Services publics : pour un nouvel élan de luttes et de résistances
Le discours néolibéral ne cesse de brandir une exigence de rationalité pour évaluer la performance des services publics, qu’il s’agisse d’indicateurs mesurant la satisfaction de l’usager ou la performance de l’action. Mais l’affirmation de cette volonté de lucidité se combine avec l’omission délibérée de constater un délabrement pourtant évident, chiffrable et mesurable.
En décembre dernier, entre 100 et 150 personnes sont mortes dans les services d’urgence [1] faute d’avoir pu recevoir les soins en temps nécessaire, c’est-à-dire pour la plupart, faute d’avoir pu bénéficier d’un lit d’hospitalisation. Au Royaume-Uni, ce chiffre a atteint plus de 1500 décès par mois [2]. Nous aurions pu penser qu’une telle réalité – mourir non pas du fait d’une incapacité à soigner mais du fait d’un choix de politique budgétaire– aurait constitué un signe tel qu’il contraindrait l’infléchissement de ce choix politique. Non, ces décès n’auront probablement pas davantage d’incidence que tant d’autres chiffres qui, depuis des années, nous alertent pourtant sur la situation de l’hôpital public. En revanche, la mise en scène de quelques indicateurs habiles permet au ministre des comptes publics d’affirmer que « jamais l’hôpital n’a eu autant de moyens [3] ».
Les usagères et usagers des transports en commun parisiens vivent au quotidien des « indicateurs » de réalité qui leur permettent de mesurer concrètement les effets de la réduction de l’offre de transports voulue par la présidente de la région. Ici les conséquences ne sont pas létales mais le constat de dégradation de la vie quotidienne est sans appel.
Dans bon nombre de régions, les utilisatrices et utilisateurs des lignes TER perçoivent tous les jours combien le manque d’investissement dans les infrastructures et les matériels dégrade la régularité du service et multiplie les retards comme les trains bondés.
Et on pourrait multiplier les exemples de services publics qui offrent quotidiennement des « indicateurs » de dégradation.
La logique populaire nous assure qu’à force de tirer sur la corde, elle finit par se rompre. Nous ne cessons d’espérer que la détérioration de la vie quotidienne des usagères et usagers des services publics fasse naître des réactions protestataires capables d’engager les rapports de forces qui contraindraient la politique néolibérale. Mais nous semblons faire preuve d’une étonnante « résilience » comme si le discours récurrent d’une nécessité d’austérité budgétaire avait fini par convaincre qu’il nous fallait consentir au « sacrifice ».
Pourtant des luttes se mobilisent ici ou là. Parfois, elles obtiennent gain de cause … parfois elles s’essoufflent et s’éteignent. Elles ont impérativement besoin de converger dans une vaste mobilisation de défense des services publics. Là où les stratégies néolibérales dilapident notre patrimoine commun de services, le détériorent pour mieux laisser s’installer les intérêts marchands et les profits individuels, il importe que nous puissions convaincre nos concitoyens de la nécessité de défendre des politiques capables d’investir dans les services publics pour répondre aux besoins de la population tout en luttant contre le réchauffement climatique, en permettant une plus grande justice sociale et territoriale et en développant l’emploi.
C’est dans cette perspective que près de deux cents organisations politiques, syndicales et associatives ont signé un appel pour « un nouvel élan pour nos services publics ». La Convergence Nationale pour la défense et le développement des services publics, la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternité de proximité et la Convergence nationale Rail ont décidé d’unir leurs efforts et ceux de centaines de collectifs dont ils fédèrent les actions. Ils organiseront à Lure, du 12 au 13 mai 2023 des débats et ateliers et le 13 mai une grande manifestation nationale.
Les services publics sont notre bien commun. Que 2023 soit l’année d’un nouvel élan pour les luttes nécessaires à les défendre, les améliorer, les étendre, les démocratiser.
Paul Devin, président de l’Institut de recherches de la FSU
[1] L’Express, 4 janvier 2023
[2] Le Parisien, 2 et 3 janvier 2023
[3] Déclaration de M. Olivier Dussopt sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, à Paris le 24 septembre 2021.
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 10 janvier 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU