L’enfance et le changement social

Nathalie BRÉMAND
Les socialismes et l’enfance, Expérimentation et utopie (1830-1870),
Presses Universitaires de Rennes, 2008

Dès l’introduction, les intentions de l’auteur sont claires : « On aurait tort de se limiter à appréhender les conceptions socialistes sur l’enfance à partir de l’énorme littérature qu’ils ont consacré à leur système de pensée et à leurs projets d’organisation sociale nouvelle. On ne peut pas non plus se limiter à analyser les idées pédagogiques des différents auteurs, comme cela a été surtout fait jusqu’ici. Il faut également prendre en compte la dimension pratique et expérimentale de leur démarche ». Prendre au sérieux les expérimentations et les réalisations concrètes des premiers socialistes : voilà toute l’originalité du très beau travail de Nathalie Brémand.

Dans ce XIXe siècle qu’elle présente comme une période charnière dans la lente évolution des attitudes à l’égard de l’enfance, les socialistes affirment leur objectif de « transformation de l’homme en tant qu’être social ». Un objectif qui fait une large place à l’éducation mais plus généralement à des considérations sur l’enfance, sur ses possibles et ses droits. Une place qui s’apprécie par les débats théoriques mais surtout, ici, par les mises en pratique et les expérimentations. C’est donc au travers des réalisations des associations ouvrières de Saint-Etienne, de celles des communautés icariennes implantées aux Etats-Unis, de la communauté de Pierre Leroux de Boussac ou encore du familistère de Guise, que Nathalie Brémand souligne la place parfois originale et nouvelle accordée aux enfants.

Bien entendu, tous ces premiers socialistes ne parlent pas d’une seule voix. Les sujets de controverses ne manquent pas. Si pour certains, les crèches permettent d’éloigner salutairement la mère de l’enfant, pour d’autres elles permettent simplement d’améliorer nettement les conditions de l’allaitement. La question de l’allaitement est d’ailleurs très disputée, notamment par les anarchistes qui en célèbrent les vertus. La question de la constitution d’un corps spécifique d’enseignants est très directement posée. Alors que Cabet fait de la profession d’enseigner une des plus honorables, pour Fourier il ne devrait pas exister un corps particulier, chacun ayant à un moment de sa vie vocation à transmettre ce qu’il connait le mieux. La notion de travail occupe une place importante dans l’éducation socialiste. L’éducation intégrale, selon l’expression de Fourier, devait donc préparer l’enfant à son rôle de producteur et la maîtrise d’un métier indique souvent le terme de sa formation. Une des nouveautés les plus radicales semble être l’émergence de l’idée de droits de l’enfant. Pierre Leroux, dès 1850, consacre un article (« Des droits de l’enfant ») à définir une nouvelle condition juridique des enfants. Il y affirme, pour eux, « le droit de développer son intelligence, même quand la volonté des parents s’y opposerait ».

Mais quels que soient les dispositifs d’accueil et de formation des enfants, ce qui frappe c’est l’espoir que représentent les enfants dans le changement social. A travers l’éducation des plus jeunes, à travers la transformation des institutions qui leur sont dédiées, c’est une certaine foi dans l’avenir, une confiance nouvelle dans la capacité des individus à transformer les relations sociales qui s’expriment.

Guy Dreux (12 avril 2011)