Emmanuel Macron a voulu, à l’occasion du 8 mai, rendre hommage à Jean Moulin et à la Résistance. Mais cet hommage a feint d’ignorer que la Résistance ne fut pas seulement le courage et la détermination de celles et ceux qui luttèrent, dès 1940, par l’organisation de réseaux clandestins, au prix de la souffrance et de la mort, mais aussi une construction politique qui permit, à la Libération, d’engager un programme de gouvernement.
Force est de constater que l’hommage rendu par Emmanuel Macron ne pouvait que le taire, tant ses perspectives sont étrangères à sa propre politique.
Lors du premier Conseil national de la Résistance, sous la présidence de Jean Moulin, mouvements, partis et syndicats s’engagent dans la construction d’un monde nouveau. Ils ont des débats, des désaccords que leur volonté d’union dépassera. Le programme arrêté en mars 1944, connu sous le titre « Les jours heureux », propose une action immédiate d’organisation de comités de libération du territoire et de lutte contre « l’oppresseur hitlérien ». Mais au-delà, il fixe les perspectives de ce que devra être l’action gouvernementale à la libération du territoire.
Sur le plan démocratique, le programme ne se contente pas de rétablir le suffrage universel mais affirme « la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ; la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ; la liberté d’association, de réunion et de manifestation ; l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance ; le respect de la personne humaine ; l’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi. »
Sur le plan économique, il défend « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie » et « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des États fascistes ».
La relance de l’économie se fonde sur
- la planification : « l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État après consultation des représentants de tous les éléments de cette production» ;
- la nationalisation : « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques» ;
- le recours aux coopératives : « le développement et le soutien des coopératives de production, d’achats et de ventes, agricoles et artisanales» ;
- la démocratisation de l’entreprise : « le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie».
Sur le plan social, il restaure
- le droit du travail : « le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail» ;
- la revalorisation des salaires et du pouvoir d’achat : « un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine», « la garantie du pouvoir d’achat national pour une politique tendant à une stabilité de la monnaie » ;
- le syndicalisme : « la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale» ;
- la sécurité sociale : « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État » ;
- la sécurité de l’emploi : « la réglementation des conditions d’embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d’atelier» ;
- l’élévation du niveau de viedes agriculteurs: « l’élévation et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la terre par une politique de prix agricoles rémunérateurs(…), par une législation sociale accordant aux salariés agricoles les mêmes droits qu’aux salariés de l’industrie, par un système d’assurance contre les calamités agricoles, par l’établissement d’un juste statut du fermage et du métayage, par des facilités d’accession à la propriété pour les jeunes familles paysannes et par la réalisation d’un plan d’équipement rural »
- la retraite, « permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours»
Enfin, sur le plan éducatif, le programme affirme « La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. ».
Le programme en appelait à une action capable d’être « pour tous les Français un gage de confiance et un stimulant. »…
Il ne sera pas nécessaire d’insister pour comprendre combien il était impossible à Emmanuel Macron de rendre hommage à l’œuvre politique de la Résistance, tant elle est antinomique à ses projets.
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 9 mai 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU