Enseigner l’histoire avec exigence et liberté
L’enquête faite par la revue l’Histoire, dans son numéro d’octobre 2021, l’affirme sans ambiguïté : les enseignantes et enseignants d’histoire ne sont pas ces professeurs qu’on nous disait empêchés d’enseigner car craintifs des réactions de leurs élèves. 90% d’entre eux affirment ne jamais renoncer à enseigner, y compris les sujets sensibles. Voilà déjà le début d’une réponse à ceux qui voudraient accréditer l’idée d’un renoncement en décrivant une école lâche et peureuse !
La suite de la réponse, nous l’avons entendue tout au long de la semaine dernière, quand à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty, des enseignantes et des enseignants ont témoigné de leur engagement au quotidien pour que leurs élèves disposent des ressources intellectuelles et culturelles indispensables à l’exercice raisonné de leur liberté de jugement et d’expression.
Pourtant, à nouveau, une partie de la presse a rejoué la mise en doute des capacités de l’école à enseigner les valeurs républicaines. La stratégie de ces médias est toujours la même : plutôt que de témoigner du travail constant des enseignants pour que les élèves puissent construire une culture du discernement et du jugement, ils se focalisent sur les difficultés qui peuvent surgir et en dressent des visions alarmistes. A les croire, le travail sur la laïcité s’empêtrerait dans des « silences gênés » et des « petits renoncements [1] »… et on pourrait constater qu’« un an après, la peur a gagné du terrain [2] ». Et voilà revenue la comptabilité des incidents survenus pendant la minute de silence, comptabilité qui fait toujours l’économie d’en analyser la nature exacte pour ne brandir qu’un chiffre, au mépris d’une réalité générale de dignité calme et respectueuse. Ailleurs ce sera la volonté de débusquer l’enseignant qui ne répondra pas à la demande institutionnelle d’hommage comme si quelque situation particulière pouvait suffire à témoigner d’un renoncement général ou que le refus d’une forme particulière d’hommage puisse empêcher que le travail de fond soit accompli !
Ici le récit singulier prendra figure de vérité absolue… là une histoire incertaine deviendra le signe indiscutable d’un renoncement, voire d’une complaisance.
Face à ces propos où le doute le dispute au mépris, nous avons pu entendre des enseignantes et des enseignants parler de la réalité quotidienne de leur métier. Ils n’ont pas dit pas que tout était simple. Ils savent que parfois la réaction d’un élève crée des tensions complexes, difficiles. Ils savent que leur travail s’exerce dans une société où les tensions sont grandes. Mais ils préfèrent les difficultés d’un lent travail d’élaboration du jugement, nourri de culture commune et de raison plutôt que de confondre la laïcité avec une injonction comportementale. Ils et elles ne veulent pas que l’enseignement de l’histoire puisse être restreint par la volonté politique de faire la preuve de la capacité de l’école à transmettre les valeurs de la république, au risque justement de ne pas permettre qu’elles soient entendues et comprises. Ils et elles n’idolâtrent pas la république mais veulent en enseigner les valeurs, les ambitions, les progrès comme les faiblesses et les erreurs.
Voilà pourquoi, loin des éléments de langage des stratégies politiciennes et de la rhétorique habile des adhésions superficielles, ils et elles nous disent, avec détermination et enthousiasme leur attachement à la liberté, à l’exigence de leurs choix pédagogiques et à la patience nécessaire à l’éducation.
Pour que l’enseignement de l’histoire soit « une recherche de la vérité [qui] fait effort pour la trouver et la dit sans réticences [3] »
Editorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 19 octobre 2021
Paul DEVIN, président de l’IR.FSU