Deux enquêtes du sociologue Choukri Ben Ayed soulignent le rôle positif de la mixité sociale
dans la réussite scolaire de tous. Le Nouvel Ordre éducatif local, de Choukri Ben Ayed, PUF,
2009, 192 pages, 19 euros. Carte scolaire et marché scolaire, du même auteur, préface de
Gérard Aschieri. Nouveaux Regards/Éditions du Temps, 2009, 144 pages, 16 euros.

A l’école aussi, la concurrence nuit
L’Humanité, 22 juin 2009
Deux enquêtes du sociologue Choukri Ben Ayed soulignent le rôle positif de la mixité sociale
dans la réussite scolaire de tous. Le Nouvel Ordre éducatif local, de Choukri Ben Ayed, PUF,
2009, 192 pages, 19 euros. Carte scolaire et marché scolaire, du même auteur, préface de
Gérard Aschieri. Nouveaux Regards/Éditions du Temps, 2009, 144 pages, 16 euros.
« Quand on est à gauche, l’objectif n’est pas de réduire les libertés ; c’est se dire que, si pour
certaines catégories, notamment les mieux informées ou les plus privilégiées, le libre choix
d’une école est un bon principe, pourquoi est-ce que ça ne serait pas le cas pour tous les
Français ? C’est ça être socialiste, c’est ouvrir l’éventail des choix à tout le monde dès lors
que c’est bien pour certains. » Ainsi s’exprimait Ségolène Royal (France 2, 7 septembre 2006)
pour justifier son intention d’« assouplir la carte scolaire ». Cette intention partagée avec le
ministre Darcos devrait être admise au nom du « bon sens ». Le seul problème est que ce
« bon sens » est en complète contradiction avec les faits.
À partir d’une étude particulièrement bien étayée par une enquête solide, le sociologue
Choukri Ben Ayed livre dans deux publications récentes une défense convaincante de la
mixité scolaire : celle-ci ne contribue pas seulement à assurer l’égalité entre les élèves, elle
participe à leur réussite ! Les départements où la mixité sociale est la mieux assurée sont en
effet les départements qui connaissent les plus nettes « surréussites » scolaires (compte tenu
de l’origine sociale des élèves). Autrement dit, la concurrence nuit. Et elle nuit non seulement
aux catégories les plus défavorisées mais aussi aux catégories aisées. À l’encontre de l’idée
selon laquelle la concurrence favorise la performance des élèves et des établissements,
l’enquête de Choukri Ben Ayed montre que « c’est davantage la pondération des clivages
scolaires et sociaux qui contribue à une élévation des résultats scolaires d’ensemble sur un
territoire donné » (Le Nouvel Ordre éducatif local, p. 88).
Depuis les années 1980, l’augmentation préoccupante de l’échec scolaire dans certaines zones
urbaines a favorisé l’idée selon laquelle le cadre national n’était plus pertinent pour analyser
et administrer notre système éducatif. L’idéal républicain, parfois qualifié de « mystique », a
cédé la place à une attention de plus en plus privilégiée aux problématiques du local et du
territoire. Largement encouragées par des mouvements idéologiques qui, de plus en plus,
promeuvent les rapports consuméristes à l’école, ces problématiques ont fini par présenter la
carte scolaire comme un carcan ou, pis, comme une assignation à résidence insupportable au
regard des inégalités croissantes du système. C’est oublier que ces inégalités ont justement
partie liée avec la compétition scolaire généralisée et la mise en concurrence des
établissements que l’on ne cesse de renforcer.
Plus largement, la promotion actuelle de l’autonomie des établissements, le pilotage de la
performance des écoles ou la prétendue « liberté de choix » de son établissement sont autant
de dispositifs qui accompagnent les logiques inégalitaires dans l’école. Les dimensions
proprement sociales et culturelles de l’enseignement sont désormais recouvertes par des
considérations idéologiques et une conception purement managériale du fonctionnement de
l’école. Souvent présentés comme des libertés nouvelles, ces dispositifs s’accompagnent de
pesantes procédures de contrôle et d’évaluation pour constituer un « ordre hybride qui
conjugue à la fois libéralisme et bureaucratie » caractéristique de ce « nouvel ordre éducatif
local », que l’on pourrait bien nommer « le nouveau désordre inégalitaire de l’école ».
Guy Dreux, chercheur de l’Institut de recherches de la FSU.
Paru dans l’Humanité, 22 juin 2009.