Published On: 8 novembre 2021Categories: Editoriaux de la lettre électronique

La solidarité n’est pas un délit

Domenico Lucano, dit Mimmo, était le maire de Riace, un village de Calabre que l’exode rural avait vidé de ses habitants. Depuis plus de vingt ans, Riace fait preuve d’une solidarité singulière à l’égard des migrants, offrant un toit et des moyens de subsistance pour accueillir et protéger des hommes, des femmes et des enfants qui ont été contraints de tout quitter [2]. Arrêté et mis en résidence surveillée il y a trois ans, Mimmo Lucano a été condamné, le 30 septembre dernier, à 13 ans de prison et 500 000 euros d’amende.

Dans une terre appauvrie par les exils et la domination mafieuse, les habitants de Riace et leur maire ont fait l’expérience d’une solidarité d’intérêts mutuels où les nouveaux arrivés participent à la repopulation du village désertifié et agissent pour son économie. Des logements vides ont été réhabilités, des ateliers artisanaux ont ouvert leurs portes. Un autre monde semblait possible qui faisait l’objet d’intérêt tant pour le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU que pour de nombreux journalistes venus à Riace pour constater les vertus du modèle solidaire défendu par Mimmo malgré les agissements d’une opposition haineuse et xénophobe [3]. Le prix de la paix de Dresde lui avait été attribué en 2017 et d’autres bourgs voisins avaient été touchés par « une contagion de la fraternité [4] »

Arrêté et mis en résidence surveillée il y a trois ans, Mimmo Lucano a été condamné, le 30 septembre dernier, à 13 ans de prison et 500 000 euros d’amende. La justice lui reproche d’avoir facilité le séjour d’une femme en lui donnant une carte d’identité alors qu’elle était déboutée du droit d’asile ou d’avoir attribué des services municipaux à des coopératives faisant travailler des habitants et des migrants sans être passé par les procédures habituelles d’appel d’offres [5].

Des accusations portées, aucune ne vient constater un enrichissement personnel, un intérêt particulier : Mimmo n’a agi que parce qu’il est profondément convaincu des nécessités de la solidarité humaine. Et nombreuses ont été les réactions qui ont souligné la disproportion entre les faits reprochés et l’acharnement juridique dont Mimmo fait l’objet.

Pourtant, tout a été fait pour mettre à mal l’expérience utopique et solidaire de Riace : suppression des aides publiques par le gouvernement de Matteo Salvini [6], arrestation et assignation à résidence de Mimmo, suspension de ses fonctions électives puis exil de sa commune par décision judiciaire et enfin condamnation à la prison.

Dans une région marquée par la corruption et les pires dérives mafieuses, qui pourrait justifier que la lourdeur de la peine infligée à Mimmo soit la même que celle infligée à la même période à un autre calabrais condamné pour association de malfaiteurs, abus de pouvoir détournements de fonds et une vingtaine d’autres chefs d’accusation [7] ?

Qui pourrait vouloir interrompre l’élan qui permettait aux migrants de Riace de vivre dans la dignité et l’espoir, alors qu’ailleurs la politique italienne n’offre que centres d’accueil, bidonvilles ou reconduites à la frontière ?

Qui pourrait oublier que le sort de ces migrants est lié à nos volontés de domination économique ? [8]

Qui pourrait accepter que la justice vienne condamner Domenico Lucano qui n’a agi que pour répondre à une évidence dont il racontait lui-même qu’elle lui apparaissait à chaque fois qu’il regardait la mer [9] : « celui qui, réfugié, pauvre ou voyageur vient frapper à nos portes représente l’espoir contre la violence de l’histoire. »

Pétition en ligne :
https://www.change.org/p/domenico-lucano-mimmo-lucano-nous-sommes-avec-toi
Réunion de soutien
Mercredi 17 novembre 2021, salle Croizat, Bourse du Travail, Paris

[1Il volo, court métrage de Wim Wenders, 2010

[2Il volo, court métrage de Wim Wenders, 2010

[3Un village de Calabre, film documentaire de Shu Aiello et Catherine Catella, 2016

[4Interview de Mimmo Lucano, Médiapart, 26 septembre 2021.

[5Libération, 2 octobre 2018

[6Le Monde, 31 août 2018

[7Le Monde, 8 octobre 2021

[8Interview de Mimmo Lucano, L’Humanité, 18 octobre 2021

[9Mimmo LUCANO, Grâce à eux, comment les migrants ont sauvé mon village, Buchet-Chastel, 2021

Éditorial de la lettre de l’IR.FSU du 8 novembre 2021
Paul Devin, président de l’IR.FSU