Published On: 12 février 2024Categories: Editoriaux de la lettre électronique

Si elle ne devait reposer que sur des motivations religieuses, la fréquentation scolaire des écoles privées serait des plus restreintes. Les études ne manquent pas qui relèguent le motif confessionnel à une part très minoritaire des choix familiaux.
Les raisons de ces choix ne sont pas uniformes et obéissent à des volontés différentes suivant qu’il s’agisse d’un lycée prestigieux de la capitale, d’une petite école rurale ou d’un collège de banlieue. Ici on cherchera la transmission de valeurs réactionnaires, ailleurs une vision plus progressiste des questions sociétales… Parfois, on sera juste dupés par l’illusion d’un meilleur niveau, d’une plus grande sécurité.
Mais quelles que soient les motivations parentales et au-delà de leurs intentions, le dualisme scolaire est l’agent d’une distinction sociale fondée sur la transmission d’une culture de classe. Ce n’est sans doute pas l’intention délibérée de tous ceux qui font le choix de l’école privée. Mais l’effet n’en est pas moins là !

La reproduction de la domination économique suppose l’exercice d’une domination sociale et culturelle qui s’éduque : connaissances, usages sociaux, goûts, pratiques culturelles… Inscrire son enfant à l’école privée, c’est vouloir qu’il incorpore les manières d’être et de penser qui garantiront, ou nourrissent l’espoir de garantir, sa capacité à se distinguer par une appartenance sociale bourgeoise. Parfois s’y ajoute le vieux fantasme de la dangerosité des classes laborieuses qui revient alimenter, au mépris de toute objectivité, le sentiment d’une nécessité de protection que l’école publique ne serait plus capable de garantir.
Mais tous ces établissements ont en commun, indépendamment de leur indice de position sociale (IPS), d’être moins mixtes socialement que les établissements publics. Ces écarts de composition sociale entre public et privé sont croissants et des études montrent des projections d’avenir où cette croissance s’amplifiera encore.

Un problème public majeur
C’est un problème public majeur puisque cela constitue et constituera davantage encore un obstacle résistant à la réduction des inégalités scolaires, dans un pays qui en détient déjà le record. Le développement de l’enseignement privé renforcera cet affligeant résultat, tout en détériorant davantage les conditions de l’enseignement et de la vie scolaire du service public d’éducation qui en seront complexifiées renforçant l’ensemble des difficultés, de la crise d’attractivité des métiers enseignants au décrochage scolaire des élèves. Les expérimentations faites à Paris[1] ou Toulouse[2] ont néanmoins montré qu’une volonté politique de lutte contre la ségrégation sociale est possible. Sans les idéaliser, il faut constater qu’elles produisent des effets réels et constituent des leviers possibles d’évolution égalitaire. La volonté politique n’est pas impuissante sur l’état actuel des choses et sur ses évolutions.
Certains opposeront l’idée d’une liberté absolue du choix parental pour condamner toute ingérence de l’État dans la régulation de telles évolutions. Cette liberté, affirmée sans vouloir en interroger les effets, feint d’ignorer les assignations sociales et les dominations qu’elle produit chez les enfants des classes populaires. Pour se justifier, elle n’hésite pas à fabriquer une argumentation fondée sur la caricature de l’école publique. Les pénuries de moyens de la politique éducative publique mise en œuvre lui offrent même les arguments de sa volonté de développement. L’hypocrisie du discours libéral continue à proclamer sa volonté d’une école de la réussite de toutes et tous mais s’apprête à organiser plus fortement encore le tri social par les réformes engagées pour le collège et le lycée professionnel qui en assureront une réalité toujours plus ségrégative.

Sous prétexte de liberté, c’est un privilège de classe qui est idéologiquement entretenu, publiquement financé et politiquement soutenu.

[1] Julien GRENET, Youssef SOUIDI, Renforcer la mixité sociale au collège: une évaluation des secteurs multi-collèges à Paris, IPP, février 2021

[2] Choukri BEN AYED et Étienne BUTZBACH, Un dispositif inédit de lutte contre les ségrégations scolaires : le cas de Toulouse, Urbanités, #16 / À l’école de la ville, septembre 2022

Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 13 février 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU