Published On: 10 juin 2021Categories: Colloques, séminaires, congrès

Colloque 2 et 3 juin 21 : le syndicalisme au défi du XXIème siècle

Intervention d’Alain DALANÇON, chercheur à l’IR.FSU

J’interviens en tant que co-auteur d’un livre, le tome 2 de l’Histoire de la FSU, Dans la cour de grands, résultat d’une construction à neuf militant-es et chercheur-es. J’ai bien sûr consulté mes deux camarades coordinateurs, Josiane Dragoni et Jean-Michel Drevon, mais mon intervention conserve un caractère personnel, élaborée à partir de notre livre.
Beaucoup de choses ont été dites depuis hier matin : j’essaierai d’éviter les redites, en resserrant l’objectif sur le syndicalisme dans la fonction publique et en particulier la FSU qui était le sujet de notre livre.
Je ne procèderai pas à son résumé mais, à partir de lui, à une approche historienne, syndicale, de la problématique de ce colloque : quelles responsabilités aujourd’hui et demain du syndicalisme, pour affronter les enjeux d’un « Plus jamais çà ! », pour un « Autre monde d’après » ? Enjeux à la fois anciens et nouveaux. Mais dans un cadre différent de celui du court XXe siècle, celui d’un basculement du monde, d’une crise systémique (Nicolas Béniès) révélée encore plus par la pandémie, qui nous a surpris. Imprévisible ? ou prévisible, dira-t-on, après coup ?
L’avenir, comme le passé, comporte en effet toujours une part d’imprévu et d’imprévisible. Tout est-il possible, aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire ? En fait, tout n’est pas possible, dans un sens comme dans un autre, au moins dans le temps court, en raison du poids de l’Histoire.
Il faut donc penser et agir en tenant compte de l’existant. Or on ne part pas de rien. Le syndicalisme recèle un potentiel considérable de réflexion, d’expérience, de résistance et d’invention, qu’il s’agit d’exploiter. Ce qui ne veut pas dire se contenter de repeindre une vieille devanture dans un centre-ville, pour attirer les chalands.

Vous me direz, mais à quoi sert l’histoire pour inventer ce futur ?
Elle est non seulement utile mais nécessaire, pour comprendre où nous en sommes, pourquoi et comment, afin de construire, ici et dès maintenant, et nous projeter dans l’avenir.
Pour tout cela, nous avons besoin d’inventaires contextualisés, de comparaisons dans l’espace et le temps, et d’outils conceptualisés et empiriques. Ce que nous essayons de faire dans ce colloque. Mais prenons garde à l’écart entre pratiques et instruments pour les penser, qu’il ne devienne pas une discordance improductive.
En outre l’Histoire, parce qu’elle est école de compréhension des activités des hommes dans le temps et l’espace, est aussi école de tolérance, ainsi qu’outil d’argumentation et de construction de convictions sans lesquelles il n’y a pas de « motivé-es ». C’est « un laboratoire actif de notre présent » (Pierre Rosanvallon).
L’activité de notre institut de recherches n’est donc pas marginale dans l’activité syndicale. D’autant que nous appartenons à une fédération qui, si elle n’est pas entrée dans « la cour des grands », occupe une place singulière, en cherchant à être un trait d’union entre les syndicats et autres organisations. C’est d’ailleurs bien l’objectif de ce colloque : jouer le rôle d’intermédiaire dans la réflexion pour faire éclore des idées nouvelles à partager. Et c’était aussi au fond un des objectifs de notre livre.
Le sujet de ce colloque est immense. En fait c’est l’interrogation : « Le syndicalisme : un modèle en redéfinition ? » (Bertrand Geay)
Je n’aurai évidemment pas la possibilité – ni la prétention – de traiter l’ensemble des questions soulevées : je partirai d’un constat majeur, ouvrant sur 5 interrogations.

A- Le constat majeur : la capacité représentative du syndicalisme est en net recul
Cette notion de « capacité représentative » est centrale dans notre livre. Parce que sans elle, il n’y a pas d’efficacité possible. Nous avons emprunté sa définition à Jean-Marie Pernot : la capacité du syndicalisme à se faire entendre dans l’espace public, à participer au débat dans la Cité, et au Mouvement social pour transformer la société, en étant représentatif du monde du travail et médiateur de ses attentes et besoins.
Or, ne nous le cachons pas, la « crise du syndicalisme » est bien réelle, même si le terme a été instrumentalisé par des adversaires venant d’horizons divers. Elle n’est pas propre à notre pays et a bien commencé en France dans les années 1980, même si elle a été moindre dans la fonction publique, en particulier d’État. Elle est mesurable à travers baisse de la syndicalisation, de la participation aux élections professionnelles, du nombre de jours de grèves, de manifestants…
Mais au-delà de ces données chiffrées, nous constatons que le schéma proposé par Jean-Marie Pernot de la production de la fonction représentative en quatre temps (revendications – production de soutiens – négociation – résultats) ne fonctionne plus, comme cela avait pu être le cas encore dans la décennie 1970. Le syndicalisme a perdu de sa centralité dans le système régulé, et de sa visibilité dans l’espace public.
Pourquoi ? Il y a bien sûr les conséquences des méfaits du capitalisme néolibéral (Dardot-Laval), instrumentalisant de nouvelles fonctions des États (Saskia Sassen), le détricotage de l’État social (D. Tartakowsky, Margairaz) auquel s’est substitué le concept d’État stratège.
Mais aussi, la division accrue du syndicalisme suivant un processus de décomposition/recomposition à l’œuvre depuis au moins 40 ans.
Dans ce cadre, le syndicalisme de transformation sociale suivant notre conception, est à la recherche d’un nouveau souffle. Et il est minoritaire par rapport à un syndicalisme d’accompagnement, réformiste, que l’on ne peut cependant ignorer ni même refuser de mener avec lui des actions communes.
Ce syndicalisme de transformation sociale puise ses racines dans la charte d’Amiens de la CGT (1906) : émancipation du salariat, lutte de classe contre le capitalisme, indépendance syndicale et double besogne… Mais le temps de l’anarcho-syndicalisme d’avant 1914 est passé. Ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est de réactualiser les visées de ce texte, de s’y ressourcer, en conciliant l’immédiateté de la réponse syndicale face aux attaques dont le monde du travail est l’objet, et la perspective d’un autre monde possible.
Or le syndicalisme est doublement handicapé depuis le début de ce siècle :

  • D’une part il a mené essentiellement des actions de résistance, souvent éclatées, parfois massives et victorieuses, pour préserver des acquis, mais sans avancées d’ampleur. À cet égard, le mouvement social de 2003 a sans doute marqué la fin d’un cycle, en dépit de la victoire de l’abandon du CPE de 2006. Et hier, Danielle Tartakowsky soulignait également le paradoxe entre des mobilisations peu communes mais limitées dans leurs effets, en raison des difficultés à générer du commun.
  • En même temps, on a navigué à vue sans perspective politique. « La gauche » institutionnelle a perdu de sa représentativité, de sa visibilité et de sa crédibilité, abandonnée par les couches populaires.
  • J’ajoute le rôle de la communication, de l’information et des réseaux sociaux dans nos sociétés surmédiatisées où s’impose l’événement par l’image, le plus souvent anxiogène, appelant la réaction émotive plus que la réflexion. Ne sommes-nous pas en retard dans ce domaine pour faire face au rouleau compresseur de tous les vecteurs de l’idéologie dominante du néolibéralisme ?

La question globale est finalement assez simple à formuler mais la réponse bien complexe à mettre en œuvre : comment développer, en le ressourçant, un syndicalisme de « masse et de lutte », disait-on autrefois, pas replié sur lui-même, et pas seulement avant-gardiste ? Les syndicats restent considérés comme des remparts, leur besoin se fait toujours sentir si l’on en croit les sondages. Mais comment transfigurer ce besoin pour remonter la pente de la perte de capacité représentative ?

B- D’où 5 sujets d’interrogation sur des questions qui s’enracinent dans notre histoire.

1- La professionnalisation et l’institutionnalisation du syndicalisme

Faut-il remettre en cause ces caractéristiques fortes du syndicalisme en France ? Et qui sont le résultat de luttes. Il n’est sans doute pas inutile de les remettre en perspective.

1-1 La professionnalisation ? (c’est-à-dire l’identité professionnelle comme base de la création des groupements corporatifs puis des syndicats [voir André Robert])

  • Le fondement du « groupement » ou du syndicat, part en effet du travail, cad concrètement du métier, autant que de la condition salariale : d’où le vieux débat, récurrent depuis la fin du XIXe dans le syndicalisme français (bourse et/ou fédérations) avec son écho dans le syndicalisme enseignant au XXe : syndicats nationaux de métiers ou syndicats unitaires départementaux et fédération d’industrie dans un syndicalisme confédéré ou fédération autonome ?
    La synthèse avait été difficilement faite en 1945-1946 quand la Fédération générale de l’enseignement-CGT est devenue Fédération de l’Éducation nationale-CGT actant enfin la reconnaissance des enseignants comme des travailleurs au même titre que les ouvriers, et que les syndicats départementaux cohabitaient avec les SN dont il fallait réduire le nombre. Mais cette synthèse a explosé en 1948 quand la FEN a choisi l’autonomie et depuis 72 ans, nous sommes en quête de la réunification ou de l’unification syndicale. Tandis que la professionnalisation est demeurée. J-M Pernot posait hier la question des fédérations de métier dans le syndicalisme confédéral et de leur difficulté à s’élargir aux autres formes et lieux du travail, avec la sous-traitance et l’uberisation.
    D’une certaine manière, cette question a été posée à la FSU au début de ce siècle, quand elle a décidé d’élargir sa syndicalisation aux 3 versants de la FP pour sortir de l’enfermement de son tropisme Éducation nationale ; mais il existait aussi d’autres raisons, qui entraient en contradiction avec l’objectif de la réunification, puisque c’était sa représentativité légale et son existence qui était en jeu, nous mettant en concurrence non seulement avec l’UNSA mais aussi la CGT et Solidaires. D’où les débats du congrès de 2004 où cet élargissement a été acquis au forceps.
  • On assiste depuis plus d’une ou deux décennies au développement de nouvelles pistes de réflexion liées aux pratiques du travail qui devraient être mieux prises en compte en lien avec les pratiques syndicales (cf le chantier travail de l’IR- FSU). La nécessité se fait effectivement sentir de remettre au cœur de nos préoccupations l’émancipation du travail, la libération de l’initiative pour mieux mettre en avant le travail en commun, d’être fier de son travail, de comprendre et défendre son utilité sociale. Ce qui n’invalide donc pas la professionnalisation.
  • Non plus que la revendication corporative, qui n’est pas contradictoire avec l’intérêt général nous rappelait René Mouriaux : « Un peu de corporatisme éloigne de l’interprofessionnel, beaucoup en rapproche, pour transposer un adage de Jean Jaurès »
    À condition de ne pas s’engluer dans le corporatisme catégoriel. Ni que cela conduise au corporatisme hissé au niveau de fondement essentiel du syndicalisme en invoquant apolitisme et/ou visée réformiste.
    Rappelons par ailleurs la polysémie de ce terme de « corporatisme », qui désigna aussi la solution érigée comme un des fondements de la Révolution nationale du régime de Vichy. La Charte du travail, c’était à la fois l’abolition de la lutte de classes et la modernité technocratique de l’époque.

1-2- Et l’institutionnalisation du syndicalisme ? (cf. colloque IHS-CGT et laboratoire Triangle de Sophie Béroud à Lyon 2 en novembre 2017 )

Les syndicalistes s’interrogent sur la finalité de leur présence dans les instances de représentation et de négociation. Seraient-ils finalement réduits à un enfermement en raison du soi-disant « dialogue social » ? À un syndicalisme intégré au système dominant ?
Le questionnement n’est pas nouveau : rappelons-nous le débat entre « statutistes » et « antistatutistes » dans la fonction publique sous la IIIe République. Les syndicalistes étaient alors très majoritairement antistatutistes car prévalait la conception du fonctionnaire aux ordres, sans droit syndical. En fait était posée la question de la subordination de l’agent public et de son consentement.
Le statut général de 1946 a changé cet ordre des choses mais les débats sur les fonctions des institutions consultatives paritaires, CTP et CAP, Conseil supérieur, a commencé dès 1946.
Or les lois récentes dont la loi de transformation de la fonction publique remet en cause les fondements de cette institutionnalisation. En fait la mise en cause est bien plus ancienne : ringardise du statut de la FP, conservatisme et inadaptation font partie d’une antienne que j’ai entendue depuis mes débuts dans le syndicalisme. Mais depuis la fin du siècle dernier, les gouvernements, de droite comme de gauche, ont voulu donner la prime au nouveau management, allant de pair avec l’État stratège.
On le voit, il existe un lien historique, entre institutionnalisation et statut de la FP, avec tous ses effets entrainants à l’ensemble du syndicalisme rappelait Danielle Tartakowsky hier. Y compris sur les services publics.
Il faut les préserver, les améliorer, les étendre. On a besoin de plus et de mieux de services publics répondant aux besoins sociaux. La réponse a toujours été claire pour la FSU et auparavant la FEN, et largement dans le syndicalisme français aujourd’hui, surtout avec la pandémie. N’est-ce pas un point commun qui vient sur le devant de la scène, on l’a vu depuis hier, dans tous les domaines, sur lequel on devrait construire encore plus aujourd’hui.
Il s’agit donc de revenir à la conception première de l’institutionnalisation de la Libération, remise en exergue par la loi de 1983, fondée sur une conception du fonctionnaire citoyen et donc du travailleur citoyen. Ce qui serait un moyen de réconcilier deux cultures identifiées après 68 par D Tartakowsky et Michel Margairaz, opposant à gauche – comme à droite – les tenants du mode de régulation administrée de l’État aux courants anti-autoritaires, dénonçant hiérarchie, bureaucratie et centralisation.
Ce qui implique de revoir aussi des pratiques, productrices de bureaucratisation, de militantisme trop réduit à l’expertise, de syndicalisme offrant essentiellement des services, sans opposer ce syndicalisme là à un syndicalisme de transformation sociale : ce sont les deux versants complémentaires, indissociables, que la plupart d’entre nous a pu d’ailleurs expérimenter dans la construction de son engagement.
Ce qui implique aussi de ne pas faire des élections professionnelles le temps fort de l’activité syndicale, comme la vie politique se trouve cadenassée par l’élection présidentielle, parce que le plus important c’est d’être sur le podium et si possible sur la marche la plus haute.

2- Les structures, elles aussi héritées de notre histoire
Les convergences d’analyse, l’unité dans l’action, y compris avec d’autres types de groupement pérennes ou éphémère, de collectifs suffisent-t-elles ? Hier matin J-M Pernot nous a rappelé l’importance du pacte d’unité d’action CGT-CFDT de 1966, mais qui a explosé ensuite.
La question des structures n’est donc pas seconde. Elles sont toujours un point de départ nous rappelait René Mouriaux. Car elles définissent le choix des bases de l’organisation et de son fonctionnement ; mais elles sont aussi un aboutissement car leur maintien et leurs évolutions illustrent l’adaptation ou non aux épreuves de la lutte syndicale.
J-M Pernot a bien posé la problématique générale hier, mais sans vraiment aborder un point. C’est à dire l’autonomie de la FSU. Une autonomie contrainte, qui reste donc en question et qui est une question qui ne concerne pas que la FSU finalement. Doit-elle se contenter d’être un trait d’union comme la FEN avait voulu l’être dans les années 1950-1960, mais dans l’objectif du PUMSUD (Pour un mouvement syndical uni et démocratique) ? La FSU n’a pas la prétention d’être le modèle comme la FEN prétendait l’être alors, avec l’insuccès que nous avons connu.
En revanche elle doit aussi s’analyser, s’introspecter : aussi bien pour mesurer ses propres responsabilités dans cet échec de la réunification, qu’en interne pour produire plus de fédéral dans la FSU, briser le plafond de verre pour la démocratie de genre : questions développées dans notre ouvrage.
La FSU est riche d’un pluralisme organisé, reposant sur le trépied SN, SD, tendances… à condition qu’il fonctionne bien, sinon, c’est le blocage, comme nous en avons donné des exemples pendant le « moment Allègre » ou sur la formation des maîtres. Ce qui renvoie à la richesse du syndicalisme de métier, à condition d’articuler avec le fédéral et l’intersyndical confédéral…

3- La question sociale aujourd’hui

Au bout du compte ces interrogations nous ramènent à un autre sujet de fond : qu’est-ce que la question sociale aujourd’hui ? Sans nous perdre dans un débat, parfois un peu trop polémique à mon goût, sur les fondements de la réification sociale (classe/intersectionnalité).

  • Qu’est-ce que le salariat aujourd’hui ? Qu’est-ce qui constitue la classe ? Et qu’est-ce que l’agent public, le fonctionnaire ? Au moment de cette grande révolution du monde du travail à l’œuvre depuis maintenant des décennies, qu’on a traitée hier dans la 1ère table ronde : contrat et flexibilité, précarisation accrue, uberisation, individualisation des parcours, dans un monde où on veut imposer la performance, la compétition dans tous les domaines.
  • Quelle attitude adopter vis-à-vis de l’’irruption de nouveaux groupements de masse, contestataires et revendicatifs comme les gilets jaunes, déterminés : « on est là » et « on ne lâche rien » ? Ils ont débordé les syndicats en étant asyndicaux plutôt qu’antisyndicaux, mais pourquoi les convergences n’ont-elles pas été possibles ?
  • Social et sociétal ? pas de frontière, c’est entendu. L’objectif c’est de concilier les intérêts particuliers et l’intérêt général. On vise à l’universalité des droits, c’est la pierre angulaire de la Démocratie. Démocratie salariale-démocratie sociale ce sont les maillons indissociables de la Démocratie tout court et de la Justice sociale.

Concrètement, on voit bien qu’il faut donc toujours dépasser la revendication corporative pour élargir à des sujets transversaux unificateurs.

  • D’abord les anciens sur lesquels notre syndicalisme s’est construit mais qui sont posés dans des termes nouveaux :
    • La laïcité, socle de la démocratisation du système de formation, car nous croyons encore à l’émancipation par l’éducation, contre sa marchandisation. Cette affaire ne concerne pas que les personnels de l’éducation : « L’école, c’est l’affaire de tous ! »
    • La défense de la rémunération salariée, la défense des conditions de travail et d’emploi, du temps de travail dans la journée, l’année, la vie,
    • La défense de la santé publique, des services publics, des droits et libertés, de la paix et de la solidarité entre les peuples, contre le racisme et la xénophobie.

On voit bien que ces questions doivent dépasser le cadre des États-nations avec la mondialisation néolibérale. Dépassées les anciennes organisations internationales qui s’étaient construites dans le cadre de la guerre froide. Mais on peut s’interroger aujourd’hui sur la nature de la CES (confédération européenne des syndicats) et de la CSI (Confédération syndicale internationale) dont la FSU est d’ailleurs toujours absente.
À une autre échelle, on a assisté à un certain épuisement de l « altermondialisme », du moins dans les pays les plus riches.
Et pourtant la nécessité de combattre à l’échelle mondiale, planétaire, est là.

  • D’autant que des sujets nouveaux s’imposent
    • L’Écologie car c’est l’avenir de l’humanité tout entière qui est en jeu. Cette lutte pour l’écologie est inséparable du changement de système et de la lutte contre le capitalisme et ses variants et mutants.
    • D’autant que le combat pour les droits des femmes, des « racisé.es », des LGTB, de tou-tes les exclu-es, migrant-es et sans papiers… s’impose sur la scène publique, sans opposition au combat pour l’universalisme.
    • Certes la FSU n’est pas novice dans ce large champ. Elle a participé à bien des expériences, et des combats, depuis sa naissance, pour qu’un autre monde soit possible dans les forums sociaux, aux côtés d’ONG, d’ATTAC dont elle est partie prenante, mais qui n’ont mis en branle qu’une minorité dans l’action et dans la réflexion
  • Ce renouvellement des sujets est inséparable de celui des pratiques syndicales et formes d’actions : pétitions, grèves et manifestations n’ont certes pas épuisé leurs vertus dans la mesure où elles rassemblent et sont l’occasion de symbioses inédites.
    Des formes plus nouvelles ont été mises en œuvre à partir des années 90 (grève reconductible gérée par AG et coordinations, occupations de l’espace public à l’imitation du mouvement des places). Elles ont cependant eu du mal à s’étendre et à durer, faute peut-être aussi de résultats probants, sauf pour des cas ponctuels, comme des fermetures de classes, de postes, où elles ont gagné.Ou dans l’actualité, autre exemple des femmes de ménage d’Ibis. Exemples qui sont des encouragements pour les autres, car ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières.

4- Syndicalisme et politique
De la question sociale dans sa globalité, on en vient aux rapports syndicalisme et politique, sujet lui non plus pas nouveau. Non pas limité évidemment aux rapports des syndicats aux partis. C’est du rapport à la politique qu’il s’agit, cad à la capacité représentative.
Le partage des tâches au XXe entre syndicats et partis est terminé. Certes. Mais cette conclusion est simplificatrice : la courroie de transmission partis-syndicats n’a pas toujours fonctionné à sens unique, loin de là.
Ce qui change la donne, c’est l’épuisement idéologique de la gauche politique pour proposer, sa division accrue (les gauches), la crise de la démocratie représentative, la perte des repères droite-gauche.
Une prise de conscience syndicale a donc émergé dans la décennie 1990, après l’épuisement du mitterrandisme et l’écroulement du Mur de Berlin. Comme au congrès du SNES de 1991 à St-Malo : pour ne pas laisser la définition de l’intérêt général aux seuls partis, le syndicalisme devait s’en emparer en partant de la satisfaction des besoins sociaux. Cependant ceux-ci ne sont pas si faciles à définir concrètement pour faire programme et projet commun cohérent.
Il faut donc s’efforcer de construire dans la démocratie et la diversité pour des synthèses qui ne soient pas molles, parce que limitées. Car personne ne gagnera seul ou contre tous les autres.
Imaginer et construire des accords différents du programme du Rassemblement populaire de 1935, du CNR en 1944, du Programme commun de la gauche des années 1970… qui avaient cependant été puissamment mobilisateurs.
Mobiliser les intelligences et les forces vives du syndicalisme, des associations, des collectifs citoyens, sans oublier partis et mouvements politiques, pour construire au niveau national, européen et mondial non pas une pseudo-convergence mais des alternatives mobilisatrices et porteuses d’avenir : voilà l’ordre du jour du « syndicalisme en commun » et l’enjeu.

5- Pour terminer : l’imaginaire et le militantisme
Pour créer les conditions de ces alternatives concrètes à la mondialisation sous hégémonie néolibérale, l’’imaginaire est donc nécessaire pour donner corps à l’utopie. C’est le carburant dans le moteur, pardonnez la formulation de l’image bien peu écologique : la source d’énergie. La République, la Sociale, le Socialisme ou le Communisme, avaient cette vertu, mais ils ont perdu de cette capacité.
Attention cependant à la double face de l’utopie à mettre en perspective, qui comporte toujours une part de mémoire et de récit. Nécessaire sans doute. Mais cette mémoire plus ou moins mythifiée, facteur d’identité, peut être aussi clivante, porteuse d’un certain patriotisme d’organisation.
« Ce qui constitue une nation, disait Ernest Renan, ce n’est pas de parler la même langue, ou d’appartenir à un groupe ethnographique commun, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir ». Ce n’est plus à l’aune de la nation qu’il faut appliquer la maxime.
« Un autre monde est possible », « Plus jamais çà », oui, mais les formules sont insuffisantes, sans contenu. On ne peut se contenter d’adhésion déclarative à des principes généraux, fussent-ils généreux. Ce qui manque aujourd’hui c’est un projet émancipateur concret porteur d’utopie. Qui devra être nouveau pour un avenir partagé et pacifique.
Il ne pourra se construire qu’à partir d’une transversalité qui unira les luttes sociales et écologiques, féministes et antiracistes, démocratiques, dans un même projet égalitaire et émancipateur. Liberté, Solidarité, Justice sociale, Egalité, mais pas égalité dans le dénuement, ce qui est le lot de l’immense majorité de l’humanité.

Dernière réflexion sur un sujet dont on ne parle pas souvent : le militantisme et les militant-e-s, le processus de l’engagement. Il faut en effet des femmes et des hommes pour porter et entraîner tout cela. Les idées ne se construisent pas toutes seules et elles n’ont d’intérêt que si elles sont partagées, prennent corps en se traduisant dans des actions.
Or les militant.es sont très divers, ont leur identité personnelle aussi, qui s’inscrit dans une trajectoire (sujet sur lequel je travaille beaucoup pour les biographies du Maitron). On ne naît pas militant.e, on le devient, même s’il existe des bases de départ favorisantes et ensuite des circonstances et des expériences favorables.
Il faut laisser la place aux jeunes, favoriser leur prise de responsabilités, en particulier les femmes, les jeunes issues de l’immigration ou récemment immigré-es mais qu’ils-elles puissent aussi vivre leur vie. Il faut donc faire preuve aussi de pédagogie, non pas leur imposer la reproduction mais les aider à construire leurs savoirs, leurs convictions, leur engagement.
C’est peut-être un des moyens de répondre à la question posée par Danielle Tartakowsky à la fin de son dernier livre (On est là. La manif en crise) : « Comment à partir de la subjectivisation, qui revient à se constituer soi-même en principe de sens, revenir ou fonder l’action collective ? ».
Je voudrais terminer par une note optimiste. Ne nous installons pas dans le pessimisme, nous exhortait Anicet le Pors la semaine passée. Il a suffisamment d’expérience et de connaissance de l’histoire du mouvement ouvrier pour savoir que nos prédécesseurs sont passés par bien d’autres épreuves.
Exploiter les richesses du possible aujourd’hui et rouvrir le futur avec un projet d’émancipation, telle est bien la tâche prométhéenne du XXIe siècle, le syndicalisme y a sa partition à jouer. C’était la conclusion de notre livre, illustrée par une citation empruntée à Ludivine Bantigny : « L’avenir a lui aussi son histoire qui reste à rêver et à inventer ».