Le slogan « Stand up for science » a mobilisé des manifestants dans les villes américaines et dans le monde entier pour dénoncer la politique de Trump : licenciements massifs de fonctionnaires chercheur·ses, brutale suppression du financement de projets de recherche et élimination pure et simple de revues scientifiques ou de données numériques issues de la recherche.
En France, une apparente unanimité semble condamner de telles purges. Ceux-là mêmes qui depuis des années ne cessent de mettre à bas l’enseignement supérieur et la recherche expriment leur indignation et se disent favorables à accueillir les scientifiques américains bannis par la politique trumpienne. Une telle sollicitude tente de relativiser jusqu’à l’invisibilité ce qui se passe aujourd’hui en France. Car la situation financière de beaucoup d’universités est désastreuse et les a conduites à devoir réduire leurs capacités d’accueil ou leurs périodes d’enseignement. Nombre de laboratoires de recherches ont dû renoncer à une part de leurs activités, faute d’un financement suffisant. Les alertes successives des présidents d’université semblent vaines alors qu’elles expriment de graves inquiétudes sur l’avenir. Sous les réponses gouvernementales, on perçoit bien les finalités politiques d’une volonté d’asservir la formation supérieure et la recherche aux besoins immédiats de l’économie capitaliste.
Une nouvelle étape vient d’être franchie : le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) a rendu un avis défavorable pour bon nombre de licences et masters. La logique des indicateurs qui guide sa démarche évaluative prétend concourir à cette rationalisation budgétaire qui ferait défaut mais s’avère devenir la stratégie d’un tri politique, parfois au prix de volontaires déformations de la réalité[1].
Le HCERES invoque un taux trop faible d’insertion dans l’emploi… comme si la qualité de l’enseignement universitaire déterminait l’embauche indépendamment des réalités de l’emploi, de l’inégalité des territoires ou de facteurs de discrimination liés à l’origine sociale, au genre ou à l’origine ethnique des étudiant·es.
Mais, sous les rationalités budgétaires pointent aussi des motivations idéologiques. La rengaine de la dénonciation d’une dérive wokiste initiée par Blanquer et Vidal fait son chemin qu’Attal et Hetzel ont poursuivi. Sans doute la stratégie est-elle plus discrète que celle du bulldozer trumpien mais la persistance avec laquelle le ministre Hetzel prétend protéger l’université contre une soi-disant instrumentalisation politique fait craindre une menace contre les libertés académiques. S’y ajoute la radicalisation des discours de l’extrême-droite qui demandent la suppression immédiate de toute subvention bénéficiant à des formations qu’ils considèrent comme agissant pour le wokisme ou les théories du genre. En écho, les médias Bolloré font croire à une mainmise idéologique attentatoire aux libertés et des groupuscules néo-nazis viennent déjà troubler conférences et projections de cinéma, parfois par de sauvages violences.
Alors que, chaque année, des centaines de millions d’euros de financement disparaissent de l’enseignement supérieur et de la recherche, alors que des chercheur·ses voient leur travail empêché faute de moyens ou submergé par la nécessité d’en trouver, alors que les injonctions ne cessent de vouloir recentrer l’enseignement supérieur sur des professionnalisations rapides et utilitaires et enjoignent à la recherche de se plier aux besoins immédiats du développement de l’activité des entreprises, serions-nous capables, face à une attaque comme celle que connaissent aujourd’hui les Etats-Unis, des mobilisations massives qui pourraient y résister ?
Car rien ne sera plus facile au gouvernement, alors que les conditions d’études et de travail ne cessent de se dégrader et que les moyens manquent pour pallier les difficultés croissantes des étudiant·es, de prétendre que la démocratisation de l’accès aux études supérieures a été une illusion à laquelle il convient de renoncer. Sera alors mise en valeur l’alternative offerte par l’offre de formation privée dont on vantera la capacité à mieux répondre aux nécessités de l’emploi et dont on louera l’habileté à trouver dans le financement par le capital, une réponse raisonnable aux nécessités de lutte contre l’endettement de l’État.
Face à ce désenchantement de la démocratisation de l’accès aux savoirs, à cet asservissement de la recherche aux obsessions des intérêts capitalistes, à ces volontés d’instrumentalisation idéologique de la science, il n’est plus que jamais nécessaire que nous défendions l’absolue nécessité, pour la démocratie, de l’appropriation collective des savoirs comme un bien commun et un facteur de progrès social. Puissions-nous faire retrouver ce que Paul Langevin percevait aux lendemains de la Libération : « j’ai trouvé un grand réconfort à constater que la nécessité de rapprocher la pensée scientifique de l’action politique et sociale est maintenant comprise par un grand nombre d’entre nous qui veulent ainsi contribuer de toutes leurs forces à l’avènement d’un monde plus juste et meilleur[2].»
[1] Hélène MAY, Évaluation des licences et des masters, L’Humanité, 9 mars 2025
[2] Paul LANGEVIN, La pensée et l’action, conférence du 10 mai 1946 à l’Union française universitaire, p.15 (archives ESPCI Paris, Bib. L099/003)
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 11 mars 2025
Paul Devin, président de l’IR.FSU