Le syndicalisme, la colère et le refus
Il y a trois mois encore, il était de bon ton d’exprimer un doute sur la capacité du syndicalisme à peser dans le débat social. Les uns fustigeaient l’institution syndicale comme si elle n’était plus que bureaucratie, les autres voulaient que l’individualisme ait fini par anéantir toute volonté collective, d’autres encore imaginaient que la spontanéité des réseaux sociaux était désormais seule capable de susciter les luttes. Quelques-uns allèrent même jusqu’au augurer la mort du syndicalisme.
Nul ne sait, à ce jour, comment se terminera le rapport de forces actuellement engagé avec le gouvernement pour exiger que soit abandonnée la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron. Mais, il y a déjà une chose dont nous pouvons être assurés : la capacité persistante du syndicalisme à mobiliser massivement les travailleuses et les travailleurs et à porter leur colère et leur refus de l’injustice et des inégalités. Bien sûr, cela ne nous dispense pas de questionner nos pratiques syndicales, de chercher à susciter davantage l’engagement de ceux qui doutent, de vouloir mieux comprendre et prendre en compte leurs revendications.
Pour ceux qui imaginaient que tout était devenu possible pour faire croître sans limites les profits du capital, pour ceux qui avaient décidé d’exposer sans vergogne leurs revenus indignes quand une part croissante de la population manque de l’essentiel, pour ceux qui pensaient pouvoir faire payer davantage encore les plus démunis et exiger qu’ils travaillent encore plus, l’avertissement est net : la doxa néolibérale, si influente soit-elle, n’a pas mis à bas la capacité des femmes et des hommes à se révolter, ni leurs volontés de justice. Elle a eu beau dicter les propos de ceux des médias qui stigmatisent les syndicats, les mobilisations et les grèves, elle n’a pas réussi à soumettre l’opinion qui soutient le mouvement social dans son immense majorité. L’évidence est là : à des degrés divers de mobilisation, c’est une très grande majorité de la population qui partage le refus d’un projet de loi dont elle a compris les inacceptables ambitions. Et dans ce refus, elle exprime les colères enfouies par une politique de mépris et d’ignorance de celles et ceux qui ne parviennent plus à vivre dignement.
Aux chiffres exceptionnels de participations aux cortèges, répondent des sondages qui affirment clairement que la population ne se sent aucunement « otage » des grèves mais qu’elle les encourage, les soutient, les espère.
D’aucuns lisaient la faiblesse des participations électorales comme la preuve d’une soumission des jeunes aux impératifs de la consommation et autres séductions ultralibérales mais à peine le 49.3 avait été annoncé qu’ils étaient des milliers à descendre dans les rues pour dire leur attachement à la démocratie. Comme ils sont des milliers à affirmer par leur engagement militant leur conviction de la nécessité d’une rupture radicale en matière d’environnement.
Une unité syndicale sans faille a donné aux mobilisations de 2023 une dimension exceptionnelle qui les inscrira dans l’histoire du mouvement social. Comme d’habitude, l’image de quelques poubelles incendiées sera brandie pour susciter la peur des « classes dangereuses » mais cela ne changera rien, les cortèges continueront à emplir les rues et les places, les usines à cesser leur activité, les transports à s’immobiliser…
L’incertitude est le lot des révoltes. Aucune ne s’est jamais engagée parce qu’elle était assurée de son avenir. Mais toutes contribuent à construire la conviction que, dans la détermination et l’union, il restera toujours possible de résister à la violence et aux injustices de la domination capitaliste.
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 21 mars 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU