondissements) parmi les quatre premiers ; quatre figurent dans les vingt premiers en France métropolitaine. (2)
Le taux de pauvreté de la ville est de 25,1 % à Marseille. Elle se concentre dans les arrondissements du nord et du centre de la ville : dans les 1er, 2e, 3e, 14e et 15e, les taux de pauvreté sont supérieurs à 39 %. Ces cinq arrondissements figurent parmi les quinze communes (ou arrondissements municipaux pour Paris, Lyon et Marseille) les plus pauvres du pays. Le 3e arrondissement de Marseille est le plus touché : plus d’un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté (51,3 %). La pauvreté se situe dans les zones les plus densément peuplées alors que la partie sud de la ville et les communes limitrophes connaissent des densités moins fortes et des taux de pauvreté beaucoup moins importants. (3)

La place d’Éducation prioritaire à Marseille :
Il est impossible de parler du système éducatif à Marseille, sans aborder centralement l’Éducation prioritaire compte tenu de la place qu’elle occupe nationalement (1,7 millions d’élèves et de collégiens scolarisés) et localement : 23 collèges (sur les 56 collèges publics) sont classés REP+ auxquels il faut ajouter 6 établissements REP soit la majorité des collèges publics de la ville.
Trois lycées généraux et technologiques émargeaient au dispositif ZEP ainsi que neuf lycées professionnels, essentiellement dans les quartiers nord et dans la vallée de l’Huveaune.
Marseille est bien la ville du grand écart social mêlant extrême richesse et extrême pauvreté.
Pour les Bouches-du-Rhône (à Marseille, le phénomène  est accentué) le niveau de vie des plus modestes (1er décile) est inférieur à la moyenne nationale, alors que celui des plus aisés (9ème décile) se situent au-delà de cette moyenne. (4)

Quel objectifs pour ce podcast? 

Réhabiliter l’image écornée des personnels qui subissent à longueur de journée une critique totalement surréaliste de leurs pratiques (pour légitimer les politiques libérales en cours) est une nécessité.

Défendre le service public, c’est aussi être exigeant à son égard. L’objectif premier de l’éducation prioritaire ne semble pas atteint. Et quand un service public disfonctionne à cet endroit crucial, il est important de comprendre pourquoi, afin d’apporter de nouvelles solutions. Comment faire en sorte que les objectifs premiers de l’Éducation prioritaire soient atteints : « donner plus à ceux qui en ont le plus besoin » afin de démocratiser vraiment l’école publique et laïque. Il s’agit ni plus ni moins de l’avenir et de la cohésion de la nation. Trouver des solutions passe en premier lieu par entendre et écouter ceux et celles qui font l’école.

Au-delà du constat de dégradation de la situation de notre école publique, les acteurs que tu interviewes arrivent-ils encore aujourd’hui à nourrir des perspectives d’espérance pour une école réellement émancipatrice, égalitaire et démocratique ? 

C’est un des éléments importants de ces entretiens. Chaque personne que j’interviewe, quelle que soit sa position sociale ou hiérarchique dans le système éducatif, est sollicitée pour aborder l’avenir de l’école, et en particulier son avenir dans les milieux populaires. Comment réduire cette fracture scolaire qui se développe? Comment contrer l’influence de l’école privée grandissante (40 % des petit.es marseillai.ses du centre-ville sont scolarisé.es dans le privé) ?
Dans chacun des entretiens, des solutions sont esquissées : donner plus de moyens évidemment quand ceux-ci sont en permanente régression, travailler en petits groupes pour être le plus près possible de l’élève en difficulté sans bouleverser par ailleurs le groupe classe qui assure la cohésion et l’émulation nécessaires, favoriser l’expérimentation que les collègues pratiquent au quotidien dans leurs classes, dans la relation avec les parents et la faire connaître, écouter l’état de la recherche, favoriser le travail interdisciplinaire et les échanges entre les différentes catégories de personnels…
Au regard de ce que j’ai pu constater, je ne vois pas de découragement, je ne vois pas la tentation de baisser les bras bien au contraire; les réactions des personnels aux deux dernières séries de réformes annoncées (la réforme de la voie professionnelle et le choc des savoirs), le raz-le-bol exprimé par cette nouvelle baisse des dotations  en attestent.

L’école publique est malmenée, certes, mais elle reste verticale et cela est possible grâce à ses personnels qui la font vivre.

(1) « Marseille en grand » lire dans Le Monde
(2) voir L’Observatoire des inégalités
(3) voir cartographie CGET
(4) Sources Rectorat d’Aix-Marseille : rentrée 2011 et état de l’académie 2022/2023.

Pour contacter Alain Barlatier par mail :
barlalain@gmail.com

Le café Pédagogique publie chaque vendredi un épisode du podcast et un billet l’accompagnant dans la rubrique « La classe »