Published On: 30 septembre 2024Categories: Editoriaux de la lettre électronique

Combattre la culture du viol à l’école.

Au Louvre, un groupe de lycéennes et lycéens écoute les explications de son professeur…  Ils sont devant le tableau de Niccolo del Abate titré « L’enlèvement de Proserpine », face à une scène où un dieu masculin enlève par la force une jeune femme, au milieu de ses compagnes sidérées, pour la contraindre et la violer. Pas un seul des mots du commentaire professoral n’évoque cette réalité. Le professeur parle de cet « enlèvement » comme s’il s’agissait d’un fait presque ordinaire, presque anodin et le lexique de son propos ne réfère ni à la violence, ni à la domination, ni au viol.
Il y a près d’un demi-siècle, Gisèle Halimi, interrogée sur une prise de conscience progressive des hommes qui pourrait réduire le viol, répondait que l’enjeu était de changer les rapports entre les hommes et les femmes. Ce n’est donc pas chose nouvelle que d’affirmer que le viol ne peut se circonscrire dans l’attitude singulière du violeur et du risque pénal qu’il encourt mais constitue le produit d’un rapport de domination des hommes sur les femmes.
N’est pas chose nouvelle, non plus, l’innacceptable réaction qui voudrait exclure les violeurs de la communauté ordinaire des hommes pour que leur acte puisse apparaître comme une monstruosité d’exception face à laquelle chacun pourrait défendre son innocence individuelle et s’affranchir de toute responsabilité collective.
Face à l’immense courage avec lequel Gisèle Pelicot a refusé le huis-clos, le procès de Mazan nous offre encore l’exemple de ces doutes instillés par les accusés et leur défense mais parfois aussi par le discours de certains media. Doutes qui cherchent à distinguer le « vrai viol », à pointer quelque responsabilité de la victime ou à sous-entendre quelque excuse pour le criminel. Cette volonté d’un discours défendu comme « subtil », « nuancé », « capable d’éviter la généralité » ne fait que renforcer les stéréotypes d’atténuation, de relativisation, d’amenuisement et, in fine, constitue la matrice de la reconduction des violences.

Il n’y aura pas d’évolution décisive si nous n’affirmons pas une volonté déterminée d’éducation au rejet de la culture du viol, et cela du propos sexiste le plus ordinaire aux pires violences. L’école s’est vu attribuer par la loi la mission de faire acquérir le respect de la personne et l’égalité entre les femmes et les hommes[1]. La lutte contre les stéréotypes de la culture du viol doit donc être considérée comme un de ses objectifs.
L’école doit ouvrir les yeux des nouvelles générations sur la réalité du viol. Et elle ne peut le faire qu’en analysant les mécanismes de la domination masculine. Dans les cours de récréation comme dans les salles de classe, l’intervention enseignante se préoccupe trop peu des pratiques de domination masculine. Quelquefois même, des attentes genrées différenciées, par exemple sur le plan comportemental, viennent les renforcer.
Les contenus scolaires eux-mêmes invisibilisent et infériorisent les femmes, laissant se développer la représentation d’une société « naturellement » gouvernée par les hommes et légitimant donc leur domination. Comment peut-on encore concevoir l’étude d’un personnage de roman ou l’étude d’une figure historique sans déconstruire les stéréotypes qui en organisent les représentations ?

A défaut d’engager ce travail, l’école contribuera à perpétuer la matrice culturelle qui rend possible les violences sexistes et sexuelles.

[1] Loi du 8 juillet 2013 dite loi Peillon, article 41

Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 1 octobre 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU