La crise sanitaire, prétexte d’une réduction des droits des fonctionnaires.
C’est en invoquant les nécessités impérieuses de la crise épidémique que sont données aux fonctionnaires des instructions qui outrepassent leurs obligations. Ici c’est l’intrusion d’une demande pressante pendant le temps de repos, ailleurs ce sera l’injonction d’une tâche qui ne relève pas du champ d’exercice professionnel ou parfois l’exigence d’un délai irraisonnable de mise en œuvre.
Comme si la situation épidémique créait un impératif moral qui devait transcender toute règle légale ou réglementaire et ouvrir le champ d’exigences sans limites.
Or si la déclaration d’un état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national autorise que des mesures exceptionnelles puissent être prises par décret, elle ne peut se confondre avec une mise en suspens générale des droits qui légitimerait toute demande hiérarchique y compris celles qui outrepassent les obligations des personnels de la fonction publique.
Toute une rhétorique se développe qui voudrait construire l’idée que la nature exceptionnelle du contexte sanitaire devrait induire un renoncement. Paradoxalement, ceux qui, par ailleurs, réduisent les moyens du service public et en délèguent des pans entiers à l’économie de marché, invoquent ici l’intérêt général pour justifier la mise en suspens des droits. Parfois même, les discours prennent les accents des impératifs moraux et éthiques de l’abnégation, célébrant l’engagement de quelques agents pour mieux désigner en creux l’insuffisance des autres. Et comme si l’expression publique d’un hommage, de temps en temps, suffisait à compenser une exigence croissante ou des demandes illégitimes, il est désormais courant que les cadres témoignent sur les réseaux sociaux de leur rencontre avec une « équipe formidable » à qui ils expriment la reconnaissance de l’institution.
La crise sanitaire offre de ce point de vue la possibilité d’accélérer les transformations profondes des cultures professionnelles et statutaires voulues par la loi d’août 2019 [1]. En mettant les mobilités ou les évolutions de carrière toujours davantage à la merci de l’avis hiérarchique, l’évaluation souvent peu objectivée de l’engagement du fonctionnaire par cette hiérarchie va prendre une place de plus en plus déterminante que la réduction du paritarisme rendra désormais opaque.
La longue histoire qui a construit les obligations des fonctionnaires, dans une dialectique de leurs droits et de l’intérêt général, avait fondé le cadre impératif d’une norme réglementaire qui offrait la garantie d’une équité de traitement, qui limitait les abus possibles des volontés hiérarchiques et offrait une définition impersonnelle des obligations.
En rompant avec ces principes, la volonté libérale de flexibilisation des normes voudrait la légitimer par une plus grande efficience du service public. Les effets que nous distinguons clairement aujourd’hui sont tout autres ! La déréglementation et ses libertés managériales sont loin de recentrer le travail des agents sur les enjeux à long terme de l’action publique en les soumettant au contraire aux initiatives locales, à leurs ordres et contre-ordres, aux jeux des rivalités de pouvoirs et des initiatives guidées par des stratégies d’intérêt particulier. Tout le monde va y perdre. Les usagers bien sûr qui subiront la réduction de l’offre de service public, les variations incessantes de ses stratégies et les inégalités qu’elles produisent. Les fonctionnaires aussi qui disent déjà combien ces évolutions sont coûteuses, épuisantes, déstabilisantes dans l’exercice de leurs missions quotidiennes et combien elles les éloignent du sens qu’ils et elles veulent donner à leur travail en l’inscrivant dans les visées d’un bien commun.
[1] Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 27 avril 2021
Paul Devin, président de l’IR.FSU