Défendre le service public,
bien commun au service de l’égalité.
Une tradition de comptoir et d’almanach Vermot nous a depuis longtemps habitué aux railleries sur l’inactivité du cantonnier, les vacances de l’instituteur ou l’absurdité bureaucratique de la sécurité sociale. Mais l’attachement des Françaises et des Français à leur service public n’en est pas moins réel : des sondages en témoignent régulièrement en réaffirmant des taux très élevés de confiance et d’estime. Mais combien de temps de tels jugements perdureront quand la dégradation du service rendu aux usagers devient une évidence et que les discours libéraux ne cessent de faire croire aux progrès que représenteraient la mise en marché et en concurrence des services publics ?
Les conditions déplorables dans lesquelles les candidats au baccalauréat ont passé leurs épreuves cette année en constituent un exemple parmi tant d’autres. La presse a relaté des dysfonctionnements majeurs qui contreviennent aux principes les plus élémentaires de la conception républicaine des diplômes. Les organisations syndicales enseignantes ont dénoncé leurs conséquences tant sur les conditions de travail des personnels que sur les conditions de passation pour les élèves. Les raisons d’un tel désordre s’inscrivent dans la réduction des moyens humains et matériels qui ne permettent plus aujourd’hui aux services de mener à bien leurs tâches d’organisation d’autant que les réformes successives ne se soucient guère de mesurer leurs effets en termes de charges de travail et de faisabilité.
Mais il en est ainsi de l’ensemble des services publics dont l’efficacité et l’image auprès des usagers se voit dégradée par leur difficulté à assumer efficacement leurs missions, faute de disposer des moyens nécessaires pour y parvenir. Et les discours libéraux d’en profiter pour insinuer que la privatisation porterait, par nature, une amélioration. Or, contrairement à ces discours de justification des politiques de privatisation, les services publics sont dégradés par leur mise en marché. C’est que la motivation de cette privatisation n’est, en fait, aucunement celle d’une amélioration qualitative puisqu’elle est essentiellement conduite par une volonté de réduire la dépense publique et de dégager des revenus de cession, ce qui nourrit les promesses d’une fiscalité allégée… Le tout porté par les croyances idéologiques du néolibéralisme qui posent, a priori, les vertus de la mise en concurrence et de l’affranchissement des normes et évaluent les privatisations davantage à l’aune des profits financiers immédiats qu’elles permettent qu’au travers de la réalité de leurs effets sur la vie quotidienne des citoyennes et citoyens.
Pourtant les exemples ne manquent pas de dégradations du service public par leur privatisation : l’électricité chilienne ou californienne dont les usagers n’ont jamais connu tant d’interruptions de fourniture de courant ; l’électricité britannique et belge qui a connu des hausses tarifaires très élevées, le transport ferroviaire britannique qui s’est dégradé tant sur le plan de l’irrégularité du service, de sa sécurité que de ses tarifs ; le système de santé marocain qui a produit les pires inégalités territoriales en se privatisant. Une étude de 2019 [1] montre que la libéralisation de l’énergie en Europe n’a servi ni les usagers, ni l’emploi, ni l’environnement. Santé, eau, énergie, transports, environnement, éducation… on peine à trouver un exemple réussi de privatisation ou de partenariat public-privé. Malgré ce constat, des accords internationaux sur le commerce des services cherchent à imposer l’irréversibilité de la privatisation.
Face aux discours et aux agissements qui discréditent le service public et ses agents, nous avons la responsabilité de combattre les prétendues évidences néolibérales.
Non, la privatisation ne rend pas les services publics plus performants. Au contraire, elle ouvre des perspectives de rentabilisation à court terme faites aux dépens des usagers, de leurs besoins, de leur sécurité.
Non, la privatisation ne permet pas de réduire le coût financier pour l’usager. Ce que le citoyen gagnera peut-être dans une réduction d’impôt, il le perdra dans des facturations plus élevées. Et tout cela sans qu’une logique de redistribution puisse créer davantage de justice sociale.
Non, la privatisation ne renforce pas l’accessibilité. Au contraire, les privatisations creusent les écarts territoriaux et les inégalités sociales.
La privatisation fait perdre au service public ses qualités intrinsèques : continuité, efficacité, égalité, indépendance, intérêt général… Et qui pourra croire que les intérêts particuliers seraient capables de prendre en compte les impératifs environnementaux et écologiques ? Qui pourrait croire que l’avidité des dividendes et bénéfices serait guidée par les perspectives d’une plus grande justice sociale ?
Les organisations syndicales ont produit des documents pour nous aider à argumenter la défense des services publics : par exemple la FSU [2] ou la CGT [3], … Des initiatives nous permettent de le faire collectivement. Ainsi, celle de la Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics se poursuit depuis 2005 et a publié un manifeste [4] pour le service public du XXIe siècle. Elle lance actuellement une campagne pour un service public de la Poste [5].
Pour que ce bien commun irremplaçable s’inscrive dans une volonté commune, nous ne devons pas cesser de dire et d’expliquer les raisons de notre attachement au service public.
[1] Vera VEGHMANN, L’échec de la libéralisation de l’énergie, juillet 2019, EPSU
[2] https://fsu.fr/wp-content/uploads/2018/05/pdf_4_pages_services_publics_fsu_26_4_18.pdf
[3] https://www.cgt.fr/sites/default/files/2018-08/20170829_servicespublics_livret_re_vise_.pdf
[4] https://www.convergence-sp.fr/manifeste/
[5] https://www.convergence-sp.fr/wp-content/uploads/2021/06/CDDSP-Appel-2021-06-15.pdf
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 29 juin 2021
Paul Devin, président de l’IR.FSU