texte publié dans le dossier « Santé au travail : l’activité en question » du numéro 27 de Regards Croisés, juillet-août-septembre 2018 (preprint). Voir le sommaire du dossier.
La justice, un point d’appui pour la santé au travail
Interdiction du déploiement d’une organisation du travail portant atteinte à la santé mentale des salariés, cour d’appel de Versailles, 18 janvier 2018
Sur le site www.souffrance-et-travail.com du réseau « Souffrance & travail », Maître Rachel Saada [1] signale un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 18 janvier 2018 suspendant la « [mise] en œuvre [d’] un nouveau logiciel destiné à harmoniser et simplifier les processus de gestion informatique ainsi que la suppression de soixante et onze postes de travail. [..] » . Ce qui suit résume son analyse.
L’entreprise concernée envisageait début 2015 de mettre en œuvre un nouveau logiciel destiné à harmoniser et simplifier les processus de gestion informatique ainsi que la suppression de soixante et onze postes de travail. Les suppressions de poste avaient fait l’objet d’un accord et d’un PSE [2] validé par la Direccte [3].
Dans un premier temps, l’employeur conteste devant le juge le vote par deux fois du CHSCT d’une expertise pour risque grave, mais le juge confirme la décision. Le rapport de l’expert conclut à l’existence de risques psycho-sociaux début 2017, indiquant que le modèle organisationnel en place est maltraitant voire pathogène.
L’employeur mettant cependant en œuvre son plan dans une région, le CHSCT demande l’arrêt immédiat du plan puis déclenche une procédure d’alerte pour danger grave et imminent (DGI). 18 salariés exercent leur droit de retrait et refusent d’utiliser le logiciel. Sept arrêts de travail sont recensés pour burn-out.
Un contrôle par l’inspecteur du travail constate des dysfonctionnements ayant des effets sur la santé des salariés dans l’entreprise. Un rapport est adressé à la Direccte pour une mise en demeure de la société et un courrier à l’entreprise pour expliquer les raisons de cette mise en demeure.
Le CHSCT saisit le TGI [4] en référé mais il est débouté ainsi que le syndicat CGT, le juge indiquant que la procédure de référé pour suspendre l’organisation du travail ne relève que de l’inspecteur du travail pas du CHSCT ni de l’organisation syndicale. Les IRP [5] interjettent appel.
Les dysfonctionnements mettant en danger les salariés sont confirmés par l’inspection du travail, qui constate que des facteurs de risques psycho-sociaux persistent : intensité du travail, rapports sociaux dégradés, insécurité de la situation de travail.
La cour d’appel, dans son arrêt du 18 janvier 2018 fait droit aux demandes du CHSCT et de son Conseil :
Elle rejette l’exception d’incompétence du juge judiciaire soutenue par l’employeur. Elle mentionne que le contrôle de l’autorité administrative est limité à la vérification du contenu de l’accord, au respect des procédures de consultations des institutions représentatives, à l’existence d’un plan de reclassement et des modalités de suivi de la mise en œuvre effectives des mesures contenues dans ce plan. Elle en conclut que le juge judiciaire reste compétent pour sanctionner la violation par l’employeur de son obligation de sécurité et de prévention et pour connaître d’une action en référé fondée d’une violation par l’employeur de l’obligation de sécurité et de prévention et ce nonobstant l’existence d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
Elle déduit également des articles du code du travail (L. 4612-1 à 8) la recevabilité de l’action du CHSCT.
Elle dit qu’ « il y a matière à référé [6], par l’imminence d’un dommage, [..],sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines et sont établies. Le trouble manifestement illicite est caractérisé par la mise en œuvre du projet de la société et notamment les nouveaux outils informatiques [..]. »
De l’ensemble de ces constatations et énonciations, du non-respect persistant par la société de l’obligation, en sa qualité d’employeur et en application de l’article L 4121- 1 du code du travail, de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, elle fait interdiction à la société, afin de prévenir tout dommage imminent sur la santé des salariés, de déployer les outils informatiques du projet dans d’autres régions.
[1] avocate, spécialiste en droit du travail, membre du réseau « Souffrance & Travail »
[2] « Plan de sauvegarde de l’emploi »
[3] Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi
[4] -Tribunal de grande instance
[5] Instances représentatives du personnel
[6] Le référé est une procédure permettant de demander à une juridiction qu’elle ordonne des mesures provisoires mais rapides, très souvent introduit dans l’attente d’un jugement sur le fond.