Published On: 7 avril 2025Categories: Editoriaux de la lettre électronique

La récente condamnation de députés européens d’extrême-droite a fait ressurgir, au travers de la considération d’un excessif pouvoir des juges, l’argument populiste d’un doute sur la séparation des pouvoirs. La démocratie serait menacée par un pouvoir judiciaire qui réduirait l’exercice de la souveraineté populaire. Est évoqué « un jour très sombre pour la démocratie française[1]» et, au sein même du Parlement, la question est posée : « La France est-elle encore une démocratie ?[2] ».
Certes, nous pourrions être rassuré·es par le fait que deux tiers des Français estiment[3]  qu’il ne faut pas renoncer aux dispositions légales ayant permis cette condamnation. Mais le surgissement d’un discours, dont la virulence prétend se justifier d’une légitimité populaire, est suffisamment inquiétant pour que le Conseil supérieur de la Magistrature, pourtant peu porté à la déclaration publique, publie un communiqué appelant à la mesure des propos et rappelant que « seules les peines limitativement énumérées par la loi, et donc votées par la représentation nationale, peuvent être prononcées par les magistrats[4] ».
La nature idéologique du débat ne fait aucun doute : Vladimir Poutine, Viktor Oban, Donald Trump, Matteo Salvani, Santiago Abascal, Geert Wilders, Jair Bolsonaro sont ceux qui, au nom d’un risque pour la liberté, ont manifesté leur soutien à Marine Le Pen. Car telle est désormais la stratégie de l’extrême-droite que de se proclamer défenseur de la démocratie. Jusqu’où ce discours sera-t-il crédible chez nos concitoyens, dans un contexte où nous savons combien la confiance en la représentation politique est ébranlée ? Dans une société où la conception de la liberté ne cesse de s’affranchir des impératifs de l’intérêt général pour se satisfaire de la satisfaction des volontés individuelles et où la polarisation des débats écarte toute complexité des enjeux,  les risques sont grands que les séductions populistes puissent susciter l’adhésion. D’autant que bien des motifs ont accentué la défiance à l’égard des politiques : les usages répétés du 49.3, le refus de nommer à la tête du gouvernement la personne arrivée en tête lors des législatives de juillet 2024, le mépris de la représentation syndicale et des mouvements sociaux …

Éduquer à la démocratie
C’est pourquoi il faut rappeler l’importance de l’éducation pour résister aux leurres des discours qui prétendent agir au nom de la démocratie mais visent l’instauration d’un pouvoir autoritaire voire autocratique.
Des études ont montré que l’éducation civique en France restait fortement centrée sur l’apprentissage de l’appartenance nationale[5]. Le contexte actuel doit nous inciter à développer les connaissances civiques et les expériences sociales qui permettent de comprendre la démocratie et pas seulement par la connaissance formelle des institutions mais par le développement des capacités à débattre et penser les questions de démocratie au travers des réalités de la vie citoyenne.
Et que personne ne vienne nous opposer le risque d’une orientation partisane de l’opinion de l’élève qui est très faible[6]. L’analyse des pratiques montre au contraire que c’est le risque d’une excessive exigence de neutralité et la crainte exagérée de la conflictualité qui conduisent l’école à « contribuer à entretenir la distance entre les jeunes et la politique[7] » du fait de la timidité des dispositifs proposés.

Réaffirmons les principes énoncés par Condorcet pour concilier suffrage et vérité que Catherine Kinstler résumait ainsi « le paradoxe fondamental de la coïncidence entre la vérité et la pluralité des voix est subordonné à la circularité qui rattache mutuellement la forme des décisions et les lumières de ceux qui les prennent[8] ». Dans un monde où le relativisme nous amène à sacraliser l’opinion de chacun pour ne défendre que la liberté de son expression, nous devons rappeler que cette liberté ne peut s’abstenir de l’exercice de la raison et des connaissances.
Cette exigence ne légitime pas un jugement hiérarchisé de la valeur des suffrages qui viendrait remettre en doute le principe même d’un droit de vote également accordé à tous mais elle oblige à une responsabilité collective d’éducation. L’attachement à la démocratie n’est pas une disposition humaine naturelle, elle est le produit d’une construction culturelle produite par l’éducation. A défaut, le choix politique s’exerce sur les seuls sentiments spontanés de l’insatisfaction, de la colère ou du ressentiment, ce qui constitue le terrain de prédilection des idéologies populistes.

Le contexte particulier d’une montée du risque fasciste nous donne des responsabilités d’éducation citoyenne particulières : celles de donner