Published On: 11 mai 2020Categories: Editoriaux de la lettre électronique

Préférer la vie…

La frénésie des discours qui considèrent que l’essentiel est d’assurer la reprise de l’activité économique ne connaît plus de limites : il est désormais de bon ton, sur les plateaux de télévision ou dans les blogs, d’interroger la pertinence du primat de la vie sur l’économie ou de fustiger une société dont les craintes de mourir témoigneraient de son incapacité à assumer le risque. Un risque que ceux-là même qui en décrètent la nécessité ne connaissent guère car le virus tue surtout les personnes âgées ou les travailleuses et travailleurs contraints de s’exposer à la contamination.

Le mépris s’affranchit de toute pudeur : on ose désormais se demander s’il est bien raisonnable d’accepter les conséquences économiques du confinement alors que, comme le dit Éric Boucher dans l’Opinion du 3 mai, le coronavirus tue surtout les vieux déjà malades. On incrimine la couardise de ceux-là même qui n’ont pas cessé de travailler depuis le début du confinement, affrontant les risques des transports en commun et de conditions de travail peu sécurisées. Ceux qui se perçoivent comme moins menacés refusent les contraintes de prévention sanitaire, sans interroger le coût de leur liberté pour la santé de ceux qui s’exposent. Mais rien de nouveau dans ces relations étroites entre appartenance sociale et choix de politique sanitaire. Goudsblom l’avait déjà observé quant aux épidémies de choléra au XIXème siècle .

Ces donneurs de leçons qui prônent la prise de risque comme une nécessité de la vie économique posent le débat de la façon la plus binaire et grossière qui soit : sauver l’économie ou sauver des vies ? Faisant l’économie de la complexité, de l’analyse, du débat, ils prétendent avoir le courage de poser les vraies questions sans tabou. En réalité, ils se contentent de quelques affirmations rapides et provocantes au service de l’idéologie dominante.

Par exemple, il est désormais courant d’affirmer que les conséquences économiques du confinement feront davantage de morts que le virus. Une récente étude de Sergio Correia, Stephan Luck et Emil Verner, citée par l’économiste Paul Seabright a montré au contraire que lors de la grippe espagnole de 1918, les villes américaines dont la politique a visé la réduction de la mortalité sont celles où les conséquences économiques ont été les moins graves. Sans doute ne peut-on pas en tirer un modèle incontestable mais voilà qui devrait, a minima, nous conduire à relativiser la certitude de l’affirmation libérale que l’avenir économique serait contradictoire avec des mesures de confinement.

Et ceux qui insistent sur la mortalité qui serait causée par des raisons économiques, ont-ils oublié qu’elle présente une immense différence avec la mortalité liée au COVID, c’est que nous savons et pouvons la réduire : il suffit de faire le choix politique d’actions capables de donner un accès gratuit aux soins ou d’offrir les revenus suffisants pour se nourrir et se loger.

Ce discours libéral d’une reprise économique à tout prix a délibérément décidé de s’accorder bien des permissions d’expression, en dehors de toute contrainte d’objectivité et de vérité. Pour ne prendre qu’un exemple, la décision de rouvrir les écoles qui, pour beaucoup, constituait une condition nécessaire à la reprise du travail, a cherché à se fonder sur la négation du risque de contamination. La réalité récente d’un cluster né d’une réunion au sein d’un collège vient déjà rappeler l’évidence du risque au niveau des adultes. Quant à la question de la contamination des enfants et par les enfants, la prudence devrait être de rigueur car si les études semblent montrer la rareté des cas graves (quelques cas ont cependant existé y compris mortels), l’incertitude reste grande sur la contagiosité. Même la Société française de pédiatrie qui a exprimé son souhait d’une reprise de l’école affirme, contrairement à ce qu’on voudrait lui faire dire, que « les enfants pourraient transmettre la maladie même s’ils sont peu malades ». Et une étude de l’Institut de virologie de la Charité de Berlin vient même récemment d’alerter sur une possible contagiosité similaire à celle des adultes. Le doute persiste donc.

Au contraire de ces volontés de domination idéologique qui cherchent à jouer avec l’habileté des formules rhétoriques pour que leurs séductions écartent toute réflexion critique, la démocratie a besoin de vérité et de transparence.

Editorial de la lettre de l’Institut de la recherches de la FSU du 11 mai 2020
Paul DEVIN, président de l’IR-FSU