L’histoire des relations entre l’État et l’enseignement privé au XXe siècle est un renoncement progressif. Les lois de 1882[1] et de 1905[2] avaient exclu la possibilité d’un financement public de l’école privée. Mais en 1941, Pétain réintroduit la possibilité d’un subventionnement des écoles privées par l’État et les municipalités.
Par la suite, au double prétexte d’un soutien économique permettant aux familles populaires de faire le choix de l’école privée et de l’amélioration des rémunérations des institutrices et instituteurs, les lois Barangé (1951) et Debré (1959) vont instituer une légalité de l’aide publique au privé qui ne cessera de croître par des concessions légales successives tout au long de la seconde moitié du XXe siècle.
La question est de retour dans l’actualité : Pap Ndiaye a annoncé son intention de contraindre le privé à la mixité sociale avant d’y renoncer ; le sénateur Ouzoulias a déposé une proposition de loi autorisant la puissance publique à conditionner les subventions accordées aux établissements privés sous contrat à des critères de mixité sociale et scolaire et un récent rapport de la Cour des Comptes a attiré l’attention sur l’absence de contrôle des finances accordées à l’enseignement privé.
Faiblesse des contrôles
Dans les principes de la loi Debré, le subventionnement a pour contrepartie un contrôle dont le rapport de la Cour des comptes reconnaît qu’il est peu opérant tant sur les plans pédagogiques que financiers et administratifs, à la fois faute de moyens et par manque d’une véritable détermination à le mettre en œuvre. Le même rapport souligne que l’attribution des moyens, négociée entre la direction des affaires financières du ministère et le secrétariat général de l’enseignement catholique, est opaque et souvent incompréhensible y compris au vu des données d’effectifs d’élèves dont disposent les rectorats.
Quel paradoxe ! Non seulement, l’État subventionne les établissements privés qui sont une des sources majeures de l’absence de mixité alors que sa politique scolaire affirme vouloir favoriser cette mixité mais il n’assure pas le contrôle qui constitue la contrepartie du financement prévu par le « contrat » voulu par la loi Debré. Le rapport de la Cour des Comptes, qui affirme pourtant son fort attachement à la liberté scolaire, insiste sur les carences de ce contrôle : « En l’absence de contrôle administratif et financier, rien ne permet de conclure que les fonds publics sont correctement dépensés dans les établissements ». Dans une période ou les conceptions budgétaires néolibérales ne cessent d’invoquer la nécessité de la rigueur gestionnaire, on peut, a minima, s’étonner que les huit milliards versés par l’État à l’enseignement privé soient l’objet de si peu d’attention.
Opposition fondamentale à la mixité
Aujourd’hui, l’État subventionne donc une école privée qui échappe aux contraintes du service public, choisissant et triant ses élèves au gré de ses intérêts particuliers. Cette politique nuit fortement à la mixité sociale et dans certains territoires, elle contribue à ghettoïser les établissements publics. Fermement attaché à n’obéir à aucune contrainte de carte scolaire, l’enseignement privé, notamment par le biais de l’enseignement catholique qui en constitue la part essentielle, a clairement exprimé qu’il ne se plierait pas à des sectorisations pensées pour favoriser la mixité.
Or la question de la mixité est une question centrale car la motivation essentielle du choix parental pour le privé reste celle de l’entre-soi social. C’est pour échapper à la promiscuité d’une population scolaire censée constituer un environnement défavorable à la réussite et jugée dangereuse ou risquée que se joue l’inscription dans le privé. La prétendue différence qualitative, qu’aucun chiffre ne vient attester, sert de justification à un choix qu’on n’ose pas affirmer comme fondé sur la distinction sociale. Il n’y a donc aucune possibilité que l’enseignement privé puisse engager une politique favorable à une plus grande mixité puisque sa raison d’être fondamentale est de permettre aux familles d’échapper à cette mixité.
Dans un tel contexte, il faut reposer la question de la légitimité du subventionnement public de l’école privée qui se pose avec une acuité toujours plus vive au vu de la croissance de ses effectifs et donc de ses effets de plus en plus délétères sur la mixité. La dégradation des moyens accordés à l’école publique ne cesse de renforcer ce jeu d’évitement, contribuant à renforcer les clivages scolaires et sociaux.
En 1960, en réponse à la loi Debré, près de 11 millions de citoyens avaient signé une pétition pour s’engager à en demander l’abrogation et obtenir que l’effort scolaire de la République soit uniquement réservé à l’école publique. Cette revendication reste à l’ordre du jour, l’argent public ne pouvant avoir d’autres finalités que celles de la solidarité redistributrice dont seule l’école publique est garante dans les perspectives de l’intérêt général.
[1] Loi du 28 mars 1882 sur l’organisation de l’enseignement primaire dite seconde loi Ferry
[2] Loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 7 juin 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU