L’école, « chantier majeur » du programme d’Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron a annoncé que l’école constituait un « chantier majeur » de son programme présidentiel. Rien de nouveau dans les mesures qu’il a annoncées sauf l’accélération radicale d’une politique déjà engagée.
Le diagnostic est celui déjà largement exprimé d’une défiance qu’il prétend lever en proposant un « nouveau pacte avec les enseignants » qui se construirait par « une large concertation pour discuter de la meilleure manière pour atteindre des objectifs nationaux ».
Cette promesse avait déjà été celle du quinquennat précédant où Jean-Michel Blanquer avait placé le début de son mandat ministériel sous l’aune de « l’école de la confiance ». Force est de constater son échec. Le Grenelle de l’éducation n’a conduit qu’à de vaines promesses et de timides mesures dont celle d’une revalorisation tellement réduite qu’elle est loin d’avoir permis de lutter contre la baisse continue du pouvoir d’achat des personnels ou contre la crise de recrutement des enseignant·es. L’annonce in extremis d’un dégel du point d’indice ressemble trop à une promesse électoraliste pour qu’elle puisse garantir un infléchissement signifiant de la politique salariale.
Quant aux finalités égalitaires de l’école, rien de ce qui est annoncé ne peut raisonnablement susciter l’espoir d’une démocratisation de la réussite scolaire. A moins de faire acte de foi dans les promesses néolibérales habituellement tenues sur le sujet, il faut constater leur incapacité à lutter contre les inégalités. Les évaluations internationales ne cessent d’en témoigner.
La première est celle d’une plus grande autonomie. Le quinquennat finissant vient d’apporter un nouvel exemple d’une conception de l’autonomie qui n’a rien à voir avec l’aspiration des enseignants à inscrire leur action pédagogique dans leurs compétences professionnelles pédagogiques et didactiques. Elle n’est que le prétexte d’une incessante déréglementation qui renforce les conceptions managériales du pouvoir hiérarchique, asservit le travail enseignant à des directives ministérielles autoritaristes et transforme les métiers dans une perspective applicationniste. Le renforcement de rémunérations différenciées par le mérite et l’engagement dans des projets spécifiques ne pourra que renforcer la mise en concurrence des personnels et multiplier les tensions au sein des équipes, sans pour autant qu’on puisse en mesurer quelque effet qualitatif que ce soit. Les travaux ne manquent pas qui attestent que la paye au mérite n’est en réalité qu’un instrument de renforcement du pouvoir hiérarchique sur les agents.
La seconde est celle d’une volonté de « modernisation » de la fonction publique qui postule que son fondement statutaire serait un obstacle à son efficience. Mais à moins de se suffire des habituelles antiennes dénigrant le service public, rien de vient accréditer les moindres bénéfices égalitaires à de telles évolutions. Les rapports, recherches et divers travaux sur le sujet n’ont cessé de montrer que la précarisation des emplois fragilisait la qualité de l’école : diminution de la compétence professionnelle du fait de la réduction de la formation, baisse de l’attractivité pour les métiers enseignants, augmentation croissante des risques psychosociaux …
Enfin, le quinquennat actuel avait réformé le lycée. Le bilan est des plus inquiétants et le retour en arrière sur l’enseignement des mathématiques sera loin d’être suffisant pour endiguer des évolutions qui sont loin de faciliter l’accès des élèves aux études supérieures et la réussite de leur parcours universitaire.
Le programme d’Emmanuel Macron pour un second mandat prévoit la réforme du collège et celle du lycée professionnel. Les quelques éléments annoncés sur le collège, notamment au travers de la tribune d’Anne-Christine Lang , sont particulièrement préoccupants, ils engagent une évolution capable d’un renoncement progressif au collège unique pour y introduire une orientation précoce sur laquelle Emmanuel Macron a insisté, fondée sur les vieux préjugés d’opposition entre une culture intellectuelle et manuelle qui guidaient avant les années 1960 deux voies distinctes d’enseignement secondaire.
Tout aussi inquiétante sont les perspectives d’évolution du lycée professionnel qui au prétexte d’une meilleure performance de l’apprentissage sur l’obtention d’un emploi prévoit de livrer aux branches professionnelles la part du service public d’éducation qui forme aux métiers. Rappelons déjà que la supériorité de la performance de l’apprentissage est des plus discutables au vu des discriminations genrées et raciales qu’elle porte et de la forte sélection engendrée par les abandons de stages mais qui pourrait raisonnablement, en démocratie, faire le choix de confier au patronat l’éducation citoyenne des jeunes et leur accès à la culture commune ?
De tels discours ne semblent même plus prendre les précautions oratoires d’une affirmation de l’égalité. Ils ne font plus que répéter à l’envi une doxa où s’associent les volontés de renoncer à l’engagement de l’État pour les services publics pour livrer l’école aux logiques de marché dont la sociologie critique a depuis longtemps montré qu’elles renforçaient la reproduction des avantages économiques, sociaux et culturels pour reléguer les enfants des milieux populaires aux ambitions scolaires les plus minimalistes.
A permettre la mise en œuvre d’une telle politique, nous porterions la responsabilité d’une régression de la volonté égalitaire dont nous ne cesserons de considérer qu’elle doit être la finalité première de l’école publique démocratique et républicaine.
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 23 mars 2022
Paul Devin, président de l’IR.FSU