Louise TOURRET
En finir avec les idées fausses sur l’école
L’Atelier, avril 2024, 13,50€
Cinq questions à Louise Tourret
Propos recueillis par Paul Devin
Avez-vous le sentiment que l’école soit un sujet particulièrement touché par la désinformation, les fausses informations, voire le mensonge délibéré ?
Je ne sais pas si l’école est particulièrement touchée par la désinformation mais ce qui me frappe c’est que souvent on ignore des choses qui pourtant existent d’évidence au sein de l’école. Regardez ceux qui font comme si les sanctions n’existaient pas à l’école, qu’il fallait les réintroduire. Alors que, bien sûr, il y a des sanctions qui existent (la page consacrée à ce sujet est très fournie !). Il arrive que ministres qui annoncent créer des dispositifs, des actions qui existent déjà… ou qui ont existé mais qu’ils présentent comme s’ils venaient de les inventer, comme le doublement des heures d’EMC.
Je ne suis pas sûr que ce soient systématiquement des mensonges délibérés. En tout cas ma position de journaliste n’est pas de les considérer comme tels mais de donner des éléments qui permettent un débat fondé sur des connaissances et des faits. Pas seulement en informant sur le résultat d’études scientifiques mais aussi en donnant la parole à des praticiens, à des acteurs. Plutôt que de chercher à juger d’une intention délibérément mensongère sur laquelle je ne pourrais pas avoir de certitude, je préfère porter la contradiction et cela en gardant « la tête froide ».
Informer reste essentiel parce que, pour ce qui est de l’école, les opinions se basent souvent sur des expériences personnelles forcément partielles. C’est aussi cela qui produit des idées reçues qu’il faut remettre en doute. Il faut aider à une compréhension plus globale qui se fonde sur des analyses, des constats, sur un état des lieux plutôt que sur de simples impressions. C’est d’autant plus important que nous sommes dans une séquence politique où la question scolaire est un élément essentiel de la construction et du renforcement de l’image politique.
L’idée d’une « évidence des faits » qui légitimerait objectivement, voire scientifiquement, des choix en matière d’éducation n’est-elle pas en réalité une stratégie de communication pour tenter de légitimer des choix politiques ?
Dans pas mal de discours, ce sont les faits qui arrangent ceux qui les tiennent, qui servent les intentions qu’ils décrètent comme « évidents ». Dans d’autres cas, les faits sont… oubliés ! Regardez, difficile aujourd’hui de considérer que c’est l’évidence des faits qui doit légitimer la création de groupes de niveaux au collège. Car ce n’est pas vraiment ce que disent les chercheurs !
Et puis, quand bien même, imaginez qu’on prétende qu’une « évidence des faits » prouverait que séparer les garçons et les filles apporterait de meilleurs résultats scolaires … faudrait-il le faire ? L’école c’est avant tout un projet dont les valeurs s’imposent. Réfléchir sur l’ambition que nous voulons donner à notre école est aussi important que de vouloir imposer des évidences.
Surtout qu’on sait que certains résultats sont biaisés notamment par le contexte de l’expérience (porteur d’un effet positif quand par exemple ; les gens sont volontaires) … ce qui est loin d’en faire des certitudes absolues.
Enfin, la réussite des élèves ne repose-t-elle pas essentiellement sur leur capacité à comprendre les enjeux de l’école, les enjeux de leur propres scolarités ?
On peut penser que l’égalité d’accès aux savoirs grâce au savoir lire est un enjeu majeur de l’école et qu’il est donc essentiel de s’assurer qu’au-delà de la maîtrise technique, l’école puisse donner à ses élèves les clefs de l’usage intellectuel, culturel et social de l’écrit. Pourquoi n’avez-vous pas fait le choix d’une question sur les méthodes d’apprentissage de la lecture qui constituent pourtant un « nid » d’idées reçues ?
Oui j’y ai pensé depuis la sortie du livre…
En fait, j’ai hésité à m’engager sur un terrain de querelles techniques. Donc j’ai abordé la question de la lecture au travers d’autres questions. Et puis, c’est peut-être un sujet qui reste mystérieux pour moi qui ne suis pas une spécialiste de ce sujet délicat, de comprendre cette difficulté qu’ont certains enfants avec la lecture. Je cite les études connues sur la question, des conférences de consensus ont bien expliqué que la méthode globale
Mais, de toutes façons, au delà de l’aspect technique des méthodes il faut absolument mettre en avant la question des enjeux.
Je pense au travail du chercheur belge Michel Vanderbroeck qui s’interroge dans un récent livre sur comment éduquer dans le monde néolibéral. Les éducateurs finissent par être dépossédés du sens de leur action parce qu’on veut leur imposer des savoirs très techniques mais la compétence professionnelle ne se limite pas à des savoirs techniques. Cela vaut pour les parents ! On a tous besoin d’outils, de méthodes mais cela ne peut pas venir se substituer à la question des finalités.
Donc plus importante que la querelle des méthodes, il y a la question du sens : comment donner aux élèves les outils de leur émancipation ? Comment les rendre sujets pensants pour que la lecture devienne une évidence ?
Sur la question des violences scolaires, combattre les idées fausses c’est à la fois l’impossibilité de relativiser quand on est face à des drames intolérables (« loin de moi l’idée de relativiser ») et la nécessité de rationaliser les faits (« la violence scolaire est historiquement documentée »). Comment tenir cet équilibre?
Ça a été une partie compliquée à écrire, justement.
Bien sûr qu’il y a des faits horribles. Des actes qui nous épouvantent et peut-être davantage aujourd’hui qu’avant. Je n’ai donc pas l’intention de les relativiser mais ça n’empêche pas de réfléchir notamment grâce aux connaissances qu’on a déjà sur le sujet.
Aujourd’hui, on s’intéresse aux causes de la façon la plus étroite qui soit. Cette violence, nous dit-on, c’est internet, ce sont les réseaux sociaux… Mais quand j’entends le procureur expliquer que le meurtre de Shamseddine était motivé par des « sujets relatifs à la sexualité » , la réputation… comment est-il possible que cela ne puisse pas être travaillé à l’école avec la volonté de venir à bout d’une culture du contrôle du corps des femmes. Lutter contre la violence c’est être capable d’en penser la complexité. C’est ça qui devrait permettre d’interroger les questions essentielles qui se posent à l’école : comment construite une culture de la liberté, une culture du respect de la liberté qui renonce à toute hiérarchie entre les sexes et entre les individus selon leur apparence, leurs origines réelles ou supposées.
Prenons un autre exemple. Pour lutter contre les violences, on veut instaurer l’obligation pour les élèves de se lever quand le professeur entre dans la classe… mais quel rapport ? En quoi cela constituerait une lutte contre les violences. Respecter l’autorité, n’empêche pas de vouloir exercer le pouvoir par la violence.
Donc non, je ne veux pas relativiser cette violence qui doit rester inacceptable mais l’interroger, … Et il y eu des moments où ces questions étaient l’objet de véritables analyses, je pense aux travaux d’Éric Debarbieux.
Et puis il faut réagir… le « pas de vagues » n’est plus acceptable. Et je vois passer de nombrex témoignages qui montrent que c’est loin d’être une question réglée. Mais les situations de terrain sont très diverses, très contrastées.
En tous cas, nous devons être attentifs à tous ceux qui sont victimes de violence, faire remonter les faits, chercher à les comprendre. Écouter les élèves quand ils parlent des violences qu’ils subissent. Et réagir.
Force est de constater, qu’à l’école, les inégalités et les discriminations liées au sexisme ou au racisme existent et sont même identifiables et quantifiables. Mais comment rendre compte de cette réalité complexe sans nier la volonté professionnelle et souvent militante des enseignant·es à vouloir lutter contre le sexisme et le racisme ?
On ne peut pas penser cette question seulement en termes de bonne volonté. Il y a trop d’impensé sur ce qui produit les discriminations.
Regardez, même avec nos propres enfants, on n’arrive pas à lever tous les biais sexistes, on reproduit des schémas… Donc on ne peut pas se contenter de constater une bonne volonté. Et puis il y a des enseignantes ou des enseignants qui ne s’interrogent pas sur ce qui produit des discriminations. C’est pourquoi il faut que l’institution porte ce questionnement.
Nous sommes dans un contexte de changement sur ces questions. Je vous cite juste un exemple : de plus en plus de gens sont conscients que la manière avec laquelle les activités sont organisées dans la cour de récréation peut produire des inégalités entre filles et garçons, en fait entre ceux qui occupent la cour avec le foot par exemple, et ceux qui n’y jouent pas. Comment profiter de cette prise de conscience pour engager plus largement le travail nécessaire ?
Déjà il faut admettre la réalité des discriminations et pour cela nous avons besoin de davantage de travaux de recherche pour objectiver la situation dans une perspective de changement. Il faut que des acteurs du système scolaire deviennent experts de ces questions pour en déjouer les pièges. Si on revient à notre cour de récréation, c’est clair que si on ignore ce qu’il s’y passe, les dominations s’exerceront. Il faut se questionner, débattre et agir.
Se questionner pour comprendre. Pourquoi alors que nous avons l’impression d’un large consensus sur l’égalité d’accès aux études scientifiques par les garçons et les filles mais que nous sommes loin d’y parvenir et que nous sommes même capables de régresser dans les résultats. Idem pour la reproduction des inégalités sociales.
On pourrait prendre l’exemple du harcèlement qui semble aussi être un objet très consensuel. Empathie, autorité ….d’accord mais qui pose la question de savoir pourquoi des enfants harcèlent d’autres enfants ? Comment agir si nous ne comprenons pas cela ?
Sur tous ces sujets, il faut éveiller l’attention des enseignantes et des enseignants. C’est nécessaire pour initier une réflexion. Ils seront capables de s’approprier cette réflexion, d’en tirer des conséquences pour leurs pratiques. Beaucoup le font déjà. L’école changera grâce à ses acteurs.