Vœux de dialogue et de révolte
« Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idées. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et dans l’amitié des hommes, ce silence est la fin du monde. ».
Albert Camus, Ni victimes, ni bourreaux (Le siècle de la peur), Combat, 1948
Qui pourrait se contenter, à l’orée de cette nouvelle année, de l’expression des traditionnels vœux de bonheur et de santé, si généreuses qu’en soient les intentions ?
Ici où là, la violence des propos et des discours nous fait craindre que nous puissions connaître des mensonges toujours plus insidieux et des arguments toujours plus odieux pour justifier les pires discriminations et inégalités comme les haines les plus virulentes.
Le pire n’est jamais sûr mais nous savons comment la banalisation des propos les plus violents, les plus méprisants, les plus inégalitaires, les plus discriminatoires finit par légitimer le retour des pires doctrines. Désormais, il est devenu possible à un futur candidat aux élections présidentielles d’affirmer avec le pire des cynismes qu’il n’avait cure de la mort d’enfants migrants noyés dans les eaux de la Méditerranée[1]. Il est devenu possible à une ministre de l’Enseignement supérieur ou à un ministre de l’Education nationale de porter des attaques ignominieusement mensongères sur les agents exerçant pour leurs propres ministères en les accusant de complaisances avec le terrorisme. A l’exposé patient des arguments, à la volonté de persuader est désormais préférée la punchline médiatique.
Et, au sein même de la recherche, certains voudraient confondre les nécessaires ardeurs de la révolte et la légitime vigueur des luttes avec le refus du débat critique. Dénoncer l’imbrication des discriminations, montrer combien les dominations colonialistes, patriarcales et capitalistes persistent à maintenir structurellement l’inégalité et l’injustice ne peuvent être stigmatisés par la sommaire ritournelle idéologique d’un refus du wokisme. Heureusement des voix[2] se lèvent pour affirmer qu’on peut penser un universalisme pluriel, capable de reconnaître des identités singulières sans renoncer aux valeurs communes, ni aux savoirs critiques.
Redisons avec force que cette tolérance, cette acceptation de la diversité, cette volonté de débattre ne sont en rien des renoncements, qu’elles ne peuvent se confondre avec l’affirmation d’une positivité bienveillante ou avec l’acceptation mièvre d’un compromis utilitariste. Elles restent un combat parce que les humains ne peuvent penser l’avenir que « par la parole et par le cri[3] », c’est à dire dans la nécessité conjointe du dialogue et de la révolte.
[1] Éric Zemmour sur CNews, Face à l’info, 24 janvier 2020
[2] Voir dans cette même lettre l’interview d’Alain Policar à propos de son ouvrage L’Universalisme en procès, Le Bord de l’Eau, 2021 Voir aussi Claude GAUTIER, Michelle ZANCARINI-FOURNEL, De la défense des savoirs critiques, La Découverte, à paraître très prochainement
[3] Albert CAMUS, Ni victimes, ni bourreaux (Le siècle de la peur), Combat, 1948
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 4 janvier 2022
Paul Devin, président de l’IR.FSU