Absentéisme scolaire et ordre social
Le vieux débat revient… celui qui veut qu’on punisse les familles dont les enfants ne fréquentent pas assidûment l’école en supprimant leurs allocations familiales.
Pourtant quand la loi Ciotti de 2010 a été abrogée, le constat de son inefficacité avait été dressé par le rapport parlementaire de Sandrine Doucet qui avait constaté l’absence d’impact de cette loi sur le taux d’absentéisme [3] . Et c’était déjà ce constat d’inefficacité [4] qui avait conduit à renoncer à la suspension du dispositif de 1959, en janvier 2004.
L’obsession à moraliser les classes populaires ne se préoccupe donc pas tant de la réalité des choses que de l’énoncé de principes accusateurs, principes que les sénateurs porteurs de l’amendement appellent un « signal fort ». S’il était, in fine, retenu par la loi, ce signal ne serait pas seulement inefficace, il serait profondément injuste : bien des rapports ont montré depuis longtemps que l’absentéisme scolaire ne pouvait se réduire à un désintérêt des familles populaires pour l’école. Au contraire, ces dernières manifestent une aspiration éperdue à la réussite de leurs enfants. Parfois maladroite parce que les codes de l’école ne leur sont pas toujours d’un usage évident. Parfois irrégulière quand la tension économique et sociale envahit leurs vies quotidiennes. Parfois vaine quand elles ne parviennent plus à convaincre leur enfant adolescent des enjeux de sa scolarité.
Ce sont les actions d’accompagnement qui portent leurs fruits quand il faut lutter contre l’absentéisme et s’il devait y avoir un levier financier, ce serait celui de l’augmentation des revenus qui serait favorable à des scolarités plus régulières. Mais pour les sénateurs qui ont voté ce nouvel amendement, peu importent ces réalités car ce n’est pas de la lutte objective contre l’absentéisme dont il s’agit mais de l’affirmation idéologique de la responsabilité des familles populaires dans leur destin, une affirmation nécessaire à la reproduction sociale.
En 1999, Jean-Pierre Chevènement préconisait la suspension des allocations pour les parents de mineurs ayant commis un délit. En 2005, le gouvernement de Villepin prônait des sanctions y compris pour une surveillance insuffisante des enfants sur l’espace public [5]. En janvier 2019, Jean-Michel Blanquer avait évoqué la possibilité de recourir à des sanctions financières contre les parents dont les enfants étaient violents à l’école [6]. A chaque fois, la même antienne revient, qui considère les familles comme responsables des problèmes de violence ou d’absentéisme scolaire. Face à ce principe simpliste, l’unanimité des études fait pourtant le constat de la complexité et de la multiplicité des facteurs. Elle met aussi en évidence la nécessité de moyens humains nécessaires pour lutter contre le glissement de l’absentéisme vers le décrochage. Cela n’empêchera pas ceux qui votent le retour à une injuste et inefficace mesure au prétexte de lutter contre l’absentéisme, de voter des budgets qui réduisent année après année le nombre de ceux qui, dans les collèges et les lycées, ont justement pour mission de lutter, au quotidien, pour construire chez les élèves les motivations d’une fréquentation régulière de l’école. La contradiction n’est qu’apparente car leur enjeu fondamental n’est pas la lutte contre l’absentéisme mais la construction des valeurs légitimant l’ordre social. Comme le disait Weber à propos du bonheur des privilégiés : les possédants, les vainqueurs veulent être convaincus qu’ils méritent leur bonheur, et surtout qu’ils le méritent par comparaison avec d’autres car le moins fortuné n’a que ce qu’il mérite [7].
[1] Sandrine DOUCET, Rapport Assemblée nationale, n°549, 28 septembre 2010, p.
[2] Luc MACHARD, Les manquements à l’obligation scolaire, rapport au ministre délégué à la famille, janvier 2003
[3] Sandrine DOUCET, Rapport Assemblée nationale, n°549, 28 septembre 2010, p.
[4] Luc MACHARD, Les manquements à l’obligation scolaire, rapport au ministre délégué à la famille, janvier 2003
[5] Le Monde 6 décembre 2005
[6] Le Monde, 11 janvier 2019
[7] Max WEBER, Sociologie des religions, textes réunis, traduits et présentés par Jean-Pierre Grossein,1996, p.337
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 13 avril 2021
Paul Devin, président de l’IR.FSU