Le constat est désormais sans appel : la réforme Blanquer du lycée et du baccalauréat (2019) a éloigné les filles des parcours d’études scientifiques et tout particulièrement des mathématiques. Le collectif « Maths et sciences »[1] qui réunit une trentaine d’associations et d’institutions éducatives et scientifiques alerte dans une tribune publiée par Le Monde sur la baisse des effectifs et l’insuffisante diversité sociale et de genre d’une future génération qui sera insuffisamment formée en sciences, et en particulier en mathématiques. Il livre une analyse statistique[2] particulièrement parlante : en deux ans, la lente progression qui avait fait augmenter le nombre de bachelières scientifiques a été réduite à néant, nous ramenant vingt ans en arrière. L’écart entre les filles et les garçons s’est à nouveau creusé.
Alors qu’il y a aujourd’hui plus de filles que de garçons à l’université, quatre ou cinq fois moins de femmes que d’hommes exercent dans les établissements de recherche dans le domaine des mathématiques, des sciences de l’ingénieur ou de la physique[3]. De plus, malgré des statistiques ministérielles qui mettent en avant une progression de la part des enseignantes chercheuses et des professeures d’université dans ces domaines, le nombre absolu de femmes recrutées a diminué depuis dix ans, là comme dans toutes les disciplines. La hausse relative est trompeuse : elle est d’abord due aux effets de départs en retraite plus nombreux chez les hommes et à une moins forte baisse des recrutements chez les femmes que chez les hommes.
Le préjugé semble tenace qui considérait que « si l’intelligence féminine n’est pas réfractaire aux sciences exactes […] les mathématiques pures ne sont pas leur fait[4] ». Car si un tel propos nous apparaît archaïque, la réalité persiste d’une discrimination qui éloigne les filles des carrières scientifiques et tout particulièrement mathématiques.
L’analyse des données de PISA a montré que, pour une bonne part, la réussite d’un exercice mathématique s’inscrivait dans un sentiment « d’efficacité perçue » qui conduisait les filles à moins bien réussir non pas du fait de leurs capacités intrinsèques mais parce qu’elles sont victimes de représentations stéréotypées de leur infériorité[5].
La baisse des parcours scientifiques chez les filles résultant de la réforme Blanquer n’est pas une mauvaise surprise : elle était prévisible. En avril 2019, le SNES-FSU publiait une note[6] basée sur l’analyse des choix d’orientation des lycéens en fin de seconde. Cette note annonçait que la réforme Blanquer 2019 du baccalauréat laisserait « jouer à plein les inégalités de genre ». Lors des instances paritaires, l’administration était reste sourde à l’expression des inquiétudes et des oppositions du SNES et des autres organisations syndicales. La communication ministérielle avait continué à promettre que la réforme produirait une amélioration de l’accès des filles aux études scientifiques. Le travail d’analyse du SNES avait été relégué à une position idéologique guidée par les soi-disant immobilismes syndicaux préoccupés de seules perspectives corporatistes et résistants à tout changement.
Dans un contexte où les défis majeurs de notre société, notamment ceux de la crise environnementale, de l’énergie, de la santé, de l’alimentation nécessitent le développement des formations scientifiques, comment pourrions imaginer une réponse qui mette à l’écart les femmes ? Il est d’évidence de la responsabilité de la politique éducative de lutter contre les stéréotypes de sens commun qui continuent à écarter les filles des formations scientifiques. Les politiques mises en œuvre tout au long du XXe siècle avaient contribué à une lente progression de l’accès des filles aux études scientifiques. Progression imparfaite certes, mais réelle. La réforme Blanquer y a porté un coup d’arrêt et entraîné une inquiétante régression, forte et rapide. En la maintenant à l’œuvre, le ministère continue à tenter de masquer par une stratégie de communication son absence de volonté égalitaire réelle.
[1] Le Monde, 5 décembre 2023
[2] Mélanie GUENAIS, Comment la réforme du lycée éloigne les filles des maths et des sciences ? The Conversation, 7 mais 2024
[3] MESR, Vers l’égalité femmes-hommes ? Chiffres-clés, mars 2023
[4] Charles DROUARD, Les écoles de filles : féminisme et éducation, 1904, p.141
[5] OCDE, Image de soi en mathématiques et participation à des activités en rapport avec les mathématiques, PISA 2012, III 4
[6] SNES, Note sur la réforme Blanquer. Analyse statistique des choix d’orientation des élèves, avril 2019
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 12 mars 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU