texte publié dans le dossier « Santé au travail : l’activité en question » du numéro 27 de Regards Croisés, juillet-août-septembre 2018 (preprint). Voir le sommaire du dossier.

« Comment les CHSCT se saisissent de la question de la santé au travail ? »

Cécile Brunon, secrétaire du CHSCT de l’Ardèche, et Marc Lesvignes, secrétaire du CHSCT de l’académie de Créteil

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Les atteintes à la santé au travail pour les personnels de l’Education Nationale (stress, suicides, impression de ne pas pouvoir bien faire son travail, burn-out…) sont de plus en plus visibles grâce aux CHSCT et à l’activité de la FSU au sein de ces instances. Voici le regard de deux secrétaires de CHSCT (académie de Créteil et département de l’Ardèche) sur la prise en compte de la santé au travail dans les CHSCT.

L’année 2011 a vu la mise en place des Comités Hygiène Sécurité et Condition de Travail (CHSCT) dans l’Éducation Nationale comme dans la Fonction Publique. Cette instance, qui concerne l’ensemble des personnels : enseignant.es, contractuel.les, personnels administratifs, etc. s’est vu confier la mission de mettre en place des actions de prévention concernant la santé et les conditions de travail.
Pour l’employeur, la question de la santé au travail se résumait, et se résume parfois toujours, à une question individuelle : la pathologie, les effets du travail sur la santé relèveraient de caractéristiques individuelles des personnes, de l’état de leur vie personnelle. Forme assez classique du déni de l’impact du travail sur la santé , elle permet à l’employeur de s’exonérer de ses responsabilités. Pour combattre ce point de vue, les syndicalistes ont dû se former, notamment à l’analyse de l’activité et sur les effets du travail sur la santé. Côté syndicats, donner une dimension systémique à des manifestations du travail sur la santé a pu aussi apparaître nouveau par rapport à leur rôle traditionnel. Mais avec le temps et du travail, les choses ont évolué.
Elles évoluent parce que les personnels se saisissent des outils du CHSCT. Leurs requêtes montrent que travailler peut être une source de satisfaction, d’épanouissement, de gain de compétence, de construction de sa personne… mais lorsque cela se passe mal, cela peut alors conduire à des arrêts maladie, des conflits graves avec ses collègues ou la hiérarchie, des accidents, voire un suicide.

Pour tenter de montrer comment les CHSCT se saisissent de la question de la santé au travail, nous proposerons d’abord quelques exemples d’actions menées dans des CHSCT, puis nous montrerons l’activité des représentant.es du personnel dans leurs négociations avec l’employeur et enfin nous dégagerons quelques enjeux pour notre organisation syndicale comme pour la santé au travail des personnels.

Comment se mettent en place les actions de prévention dans les CHSCT ?
Le premier appui est le registre santé et sécurité au travail et ce qui est observé pendant les visites d’établissement [1]. Dans le département de l’Ardèche comme dans l’académie de Créteil, une bonne part des situations dont le CHSCT a connaissance concerne des élèves ayant des troubles du comportement, perturbant la classe, rendant les conditions d’apprentissage difficiles pour tous les élèves. Ces situations ont bien souvent des répercussions sur les enseignant.es si l’équipe n’est pas soudée et qu’elle ne constitue pas une ressource suffisamment forte pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés. Ce type de situation est de plus en plus fréquent et a des conséquences très importantes sur la santé (arrêt long, dépression, accidents de travail liés aux RPS, etc.). Le nombre d’alertes peut permettre de convaincre l’employeur de mettre en place des groupes de travail. Lorsque c’est accepté, tout reste à faire. Trop souvent, la réponse de l’administration relève d’un recours à de meilleures pratiques professionnelles, faisant reposer sur les enseignant.es l’entière responsabilité des difficultés dans lesquelles ils et elles se trouvent. Il est très difficile de questionner les moyens à disposition des enseignant.es ou l’organisation du travail. Certains CHSCT ont réussi à mettre en place des protocoles formalisant les responsabilités à différents niveaux (classe, école, inspection, direction académique). D’autres ont abouti à la mise en place de moyens supplémentaires, par exemple des directeurs ou directrices d’école déchargé.es à quart de temps pour un rôle de soutien et de conseil aux équipes en difficulté. D’autres, quant à eux, n’arrivent pas à construire de propositions car le dialogue avec l’administration ne le permet pas.

En cas de suicide d’un personnel, le CHSCT doit être informé et doit procéder à une visite si l’acte a un lien avec le travail. Cette enquête n’a pas pour objectif de déterminer des responsabilités mais d’analyser les conditions de travail du personnel concerné. C’est un travail long et très lourd, à la fois en temps et en investissement psychologique. C’est à chaque fois une bataille avec l’employeur. Même lorsque des indices sont là, l’employeur peut décider de ne pas procéder à cette enquête. Suite à une série de 8 actes suicidaires connus, dont 4 décès, en moins d’un an dans l’académie de Créteil, les représentant.es du personnel ont négocié avec le Recteur pour travailler la question de l’analyse d’actes suicidaires comme significatifs de l’activité. Grâce à la ténacité des représentant.es du personnel FSU et du service de l’Inspection en Santé Sécurité au Travail (ISST), 20 000€ ont été débloqués pour cette formation/action avec un cabinet d’expertise. C’est une petite victoire.
Ces enquêtes donnent lieu au vote d’avis, qui doivent normalement être prisen compte par l’employeur.
Lors de ces travaux, l’enjeu est de parvenir à une analyse fine de l’activité réelle de travail des agents et une bonne connaissance de leurs conditions de travail, de confronter « ce qu’on nous demande de faire » aux conditions réelles du travail et de mettre en avant la façon dont les collègues s’engagent pour arriver à faire leur travail. Cette activité, indispensable pour atteindre les objectifs que l’employeur nous fixe et que l’on se fixe en tant qu’agent.e, est la clé pour comprendre les atteintes du travail sur la santé. Mais il ne suffit pas de comprendre et avoir analysé pour réussir à avancer…

La nécessaire formation des représentant.es du personnel dans les CHSCT
Un premier levier est la formation des représentant.es du personnel, qui doivent être en capacité d’interroger, d’analyser l’activité de travail et de proposer des actions de prévention. C’est une aventure qui transforme !
Une formation de cinq jours doit être réglementairement offerte aux représentant.es du personnel dans les CHSCT. Celle-ci peut être complétée par une formation à l’observation du travail réel. Dans l’académie de Créteil, le CHSCT a conçu des formations sur les risques psycho-sociaux en partenariat avec un Greta [2] et la MGEN. Les stagiaires (représentant.es des personnels en CHSCT mais aussi de l’administration) devaient observer le travail d’un.e agent.e pour ensuite mener un entretien d’une heure environ : comment le/la collègue s’engage dans son activité, quel plaisir, quels risques y prend-il/elle ? Un travail sur l’activité passionnant, où même le rapport des collègues au syndicalisme a pu être abordé !
Une autre piste pour la formation des représentant.es du personnel a été explorée dans l’académie de Grenoble comme dans l’académie de Créteil, entre représentant.es du personnel FSU. Cécile Briec, ergonome, et Pascal Simonet, chercheur en psychologie du travail, ont proposé une formation basée sur l’instruction au sosie, dont le but est de développer et enrichir l’activité des participant.es et des participantes. L’instruction au sosie est une forme d’entretien qui s’appuie sur le ressort suivant : un professionnel doit choisir un moment de son activité (une séquence, une tâche) qu’il a à réaliser dans les jours qui suivent. Il doit s’adresser à l’intervenant (le sosie) en respectant la consigne suivante : « Tu imagines que je suis ton sosie et que demain je me trouve en situation de te remplacer dans ton travail. Je te questionne pour savoir comment je dois faire pour que personne ne se rende compte de la substitution. »
La confiance entre représentant.es du personnel, établie grâce à ce travail mené en stage académique CHSCT/FSU avec une vingtaine de collègues, puis suite à la mise en place d’un collectif plus permanent dans l’académie de Créteil, a dynamisé le travail fédéral, qui s’est enclenché depuis la création des CHSCT. Les instructions au sosie amènent à se questionner sur son fonctionnement mais aussi sur soi dans sa relation de travail, syndical ou professionnel.
Cela a permis de conduire plus clairement des entretiens lors des visites d’établissements : rester fixés sur l’activité sans dériver sur les plaintes et récriminations dont nous ne savons souvent que faire. Il s’agit ainsi de rester davantage dans la recherche des circonstances précises de l’activité et des rapports humains qui en découlent, y compris les rapports de pouvoir ou conflictuels dans certains cas.

Les stratégies à adopter lors des négociations avec l’employeur
Il s’agit du deuxième levier pour avancer : dans les rapports avec l’employeur, on fait varier les postures. L’objet du CHSCT étant de mettre en place des actions de prévention, il s’agit d’être source de proposition. Mais il faut aussi tenir bon sur le réel du travail. Cela peut conduire à un conflit car, bien évidemment, le point de vue sur les priorités n’est pas le même. Une fois l’accord obtenu pour un travail sur une thématique de prévention, la coopération de l’employeur n’est pas gagnée : en fonction des postures professionnelles et des valeurs de métier des représentant.es de l’employeur, les stratégies à adopter peuvent être différentes. Parfois, il ne faut qu’un pas pour que les visions convergent. Mais bien souvent, l’employeur tente de faire d’un travail censé être collectif un simple point d’information, ou bien un travail tellement cadré qu’il n’y a plus de place pour la co-élaboration de quoi que ce soit. Il s’agit alors de cerner les enjeux liés aux thématiques abordées pour anticiper les points de blocage et construire l’argumentation, basée sur le travail réel, qui pourra être opposée pour être sûr.e que les propositions permettront d’ améliorer les conditions de travail.
Il faut donc arriver à « sentir » ce qui peut être obtenu, glisser le pied dans la porte, ce qui permettra d’engager un travail plus conséquent, quitte à ce que ce travail soit complètement effectué par les représentant.es du personnel.
Il faut aussi arriver à sentir quand la négociation ne suffit plus et qu’il faut installer un rapport de force. Des moyens réglementaires sont prévus (recours à l’ISST puis à l’inspection du travail en cas de désaccord persistant) et ils ont été utilisés dans le département de la Seine Maritime. Ils ne sont pas toujours suffisants, et d’autres peuvent être imaginés. Face à un refus de traiter de la question du manque de ressources pour les enseignant.es et enseignantes ayant un ou des élèves à besoin éducatif particulier dans leur classe, les représentant.es du personnel du CHSCT de la Drôme ont élaboré une enquête syndicale sur ce sujet à laquelle les collègues ont répondu en masse.
Le collectif, pour les représentant.es du personnel, est un précieux soutien. Le partage du ressenti sur les situations, sur les relations avec l’employeur, permettent d’élaborer des stratégies et garantit un regard collectif sur la posture adoptée.

Quelques enjeux pour notre organisation syndicale comme pour la santé au travail des personnels

  • Pour notre organisation syndicale
    Une fois qu’on réussit à faire parler les collègues de leur activité de travail, il s’agit de faire émerger des revendications relatives à la santé, aux conditions de travail et à la sécurité. En tant que syndicalistes habitués à porter les revendications des collègues concernant la carrière, les salaires, le statut ou le nombre de postes, et construites notamment dans les congrès, l’idée de ce nouvel axe de prospection syndicale a un peu déstabilisé. L’objectif des militant.es dans les CHSCT est de faire évoluer l’administration mais aussi la profession et l’ensemble des militant.es syndicaux pour explorer ces nouvelles possibilités.
    Une des actions a été de proposer des stages à destination des militant.ss des syndicats nationaux de manière à ce que ces questions qui tournent autour de l’activité, de la santé au travail et des CHSCT soient l’affaire de tous et toutes, connue de tou.tes les militant.es : il y a de vraies réticences, mais ça avance un peu. De la même manière, dans l’académie de Créteil, un à deux stages académiques sont organisés chaque année, réunissant l’ensemble des représentant.es du personnel FSU/CHSCT. C’est peut-être l’intégration réelle de ce travail chez les militant.es, avec une meilleure connaissance de ce que permettent les CHSCT, qui permettra d’enrichir notre syndicalisme de l’analyse du travail et de l’activité .
  • Avec l’employeur
    L’enjeu est d’arriver à parler la même langue, et cela peut passer par des formations académiques paritaires. Le défaut de formation des responsables sur l’ensemble de la chaîne hiérarchique, Recteurs compris, constitue un énorme frein à la prise en compte de mesures de prévention primaire ou secondaire [3] des risques liés à l’activité, ou même de l’analyse des organisations du travail. Par exemple, un désaccord majeur sur une visite de service du rectorat a amené le représentant du Recteur à bloquer les conclusions de l’enquête. Pourtant, lors d’une visite, il a été nécessaire d’entendre les cadres sur leur propre travail. C’est un premier pas vers une analyse et une prise en compte de leur activité, pour une amélioration plus efficace du contexte de travail.
  • Concernant l’ensemble des personnels
    Même si le recours au CHSCT s’inscrit de plus en plus dans les habitudes, questionner ses conditions de travail et l’impact du travail sur sa santé n’est pas un réflexe dans nos professions. Nos collègues, comme d’ailleurs les militant.es, découvrent un nouveau monde ! À nous, militant.es FSU, d’en faire un objet central pour convaincre les personnels que nous n’avons pas à souffrir de notre travail et de le lier à des revendications syndicales !
    On le constate au regard des situations rencontrées, concernant la question de la santé au travail, le critère de l’équipe est déterminant. Face aux situations les plus difficiles, une équipe qui collabore et élabore des stratégies saura se protéger et aura le sentiment d’avoir une prise sur les événements. Un véritable collectif de travail protège la santé. Mais pour que ce collectif puisse se mettre en place, il faut plusieurs conditions, et notamment avoir du temps, une formation et une équipe stable. Encore un lien avec des revendications syndicales !

Le gouvernement souhaite réduire les prérogatives des CHSCT au moment où nous arrivons collectivement, membres des CHSCT et militant.es des syndicats, à faire apparaître l’impact du travail sur la santé dans l’Education Nationale. C’est un levier, pour l’action syndicale, afin de se situer au plus près des enjeux du travail réel. Il y a donc un enjeu considérable à poursuivre ce travail semé d’embûches. Relevons le défi !

[1Le CHSCT doit réglementairement effectuer trois visites annuelles de prévention dans des établissements relevant
de son périmètre : école, collège, lycée, service administratif, etc.

[2Les Greta sont les structures de l’Éducation nationale qui organisent des formations pour adultes dans la plupart
des métiers.

[3prévention primaire : agir sur la probabilité d’occurrence d’un risque en la diminuant par des mesures de
prévention ; prévention secondaire et tertiaire : agir sur sa gravité, en mettant en place des systèmes de
protection destinés à éviter ou réduire les conséquences