Une question d’honneur?
Le ministre de l’Éducation nationale affirme que le choix de rouvrir les écoles est une question d’honneur …
Énoncé au moment où, de tous bords, des maires s’interrogent sur la possibilité raisonnable de rouvrir les écoles de leur commune, une telle affirmation prend une tonalité accusatoire et pourrait laisser croire que le doute ou le refus seraient désormais incriminés de déshonneur.
Mais qu’est-ce donc que l’honneur ?
Combien de textes ont interrogé les ambiguïtés de ce sentiment qui, proclamant une estime collective pour le courage et la vertu, n’en serait pas pour autant à l’abri de finalités plus personnelles recherchant pouvoirs, distinctions et considérations particulières ?. Voltaire le disait même avec une cinglante mise en doute : « Cet honneur […] n’est qu’un fantôme vain qu’on prend pour la vertu. C’est l’amour de la gloire et non de la justice ; la crainte du reproche et non celle du vice . »
Il nous sera difficile de percevoir un manque d’honneur chez un maire mobilisé depuis les débuts de la crise pour parer au plus urgent, au plus nécessaire mais qui constatant qu’il ne parvient pas à réunir les conditions suffisantes pour garantir la sécurité sanitaire demande à différer l’ouverture de son école ou à en réduire l’ampleur en fonction de ses moyens ?
Les questions que pose la lettre que les maires d’Île de France adressent au président de la République, sont celles autour desquelles la communication ministérielle ne cesse de tourner sans vouloir trancher. Annoncée comme fondamentalement motivée par des considérations sociales, celles de la protection des enfants et de la lutte contre le décrochage scolaire, la reprise s’organise en réalité sans véritable priorité, sur le seul volontariat des familles annoncé par le président de la république. Car agir cette priorité sociale, annoncée comme argument de réouverture, aurait nécessité de penser des modalités assurant réellement le retour de ces enfants et cela sans stigmatisation et sans renoncer à une nécessaire hétérogénéité… Ce n’est manifestement pas le choix fait.
Sous le prétexte de l’argument social, s’agissait-il alors de soutenir une reprise économique en libérant les familles de la charge de leurs enfants pour qu’elles puissent se consacrer à leur emploi ? Une telle finalité transparaît d’une reprise scolaire essentiellement axée sur les enfants les plus jeunes, ceux qui ne peuvent s’assumer seuls quand les parents partent au travail. Mais dans ce cas, il aurait fallu que le gouvernement énonce et assume ce choix politique. Il aurait induit des organisations nécessaires, sur une priorité aux fratries par exemple ou sur une recherche de mise en cohérence, très complexe sans doute, entre temps de travail des parents et temps de scolarisation des élèves.
Autre choix possible : rouvrir les écoles dans les conditions habituelles d’une égalité d’accès de tous. Mais dans, ce cas, il aurait fallu assumer de dire aux familles que le temps de scolarisation serait forcément très réduit, du fait des contraintes de garantie sanitaire appliquées à un nombre élevé d’élèves.
À force de vouloir gouverner par l’habileté rhétorique des discours plutôt que par le choix d’une politique assumée, voilà que nous prenons le risque d’une reprise de l’école qui ne servira aucune véritable logique, aucune finalité d’intérêt général …tout en se confrontant à une extrême difficulté organisationnelle pour garantir la santé des enfants et des adultes. Cette absence de logique assumée prend bien des risques, notamment ceux de voir ressurgir un pilotage aux indicateurs qui s’obsédera de faire augmenter le nombre d’enfants scolarisés au mépris des exigences sanitaires. Ou ceux d’une culture des éléments de langage qui incitera certains à expliquer que les enfants ne sont pas vecteurs de contamination, ce qu’aucun rapport scientifique n’a jamais dit tant la complexité de la question ne peut conduire aujourd’hui qu’à de prudentes et incertaines considérations.
L’honneur aussi devrait avoir des doutes.
Editorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 5 mai 2020
Paul Devin, président de l’IR.FSU