Les luttes féministes ont initié une transformation des représentations qui amène à davantage considérer comme le produit d’une domination masculine ce que le sens commun considérait encore il y a peu de temps comme des manifestations passionnelles ou des histoires singulières. Elles ont contribué à construire la nécessité d’une action publique contre les violences faites aux femmes. Cela devrait guider un discours gouvernemental sans concession, d’autant qu’est annoncé que la lutte contre les violences faites aux femmes constitue une « grande cause » de son action. Les paroles du président de la République relativisant la responsabilité de Gérard Depardieu en deviennent encore plus inacceptables. Elles associent au mépris des victimes, l’inconscience de leur effet sur les représentations puisqu’elles contribuent à nourrir une régression qui banalise les violences et alimente l’idéologie qui tente d’affirmer que les violences de genre n’ont pas d’existence propre.
Quelques jours après les propos présidentiels, le ministre de la Justice se félicitait que le chiffre des féminicides ait baissé (94 en 2023 contre 118 en 2022) considérant qu’il témoigne que « l’engagement pour endiguer les féminicides porte ses premiers fruits[1]». Des associations féministes[2] ont immédiatement réagi, annonçant 102 victimes pour 2023 tout en restant dans la même acception étroite du terme de féminicide qui se limite à comptabiliser les meurtres de la sphère conjugale. Elles ont déploré que la méthodologie de comptage ministérielle soit faite pour produire un chiffre inférieur à la réalité. D’autres méthodes de recensement conduisent à annoncer 134 victimes[3]. Et il faut y ajouter plus de 200 000 victimes de violences non létales et tant de situations non comptabilisées faute de plainte.
Une lutte sans merci ?
A nouveau, la politique gouvernementale cherche à faire la preuve de sa prétendue efficacité alors que la réalité des faits témoigne de son incapacité à lutter contre les violences faites aux femmes. Elle met en valeur quelques mesures spécifiques et quelques actions ponctuelles qui s’avèrent, d’année en année, incapables de tenir la promesse pourtant réitérée d’une « lutte sans merci ». Pourtant, le ministre de la justice reste persuadé que, dans la lutte contre les violences faites aux femmes, le gouvernement « a fait le job[4] ».
Qui pourrait croire à la détermination d’une politique qui ne se donne pas les moyens de son efficacité. En 2020, un rapport sénatorial[5] avait considéré que l’annonce d’un budget de plus d’un milliard d’euros, à la suite du Grenelle des violences conjugales, était « un tour de passe-passe ». Alors que l’essentiel du travail d’accompagnement des victimes est assuré par des associations, certaines, faute de moyens, ont dû licencier des salariés, réduire leur capacité d’hébergement, voire cesser leurs activités. Les services publics, tant sur le plan de la formation de leurs agents que du point de vue de leurs moyens humains, restent largement incapables de prendre en compte ces violences et de mettre en œuvre les moyens législatifs existant pour protéger les victimes. On prononce en Espagne dix fois plus d’ordonnances de protection qu’en France, on y distribue presque 100 fois plus de bracelets anti-rapprochement. L’Espagne consacre à la lutte contre les violences faites aux femmes plus d’un milliard d’euros… la France, 185 millions !
Le 3 janvier 2024, on dénombrait déjà 3 féminicides depuis le début de l’année nouvelle… un par jour.
[1] Le Figaro, 2 janvier 2024
[2] Collectif « Féminicides par compagnons ou par ex » ; Fédération nationale des victimes de féminicides
[3] Collectif « Nous Toutes »
[4] AFP, 1 janvier 2021
[5] Rapport d’information sur le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes, n°602, juillet 2020
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 16 janvier 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU