Pour légitimer la marchandisation de l’éducation, le discours est courant qui invoque l’amélioration qualitative qu’elle produirait par les seules vertus de la concurrence comme si elle était capable par nature de décupler les capacités de ses acteurs dynamisés par la compétition et le challenge.
Or de nombreux travaux ont cherché à mesurer si un tel présupposé se vérifiait. Ils livrent toujours les mêmes conclusions : la mise en marché produit une croissance des inégalités scolaires et de la ségrégation sociale. La Suède en a fait la terrible démonstration en dégradant en quelques années la qualité de son système éducatif par l’introduction d’une concurrence effrénée entre les écoles. En Angleterre, en Belgique, plusieurs études ont montré de telles évolutions vers une moindre équité.
Et quand les établissements privés concurrentiels font état de meilleurs résultats, c’est du fait de leur recrutement sélectif et d’une population scolaire favorisée.
Nico Hirtt et Olivier Mottint viennent de publier une étude européenne[1] qui confirme « l’existence d’une relation entre l’organisation des systèmes éducatifs en quasi-marché et l’importance de la ségrégation et des inégalités sociales de performances scolaires ». Leur étude montre l’ensemble des corrélations entre ghettoïsation scolaire et résultats des élèves, entre quasi-marché et inégalités, entre quasi-marché et performances des élèves. A nouveau, la conclusion est sans appel : la marchandisation n’améliore pas les performances du système alors qu’elle contribue à le ségréger davantage.
Pourtant, le discours dominant ne cesse d’affirmer la privatisation comme une évidence nécessaire. Les arguments mêlent le choix pragmatique de la réduction des dépenses publiques, une idéologie de méfiance qui revendique le retrait de l’État au nom des libertés individuelles, la croyance dans les vertus d’innovation et d’engagement que produirait systématiquement l’initiative privée alors que la bureaucratie ne cesserait d’étouffer, … Les raisons invoquées ne manquent pas qui nourrissent un fantasme que l’analyse de la réalité ne parvient pas à raisonner.
Pourtant les faits sont bien là : l’école privée produit son illusion qualitative au prix de la ségrégation et du développement des inégalités. Quel paradoxe pour un pouvoir qui ne cesse d’alerter sur les risques du séparatisme, que de laisser s’organiser de telles fractures sociales.
D’autant que, dans cette mise en marché, viendront s’immiscer tous ceux qui se saisiront d’une telle opportunité pour instrumentaliser l’éducation au service d’une doctrine ou d’un intérêt particulier : avec la réforme du lycée professionnel, le patronat se saisit des contenus de la formation citoyenne de ses employés ; les écoles hors contrats se multiplient sans que l’Education nationale soit réellement capable de lutter contre leurs volontés d’endoctrinement des enfants ; une part sans cesse croissante de la formation supérieure est entre les mains d’intérêts particuliers ; les producteurs de services numériques s’apprêtent à fournir les contenus que les technologies de l’intelligence artificielle jugeront utiles au progrès des élèves…
Ainsi, l’école s’ouvre largement à toutes sortes d’influences, de jeux de pouvoirs et de domination puisque le service public, si imparfait qu’il puisse être, n’est plus considéré comme la garantie nécessaire et fondamentale d’une éducation égalitaire.
[1] Nico HIRTT, Olivier MOTTINT, Impact du quasi-marché scolaire sur l’équité des systèmes éducatifs européens, APED, 2024
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 12 mars 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU