Les partis d’extrême-droite affirment qu’ils ont renoncé à leur idéologie raciste mais leurs mots persistent à nourrir la haine de l’étranger. Leur évolution n’est qu’une stratégie rhétorique qui postule que les habilités du détour sont plus efficaces pour construire le racisme que sa proclamation ouverte. Mais l’euphémisation du propos, si elle préserve des condamnations pénales, ne suffit pas à dissimuler la haine que trahissent les mots utilisés qui continuent à tisser une essentialisation racialisante et ses visées racistes.
Il en est ainsi de l’usage du terme de barbarie.
Pour jouer sur des fantasmes de viols et de pillages, Marine Le Pen [1] compare les migrations d’aujourd’hui avec les « invasions barbares » des IVe et Ve siècle dont l’historiographie contemporaine [2] a pourtant montré qu’elles relevèrent davantage de complexes relations culturelles, politiques et économiques que de leurs seuls épisodes de violences. Elle affirme qu’« avec la barbarie, on ne négocie pas, on combat [3] ». en restant dans la lignée de son père qui se réclamait du « combat immémorial de la civilisation contre les barbares [4]». L’ensemble des enjeux se cristallise dans cette opposition binaire qu’il s’agisse de parler d’insécurité, d’immigration, de culture, de langue ou d’école. Et pour qu’aucun doute ne subsiste quant à l’origine de ces barbares, cette évocation de la barbarie se mêle d’autres mots : « tribal», « razzias », « sauvages ».
Cette opposition entre civilisation et barbarie ne vise pas à dénoncer, pour eux-mêmes, les actes dont la violence odieuse interroge les frontières troublantes de l’humanité. Elle choisit ceux qui permettent d’instituer l’immigré arabe ou subsaharien comme capable, par nature, de tels faits pour construire la ligne de démarcation qui pourra justifier la discrimination et la haine. Or, s’il fallait considérer que la barbarie de quelques-uns suffise à conclure à la barbarie de tous, il ne serait guère de peuple qui puisse se réclamer de la civilisation. C’est au sein de la culture occidentale que sont nés les crimes nazis, les violences coloniales et les exactions du Klu Klux Klan. Et aucune société humaine n’a échappé à ce que certains de ses membres aient pu, individuellement ou collectivement, commettre les plus sordides violences et les crimes les plus immondes.
Trop de discours politiques et médiatiques contribuent à la construction de cette dualité exclusive entre barbarie et civilisation et nous somment de choisir notre camp. Ils participent ainsi à renoncer au principe démocratique d’une capacité des individus à exercer leur liberté dans les contraintes de la loi pour lui substituer l’assignation de certains à en être privés parce qu’étant incapables, par nature, d’échapper à leur condition barbare.
Dans une savante étude sémantique, Emilia Ndiaye[5] avait montré comment dès l’antiquité romaine, le terme de barbare portait les traits d’une bestialité, d’une inhumanité rendant cet étranger indigne à appartenir au monde civilisé. Au temps de la colonisation de l’Algérie, bien des descriptions de l’Afrique du Nord la nomment Barbarie et décrivent les mœurs de celles et ceux qui l’habitent comme témoignant de leur incapacité naturelle à accéder à l’humanité. Le propos n’est donc pas nouveau mais sa banalisation vient à nouveau nous submerger.
Dans les affirmations extrêmes de ceux qu’on nomme désormais l’ultra-droite, nous percevons sans difficulté, la nature raciste du discours. Elle nourrit, par comparaison, l’illusion qu’une évolution aurait transformé l’extrême-droite parlementaire pour la préserver des idéologies qui ont constitué ses racines historiques. Il n’en est rien et elle persiste à construire les essentialisations racistes qui nourrissent la discrimination, la violence et la haine.
Il est de notre responsabilité syndicale et politique de déjouer cette illusion et d’en condamner les visées racistes, notamment pour qu’elle ne puisse plus aveugler celles et ceux qu’elle pourrait tenter, par peur, désillusion ou désespoir. Nous commettrions une grave erreur si, par crainte de stigmatiser l’errance politique d’électeurs désabusés ou perdus, nous leur laissions croire que le choix de l’extrême-droite s’inscrivait désormais dans le champ des alternances démocratiques possibles, à l’abri des infamies de la haine raciale.
[1] Le Point, 14 octobre 2015
[2] Bruno DUMEZIL, Les barbares,
[3] Libération, 6 septembre 2020
[4] Libération, 12 mars 2007
[5] Emilia NDIAYE, L’étranger «barbare» à Rome, L’Antiquité Classique, 2005, n°74, p.119-135
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 5 décembre 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU