Published On: 4 octobre 2021Categories: Editoriaux de la lettre électronique

Autour des questions d’intersectionnalité,
de postcolonialisme, de culture woke, de racisation…

Autour des questions d’intersectionnalité, de postcolonialisme, de culture woke, de racisation, le temps est, dans les universités comme dans les réseaux sociaux, aux polémiques et aux invectives parfois violentes qui clivent les opinions, stigmatisent les chercheurs et radicalisent les divergences. Nous sommes parfois mis en demeure de choisir comme si le monde se divisait désormais de manière binaire entre ceux qui dénoncent les discriminations particulières et ceux qui défendent l’universalisme. A défaut, nous serons accusés tantôt de dérives identitaires ou nationalistes, tantôt d’essentialisation, tantôt de négation de la question sociale.

Nous ne devons pas accepter une telle dualisation des débats. Et tout particulièrement, celles et ceux qui entourent l’action syndicale et contribuent à ses orientations. Si la question des liens entre pensée et action, donc du rapport entre savoir et politique, ne peut s’exonérer ni de l’examen circonspect des faits et des réalités, ni d’une argumentation rationnelle et rigoureuse, cela ne suppose pas que l’on puisse en espérer des vérités positives et absolues qui s’imposeraient et détermineraient les choix d’action. Aucun paradigme ne peut prétendre s’affranchir de la controverse, du doute. Il porte intrinsèquement la nécessité du débat. A l’opposé des acceptions clivantes, nous devons être capables d’une lecture dialectique des concepts d’intersectionnalité, de postcolonialisme ou de racisation qui permet d’en comprendre la pertinence sans en ignorer ni les éventuelles limites, ni les risques. C’est la complexité même de l’histoire politique et sociale qui nous contraint à assumer leurs contradictions. Et n’en déplaise à Laurent Bouvet, affirmer cela ne présume pas qu’on substitue l’identité à l’égalité [1].

Ceux qui voudraient nous faire croire que les générations passées avaient su se tenir à l’écart en se suffisant de la seule affirmation de l’universalité ont oublié Aimé Césaire revendiquant « une identité réconciliée avec l’universel [2] ». Quant à l’accusation d’une négation de la question sociale, Marx lui-même, écrivant, au nom de l’Internationale, à Lincoln [3] lors de sa réélection de 1864 l’encourageait « dans une lutte sans égale » qu’il destinait à la fois à « la libération d’une race enchaînée » et à « la reconstruction d’un monde social ».

Qu’une gauche anti-universaliste veuille fustiger les Lumières en les considérant comme l’instrument de la domination occidentale, ne nous contraint pas à considérer que toute lutte spécifique porte les germes de cette condamnation. Pas plus que nous ne pouvons admettre qu’une autre gauche proclame l’universalisme sans se préoccuper de la réalité effective des droits.

Les finalités de l’Institut de recherches de la FSU, celles de la qualité scientifique des travaux, du pluralisme des approches et de l’intelligibilité des productions, doivent nous conduire vers le refus des oppositions binaires et la volonté de comprendre comment l’action syndicale peut lutter contre les discriminations particulières, notamment de race et de genre, sans renoncer à un projet de transformation sociale fondé sur la critique du capitalisme et l’émancipation sociale.

Le temps n’est plus à vouloir opposer les luttes mais à les « mettre en relation », comme le dit Patrick Chamoiseau [4], pour répondre aux impératifs sociaux, féministes, écologiques et lutter contre toutes les discriminations.

[1Laurent BOUVET, L’Insécurité culturelle, Fayard, Paris, 2015.
[2Aimé CESAIRE, Une arme miraculeuse contre le monde bâillonné, Le courrier de L’UNESCO, mai 1997
[3Adresse de l’Association internationale des travailleurs à Abraham Lincoln, cité par Robin BLACKBURN, Une révolution inachevée, Sécession, guerre civile, esclavage et émancipation aux États-Unis, Syllepse, 2012
[4Patrick CHAMOISEAU, Vers une politique de la relation, Regards Croisés n°35, septembre 2020, p.32-39

Editorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 5 octobre 2021
Paul DEVIN, président de l’IR.FSU