Kimberlé W.CRENSHAW : L’oppression est globale, la résistance doit être globale !Vidéo de l’interview

Interview de Kimberlé Crenshaw
K.Crenshaw : C’est un concept qui décrit l’interaction entre différents axes de discrimination : race, genre, sexualité, statut d’immigrant, handicap, classe sociale…
L’idée est que nous ne faisons pas l’expérience de la discrimination d’abord sur un plan, puis sur un second, puis sur un troisième mais au contraire qu’il s’agit d’un problème interactif et c’est bien ce que décrit l’intersectionnalité
Le problème plus profond est que dans nos pratiques militantes, nos politiques publiques, nos actions syndicales ou de protection juridique il n’y a pas de prise en compte du fait que la discrimination peut être interactive, et c’est ce qui crée en soit un nouveau niveau de discrimination qui en regroupe plusieurs.
Par exemple, faire l’expérience de la discrimination de genre à travers la race n’est pas prise en compte. En effet, les lois et les politiques publiques ne permettent pas de faire valoir des droits sur la base de cette interaction mais uniquement sur chaque plan indépendamment et ceci alors que la personne discriminée sur ces deux plans est dans une position plus défavorable qu’une personne qui ne serait discriminée que sur un des deux aspects (genre ou race)
L’intersectionnalité met en lumière à la fois ces réalités et ce qu’il convient de faire pour s’assurer que chacune et chacun soit véritablement en position d’égalité dans les luttes
Quelles motivations pour venir jusqu’à nous dans ces journées intersyndicales femmes à Paris ?
K.Crenshaw : Face à tant de négativité et de remise en cause de nos droits fondamentaux et de nos attentes pouvoir être en communauté avec d’autres personnes qui dans leur propre contexte luttent pour préserver les acquis issus des combats menés à la fin du XXè et XXIè siècle c’est inspirant et cela nous rappelle que nous ne sommes pas seul.es.,Cela nous aide à nous battre en sachant que d’autres sont engagées dans le combat avec nous
Je pense que l’un des plus grands défis aujourd’hui c’est que beaucoup d’entre nous sont isolé·es des luttes en cours, des engagements que les gens prennent, des analyses que nous avons. Donc si l’oppression est globale, la résistance aussi doit être globale ! c’est pourquoi je saisis toutes les occasions de construire une communauté avec tous ceux qui mènent ce travail à travers le monde
Dans le contexte international actuel comment l’intersectionnalité peut-elle nous aider à lutter contre la convergence des haines réactionnaires
K.Crenshaw : L’ironie de la situation est que le pouvoir est intersectionnel.
Donald Trump a remporté la présidence grâce à son identité intersectionnelle particulière, celle d’un homme blanc, riche. Quand on examine toutes les raisons pour lesquelles Donald trump n’aurait pas dû être élu président des états unis – son absence de qualification pour le poste, le fait qu’il ait enfreint la loi, trahi la confiance du peuple américain, trahi la confiance de sa propre famille et commis encore de multiples actes dont n’importe lequel aurait pu suffire à faire échouer la candidature d’une femmes, d’une personne racisée ou de toute autre personne – il est pourtant parvenu à accéder une second fois à la plus haute fonction du pays et cela résulte d’un privilège et d’un pouvoir intersectionnel.
Et c’est pourquoi nous avons besoin d’une analyse intersectionnelle pour comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés là. Pourquoi la politique de l’homme fort attire toujours autant, pourquoi la dérive vers le fascisme est une menace qui doit nous inquiéter même dans les démocraties les plus avancées du monde. Nous ne pouvons pas mener une lutte efficace si nous ne reconnaissons pas cette combinaison de formes de pouvoir. La résistance elle aussi doit se conjuguer et s’unir pour répondre à cette réalité intersectionnelle qui est en train de transformer la politique à l’échelle mondiale
Pour aller plus loin quelques idées de lecture complémentaire…
Kimberlé CRENSHAW,, Intersectionnalité, Payot, 2023
Deux essais de 1989 et 1991D
- Démarginaliser l’intersection de la race et du sexe : une critique féministe noire de la doctrine de l’anti-discrimination, de la théorie féministe et de la politique anti-raciste, 1989
Article fondateur dans lequel Kimberlé Crenshaw introduit la notion d’intersectionnalité. Elle montre comment les systèmes juridiques et sociaux ne tiennent pas compte des expériences multiples vécues par les femmes noires, par exemple, à la croisée du sexisme et du racisme.« - Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », 1991
Cet article approfondit l’intersectionnalité en l’appliquant à la question de la violence faite aux femmes de couleur. Crenshaw critique les approches classiques qui isolent les oppressions raciale et de genre.
Kimberlé CRENSHAW, Entre intersectionnalité et intersections : théories vivantes, actions urgentes
Conférence dans le cadre du Forum social mondial des intersections, 30 mai 2025 (Montréal)
lien vers la conférence
lien vers le compte-rendu établi par la Fédération des femmes du Québec
Angela DAVIS, Femmes, Race et Classe, des femmes, 2020 (1ere éd 1983)
Dans Femmes, Race et Classe, Angela Davis développe une analyse critique des liens parfois conflictuels ayant existé au cours des XIXe et du XXe siècles entre féminisme et luttes d’émancipation du peuple noir. Elle démontre que les luttes ont porté leurs fruits à chaque fois qu’elles ont été solidaires. Se refusant à mettre en concurrence les différents éléments constitutifs de sa propre identité, elle affirme que les oppressions spécifiques doivent être articulées à égalité pour dépasser les contradictions et mener un combat global contre le système capitaliste au fondement de toutes les exploitations. Cet essai dense et fondateur, écrit en 1980, trouve aujourd’hui une actualité centrale avec les débats contemporains sur le féminisme dit « intersectionnel ».
Éléonore LÉPINARD et Sarah MAROUZ, Pour l’intersectionnalité, Anamosa, 2021 (il existe une version numérique)
Non le concept d’intersectionnalité ne représente pas un danger pour la société ou l’université, ni ne fait disparaître la classe au profit de la race ou du genre. Bien au contraire ! Cet outil d’analyse est porteur d’une exigence, tant conceptuelle que politique. Une synthèse nécessaire, riche et argumentée, pour comprendre de quoi on parle. Les autrices, sociologues, s’attachent d’abord à rappeler l’histoire du concept élaboré il y a plus de trente ans par des théoriciennes féministes de couleur pour désigner et appréhender les processus d’imbrication et de co-construction de différents rapports de pouvoir – en particulier la classe, la race et le genre. Il s’agit ensuite de s’interroger sur les résistances, les « peurs », les discours déformants et autres instrumentalisations politiques que l’intersectionnalité suscite particulièrement en France. Mais justement, défendre les approches intersectionnelles, n’est-ce pas prendre en compte, de manière plus juste, les expériences sociales multiples et complexes, vécues par les individus, et donc se donner les moyens de penser une véritable transformation sociale ?
Fanny GALLOT, Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Camille NOÛS, Imbrication des dominations et conditions d’émancipation
20 & 21, revue d’histoire, 2020/2, n°146, p.2-16
Un podcast de France culture dans la série « Sans oser le demander »
Qu’est-ce que l’intersectionnalité, 2023 (58’)
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