« Il va falloir que vous baissiez d’un ton ! » : c’est ainsi que Roger Chudeau, député de l’extrême-droite, s’est adressé aux organisations syndicales alors qu’elles étaient auditionnées par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le 20 septembre dernier. Fait rare dans de telles auditions fondées sur une libre expression des personnes ou des organisations invitées, les représentantes et représentants syndicaux ont alors quitté la salle. Ils sont partis pour protester contre les intolérables propos qui les ont, tout à tour, conjurés de reconnaître les bienfaits de la politique menée, accusés de tenir des propos ridicules ou comparés à des humoristes faisant leur sketch. Le mépris avec lequel ils ont été traités a dépassé les limites qui constituent les garanties du respect, serait-il seulement formel.
Les outrances de l’extrême-droite s’ancrent dans une histoire connue où elle a toujours accepté le syndicalisme à la condition de syndicats créés à son initiative et assujettis à ses projets(1). La nature antidémocratique des conceptions syndicales du Rassemblement nationale n’est pas chose nouvelle.
Mais le mépris de l’extrême-droite n’a peut-être pas constitué, ce jour-là, la manifestation la plus dangereuse de refus de la démocratie sociale : Véronique Niotton, la députée macronienne qui a réagi la première au constat de rentrée des syndicats a fait preuve d’une rhétorique bien plus pernicieuse. Elle a affirmé qu’il existait une vérité objective qui devait imposer aux syndicats de reconnaître le bien fondé des politiques menées. C’est au nom de la raison qu’il faudrait qu’ils se taisent. Force est de constater, pourtant, que le bilan des politiques menées est loin de faire le constat d’une action publique capable de réaliser les idéaux républicains de justice, d’égalité et de liberté. Que l’on observe l’école, l’hôpital, les transports ou les services publics en général, il faut faire preuve d’une rhétorique de discours volontairement aveugle pour affirmer que tout va bien ! La dernière rentrée scolaire en fut une énième démonstration.
En niant la liberté d’expression critique et protestataire des syndicats, la députée macroniste a feint d’oublier que cette liberté se fondait sur le principe même de la démocratie sociale, celui d’un mandatement par les travailleurs qui lui donne sa légitimité. Lui opposer une prétendue vérité qui s’imposerait parce qu’elle s’imaginerait objective est le vecteur d’un renoncement à la démocratie. Cette même logique viendrait à mettre en doute le suffrage universel au prétexte que les choix des électeurs seraient jugés comme incapables de reconnaître les bienfaits qu’on leur accorde.
La parole des syndicats est libre, c’est l’assise même d’un débat démocratique qui reconnaît la nécessité des contre-pouvoirs. Imaginer, pour le gouvernement en place, que ses propres certitudes politiques devraient s’imposer parce qu’il est persuadé de leur bien-fondé ouvre la porte aux visions totalitaires qui invoquent le bien du peuple pour imposer leur domination.
Certes, nos libertés existent encore et le mouvement social de cette année a montré que, malgré de nombreuses entraves et de graves empêchements, nous en disposions pour affirmer notre opposition et exercer nos luttes. Bien sûr, nous continuons à disposer du suffrage pour choisir les politiques qui nous gouvernent. Cela exige que nous ne nous livrions pas à une inflation des jugements qui oublierait ce qu’est la réalité historique des régimes fascistes ou totalitaires. Mais pour autant, nous savons que les pires atteintes à la démocratie se nourrissent d’un glissement des idées dont les manifestations isolées pourraient être perçues comme anodines mais n’en constituent pas moins le ferment d’une très inquiétante menace.
C’est pourquoi nous ne baisserons pas d’un ton !
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(1) Paul DEVIN, Les syndicats et l’extrême-droite, Ressources de formation syndicale, FSU lire en ligne
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 28 septembre 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU